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LA VIE ET L'IDÉAL.

L'élégie.

(Fragment de l'art poétique. Chant second.)

D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait les cheveux épars gémir sur un cercueil.
Elle peint des amans la joie et la tristesse;
Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
C'est peu d'être poëte, il faut être amoureux.

Je hais ces vains auteurs dont la muse forcée M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée; Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis, S'érigent, pour rimer, en amoureux transis.

Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines:

Ils ne savent jamais, que se charger de chaînes,
Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
Et faire quereller les sens et la raison.

Ce n'était pas jadis sur ce ton ridicule,
Qu'amour dictait les vers que soupirait Tibulle ;
Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons,
Il donnait de son art les charmantes leçons.
Il faut que le coeur seul parle dans l'élégie.

N. Boileau.

L'ode.

(Fragment de l'art poétiqne. Chant second.)

L'ode, avec plus d'éclat, et non moins d'énergie,
Élevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les dieux.
Aux athlètes dans Pise *) elle ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière ;
Mène Achille sanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis.
Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage;
Elle peint les festins, les danses et les ris;
Vante un baiser cueilli sur les lèvres d'Iris,
Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
Quelquefois le refuse, afin qu'on le ravisse.
Son stile impétueux souvent marche au hasard :
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.
N. Boileau.

Le buisson.

S'il est un buisson quelque part

Bordé de blancs fraisiers ou de noires brunelles,
Où de l'oeil de la vierge aux riantes prunelles,
Dans le creux des fossés, à l'abri d'un rempart!...

Ah! si son ombre printannière

Couvrait avec amour la pente d'un ruisseau,

D'un ruisseau qui bondit sans souci de son eau,

Et qui va réjouir l'espoir de la meunière...

*) Ces vers ont rapport à Pindar.

Si la liane aux blancs cornets

Y roulait en noeuds verts sur la branche embellie! S'il protégeait au loin le muguet, l'ancolie,

Dont les filles des champs couronnent leurs bonnets!

Si ce buisson, nid de l'abeille,

Attirait quelque jour une vierge aux yeux doux,
Qui viendrait en dansant, et sans penser à nous,
De boutons demi clos enrichir sa corbeille!...

S'il était aimé des oiseaux;

S'il voyait sautiller la mésange hardie;
S'il accueillait parfois la linotte étourdie,
Echappée, en boîtant, au piége des réseaux!...

S'il souriait, depuis l'aurore,

A l'abord inconstant d'un léger papillon,
Tout bigarré d'azur, d'or et de vermillon,
Qui va, vole et revient, vole et revient encore!.

Si, dans la brûlante saison,

D'une nuit sans lumière éclaircissant les voiles,
Les vers luisants venaient y semer leurs étoiles,
Qui de rayons d'argent blanchissent le gazon!...

Si d'un couple naïf et tendre,

Il devait un beau soir surprendre les aveux,
Quand l'amant, de l'amante écartant les cheveux,
Lui dit tout bas un mot qu'elle brûlait d'entendre !...

Si, longtemps, des feux du soleil,

Il pouvait garantir une fosse inconnue !

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