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Ne m'aimeront-ils pas ?

Quand un cercle m'enchante,
Quand on se divertit,

Le bon Dieu me dit: Chante,

Chante, pauvre petit!

Béranger.

Les étoiles qui filent.

Berger, tu dis que notre étoile

Règle nos jours et brille aux cieux:

Oui, mon enfant; mais dans son voile La nuit la dérobe à nos yeux.

Berger, sur cet azur tranquille,

De lire on te croit le secret:
Quelle est cette étoile qui file,
Qui file, file, et disparaît?

Mon enfant, un mortel expire;

Son étoile tombe à l'instant.
Entre amis que la joie inspire,
Celui-ci buvait en chantant.
Heureux, il s'endort immobile
Auprès du vin qu'il célébrait...
Encore une étoile qui file,

Qui file, file, et disparaît.

1

Mon enfant, qu'elle est pure et belle!

C'est celle d'un objet charmant.

Fille heureuse, amante fidelle,

On l'accorde au plus tendre amant.

Des fleurs ceignent son front nubile,
Et de l'hymen l'autel est prêt...
Encore une étoile qui file,

Qui file, file, et disparaît.

Mon fils, c'est l'étoile rapide
D'un très-grand seigneur nouveau-né :
Le berceau qu'il a laissé vide,
D'or et de pourpre était orné.
Des poisons qu'un flatteur distille
C'était à qui le nourrirait...
Encore une étoile qui file,

Qui file, file, et disparaît.

Mon enfant, quel éclair sinistre !
C'était l'astre d'un favori,

Qui se croyait un grand ministre
Quand de nos maux il avait ri.
Ceux qui servaient ce dieu fragile
Ont déjà caché son portrait...
Encore une étoile qui file,
Qui file, file, et disparaît.

Mon fils, quels pleurs seront les nôtres !
D'un riche nous perdons l'appui ;
L'indigence glane chez d'autres,
Mais elle moissonnait chez lui.
Ce soir même, sûr d'un asile,
A son toit le pauvre accourait .
Encore une étoile qui file,
Qui file, file, et disparaît.

C'est celle d'un puissant monarque !...

Va, mon fils, garde ta candeur :
Et que ton étoile ne marque
Par l'éclat ni par la grandeur.
Si tu brillais sans être utile,
A ton dernier jour on dirait :
Ce n'est qu'une étoile, qui file,
Qui file, file et disparaît.

Béranger.

La tombe et la rose.

La tombe dit à la rose:

Des pleurs dont l'aube t'arrose
Que fais-tu, fleur des amours?
La rose dit à la tombe:

Que fais-tu de ce qui tombe
Dans ton gouffre ouvert toujours ?

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La rose dit: Tombeau sombre,
De ces pleurs je fais dans l'ombre
Un parfum d'ambre et de miel.
La tombe dit: Fleur plaintive,
De chaque âme qui m'arrive

Je fais un ange du ciel!

L'auteur.

Victor Hugo.

Data fata secutus.

Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,

Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,

Et du premier consul déjà, par maint endroit,
Le front de l'empereur brisait le masque étroit.

Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,
Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix;
Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère,

Abandonné de tous, excepté de sa mère,

Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même tems sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n'avait pas même un lendemain à vivre,
C'est moi.

Je vous dirai peut-être quelque jour Quel lait pur, que de soins, que de voeux, que d'amour,

Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Épandait son amour et ne mesurait pas !

O l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie!
Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie!
Table toujours servie au paternel foyer!
Chacun en a sa part, et tous l'ont tout entier !

Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse,
Comment ce haut destin de gloire et de ferveur
Qui remuait le monde aux pas de l'empereur,

Dans son souffle orageux m'emportant sans défense,
A tous les vents de l'air fit flotter mon enfance.

Car lorsque l'aquilon bat ses flots palpitans,
L'océan convulsif tourmente en même tems
Le navire à trois ponts qui tonne avec l'orage,
Et la feuille échappée aux arbres du rivage!
Maintenant jeune encore et souvent éprouvé,
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé,
Et l'on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d'un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses voeux,
Pâlirait s'il voyait, comme un gouffre dans l'onde,
Mon âme ou ma pensée habite comme un monde,
Tout ce que j'ai souffert, tout ce que j'ai tenté,
Tout ce qui m'a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau tems passé sans espoir qu'il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et quoiqu'encore à l'âge où l'avenir sourit,
Le livre de mon coeur à toute page écrit!

Si parfois de mon sein s'envolent mes pensées,
Mes chansons, par le monde en lambeaux dispersées;
S'il me plait de cacher l'amour et la douleur
Dans le coin d'un roman ironique et railleur ;
Si j'ébranle la scène avec ma fantaisie;
Si j'entre-choque aux yeux d'une foule choisie
D'autres hommes comme eux, vivant tous à la fois
De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix;
Si ma tête, fournaise où mon esprit s'allume,

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