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Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
Je veux rêver et non pleurer!

Que son oeil était pur, et sa lèvre candide!
Que son ciel inondait son âme de clarté !
Le beau lac de Némi qu'aucun souffle ne ride
A moins de transparence et de limpidité!
Dans cette âme, avant elle, on voyait ses pensées;
Ses paupières, jamais sur ses beaux yeux baissées,
Ne voilaient son regard d'innocence rempli,
Nul souci sur son front n'avait laissé son pli;
Tout folâtrait en elle; et ce jeune sourire
Qui plus tard sur la bouche avec tristesse expire,
Sur sa lèvre entr'ouverte était toujours flottant,
Comme un pur arc-en-ciel sur un jour éclatant!
Nulle ombre ne voilait ce ravissant visage,

Ce rayon n'avait pas traversé de nuage!
Son pas insouciant, indécis, balancé,

Flottait comme un flot libre où le jour est bercé,
Ou courait pour courir; et sa voix argentine,
Écho limpide et pur de son ame enfantine,
Musique de cette ame où tout semblait chanter,
Égayait jusqu'à l'air qui l'entendait monter!

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !
Je veux rêver et non pleurer!

Mon image en son coeur se grava la première,
Comme dans l'oeil qui s'ouvre, au matin, la lumière;

Elle ne regarda plus rien après ce jour;
De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour!
Elle me confondait avec sa propre vie,

Voyait tout dans mon ame; et je faisais partie
De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux,
Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux.
Elle ne pensait plus au temps, à la distance,
L'heure seule absorbait toute son existence;
Avant moi cette vie était sans souvenir,
Un soir de ces beaux jours était tout l'avenir!
Elle se confiait à la douce nature

Qui souriait sur nous; à la prière pure

Qu'elle allait, le coeur plein de joie, et non de pleurs,
A l'autel qu'elle aimait répandre avec ses fleurs;
Et sa main m'entraînait aux marches de son temple,
Et comme un humble enfant, je suivais son exemple,
Et sa voix me disait tout bas: Prie avec moi!
Car je ne comprends pas le ciel même sans toi!

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées!

Je veux rêver, et non pleurer!

Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive
S'arrondir comme un lac sous son étroite rive,
Bleue et claire, à l'abri du vent qui va courir
Et du rayon brûlant qui pourrait la tarir!
Un cygne blanc nageant sur la nappe limpide,
En y plongeant son cou qu'enveloppe la ride,
Orne sans le ternir le liquide miroir,

Et s'y berce au milieu des étoiles du soir;

Mais si, prenant son vol vers des sources nouvelles,
Il bat le flot tremblant de ses humides ailes,
Le ciel s'efface au sein de l'onde qui brunit,
La plume à blancs flocons y tombe, et la ternit,
Comme si le vautour, ennemi de sa race,

De sa mort sur les flots avait semé la trace';

Et l'azur éclatant de ce lac enchanté

N'est plus qu'une onde obscure où le sable a monté!
Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette ame;
Le rayon s'éteignit; et sa mourante flamme
Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir;
Elle n'attendit pas un second avenir,

Elle ne languit pas de doute en espérance
Et ne disputa pas sa vie à la souffrance.
Elle but d'un seul trait le vase de douleur,
Dans sa première larme elle noya son coeur!

Et, semblable à l'oiseau, moins pur et moins beau

qu'elle,

Qui le soir pour dormir met son cou sous

Elle s'enveloppa d'un muet désespoir,

son aile,

Et s'endormit aussi; mais, hélas! loin du soir!

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ? Laissons le vent gémir et le flot murmurer; Revenez, revenez, ô mes tristes pensées !

Je veux rêver et non pleurer!

Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile,
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile;
Et le rapide oubli, second linceul des morts,

A couvert le sentier qui menait vers ces bords;
Nul ne visite plus cette pierre effacée,

Nul n'y songe et n'y prie! ... excepté ma pensée,
Quand remontant le flot de mes jours révolus,

Je demande à mon coeur tous ceux qui n'y sont plus!
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes,
Je pleure dans mon ciel tant d'étoiles éteintes !
Elle fut la première, et sa douce lueur

D'un jour pieux et tendre éclaire encor mon coeur !

Mais pourquoi m'entraîner vers ces scènes passées ?
Laissez le vent gémir et le flot murmurer;
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées!
Je veux rêver et non pleurer!

Un arbuste épineux, à la pâle verdure,
Est le seul monument que lui fit la nature;
Battu des vents de mer, du soleil calciné,
Comme un regret funèbre au coeur enraciné,
Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage;
La poudre du chemin y blanchit son feuillage,
Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés
Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés ;
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige,
Y flotte un jour ou deux; mais le vent qui l'assiége
L'effeuille, avant qu'elle ait répandu son odeur,
Comme la vie, avant qu'elle ait charmé le coeur!

Un oiseau de tendresse et de mélancolie

S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie!
Oh! dis, fleur que la vie a fait sitôt flétrir,
N'est-il pas une terre où tout doit refleurir...?

Remontez, remontez à ces heures passées !
Vos tristes souvenirs m'aident à soupirer!
Allez où va mon ame! Allez, ô mes pensées,
Mon coeur est plein, je veux pleurer!
Alph. de Lamartine.

Adieu.

Adieu! je crois qu'en cette vie
Je te ne reverrai jamais.

Dieu passe, il t'appelle et m'oublie;
En te perdant je sens que je t'aimais.

Pas de pleurs, pas de plainte vaine:
Je sais respecter l'avenir.

Vienne la voile qui t'emmène,

En souriant je la verrai partir.

Tu t'en vas pleine d'espérance,

Avec orgueil tu reviendras;

Mais ceux qui vont souffrir de ton absence,
Tu ne les reconnaîtras pas.

Adieu tu vas faire un beau rêve

Et t'enivrer d'un plaisir dangeureux;
Sur ton chemin l'étoile qui se lève
Longtemps encore éblouira tes yeux.

Un jour tu sentiras peut-être

Le prix d'un coeur qui nous comprend,
Le bien qu'on trouve à le connaître,
Et ce qu'on souffre en le perdant.

Musset.

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