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Jette le vers d'airain qui bouillonne et qui fume
Dans le rhythme profond, moule mystérieux

D'où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux;
C'est que l'amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L'onde qui fuit, par l'onde incessament suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore!

D'ailleurs j'ai purement passé les jours mauvais,
Et je sais d'où je viens si j'ignore où je vais.
L'orage des partis avec son vent de flamme
Sans en altérer l'onde a remué mon âme ;

Rien d'immonde en mon coeur, pas de limon impur
Qui n'attendit qu'un vent pour en troubler l'azur !

Après avoir chanté, j'écoute et je contemple,

A l'empereur tombé dressant dans l'ombre un temple,
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs,
Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs;
Fidèle enfin au sang qu'ont versé dans ma veine
Mon père, vieux soldat, ma mère, Vendéenne!

Victor Hugo.

Date lilia.

Oh! si vous rencontrez quelque part sous les cieux Une femme au front pur, au pas grave aux doux yeux, Que suivent quatre enfants dont le dernier chancelle,

Les 'surveillant bien tous; et, s'il passe auprès d'elle
Quelque aveugle indigent que l'âge appesantit,
Mettant une humble aumône aux mains du plus petit;
Si, quand la diatribe autour d'un nom s'élance,
Vous voyez une femme écouter en silence,

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Et douter, puis vous dire : Attendons pour juger.
Quel est celui de nous qu'on ne pourrait charger?
On est prompt à ternir les choses les plus belles.
La louange est sans pieds et le blâme a des ailes.
Si, lorsqu'un souvenir, ou peut-être un remords,
Ou le hasard, vous mène à la cité des morts,
Vous voyez, au détour d'une secrète allée,
Prier sur un tombeau dont la route est foulée,
Seul avec des enfants, un être gracieux

Qui pleure en souriant comme l'on pleure aux cieux;
Si de ce sein brisé la douleur et l'extase
S'épanchent comme l'eau des fêlures d'un vase;
Si rien d'humain ne reste à cet ange éploré,
Si, terni par le deuil, son oeil chaste et sacré,
Bien plus levé là-haut que baissé vers la tombe,
Avec tant de regret sur la terre retombe
Qu'on dirait que son coeur n'a pas encor choisi
Entre sa mère au ciel et ses enfants ici;

Quand, vers Pâque ou Noël, l'église, aux nuits tom

bantes,

S'emplit de pas confus et de cires flambantes,
Quand la fumée en flots déborde aux encensoirs,
Comme la blanche écume aux lèvres des pressoirs,
Quand au milieu des chants d'hommes, d'enfants, de

femmes,

Une ame selon Dieu sort de toutes ces ames;

Si, loin des feux, des voix, des bruits et des splendeurs,

Dans un repli perdu parmi les profondeurs,
Sur quatre jeunes fronts groupés près du mur
sombre

Vous voyez se pencher un regard voilé d'ombre,
Où se mêle, plus doux encor que solennel,
Le rayon virginal au rayon maternel;

Oh! qui que vous soyez, bénissez-la. C'est elle!
La soeur, visible aux yeux, de mon ame immortelle !
Mon orgueil, mon espoir, mon abri, mon recours!
Toit de mes jeunes ans qu'espèrent mes vieux jours!
C'est elle, la vertu sur ma tête penchée;

La figure d'albâtre en ma maison cachée;

L'arbre qui, sur la route où je marche à pas lourds,
Verse des fruits souvent et de l'ombre toujours;
La femme dont ma joie est le bonheur suprême;
Qui, si nous chancelons, ses enfants ou moi-même,
Sans parole sévère et sans regard moqueur,

Les soutient de la main et me soutient du coeur;
Celle qui, lorsqu'au mal, pensif, je m'abandonne,
Seule peut me punir et seule me pardonne;
Qui de mes propres torts me console et m'absout;
A qui j'ai dit: toujours! et qui m'a dit: partout !
Elle tout dans un mot! c'est dans ma froide brume
Une fleur de beauté que la bonté parfume;
D'une double nature hymen mystérieux !

La fleur est de la terre et le parfum des cieux.

Victor Hugo.

Que suis-je ?

Que suis-je ? Esprit, qu'un souffle enlève. Comme une feuille morte echappée aux bouleaux, Qui sur une onde en pente erre de flots en flots, Mes jours s'en vont de rêve en rêve.

Tout me fait songer: l'air, les prés, les monts, les bois.

J'en ai pour tout un jour des soupirs d'un hautbois D'un bruit de feuilles remuées ;

Quand vient le crépuscule, au fond d'un vallon noir,
J'aime un grand lac d'argent, profond et clair miroir,
Où se regardent les nuées.

J'aime une lune ardente et rouge comme l'or,
Se levant dans la brume épaisse, ou bien encor
Blanche au bord d'un nuage sombre;

J'aime ces chariots lourds et noirs, qui la nuit,
Passant devant le seuil des fermes avec bruit,
Font aboyer les chiens dans l'ombre.
Victor Hugo.

Tu pleurais.

Oh! pourquoi te cacher? Tu pleurais seule ici.
Devant tes yeux rêveurs qui donc passait ainsi ?
Quelle ombre flottait dans ton âme ?
Était-ce long regret ou noir pressentiment,
Ou jeunes souvenirs dans le passé dormant,
Ou vague faiblesse de femme ?

Voyais-tu fuir déjà l'amour et des douceurs,
Ou les illusions, toutes ces jeunes soeurs

Qui le matin, devant nos portes,

Dans l'avenir sans borne ouvrant mille chemins, Dansent, des fleurs au front et les mains dans les

mains,

Et bien avant le soir sont mortes ?

Ou bien te venait-il des tombeaux endormis
Quelque ombre douloureuse avec des traits amis,
Te rappelant le peu d'années,

Et demandant tout bas quand tu viendrais, le soir,
Prier devant ces croix de pierre ou de bois noir
Où pendent tant de fleurs fanées ?

Mais non, ces visions ne te poursuivaient pas.
Il suffit pour pleurer de songer qu'ici-bas

Tout miel est amer, tout ciel sombre;
Que toute ambition trompe l'effort humain,
Que l'espoir est un leurre, et qu'il n'est pas de main
Qui garde l'onde ou prenne l'ombre!

Toujours ce qui là-bas vole au gré du zéphir,
Avec des ailes d'or, de pourpre et de saphir,
Nous fait courir et nous devance;

Mais adieu l'aile d'or, pourpre, émail, vermillon,
Quand l'enfant a saisi le frêle papillon,

Quand l'homme a pris son espérance!

Pleure. Les pleurs vont bien, même au bonheur; tes

chants

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