Page images
PDF
EPUB

Un tel secret valait toute son âme,
S'il l'avait su.

Si j'avais su, moi-même, à quel empire
On s'abandonne en regardant ses yeux,
Sans le chercher comme l'air qu'on respire,
J'aurais porté mes jours sous d'autres cieux.
Il est trop tard pour renouer ma vie,
Ma vie était un doux espoir deçu:
Diras-tu pas, toi qui me l'as ravie,

Si j'avais su!

Mme Desbordes-Valmore.

Romance.

Je ne sais plus d'où naissait ma colère;
Il a parlé .... Ses torts sont disparus,
Ses yeux priaient, sa bouche voulait plaire;
Où fuyais-tu ma timide colère ?

Je ne sais plus.

Je ne veux plus regarder ce que j'aime;
Dès qu'il sourit tout mes pleurs sont perdus :
En vain par force ou par douceur suprême,
L'amour et lui veulent encor que j'aime.
Je ne veux plus.

Je ne sais plus le fuir en son absence,
Tous mes sermons alors sont superflus.
Sans me trahir, j'ai bravé sa présence;
Mais sans mourir supporter son absence,
Je ne sais plus !

Mme Desbordes-Valmore.

A toi.

Puisqu'ici bas toute âme
Donne à quelqu'un

Sa musique, sa flamme,
Ou son parfum;

Puisqu'ici toute chose
Donne toujours

Son épine ou sa rose

A ses amours;

Je te donne à cette heure,
Penché sur toi,

La chose la meilleure

Que j'aie en moi !

Reçois donc ma pensée,

Triste d'ailleurs, Qui, comme une rosée,

T'arrive en pleurs !

Reçois mes voeux sans nombre,
O mes amours!
Reçois la flamme ou l'ombre

De tous mes jours!

Mes transports pleins d'ivresses,

Purs de soupçons,

Et toutes les caresses

De mes chansons !

Mon esprit qui sans voile

Vogue au hasard,

Et qui n'a pour étoile

Que ton regard!

Ma muse que les heures

Bercent rêvant,

Qui, pleurant quand tu pleures,

Pleure souvent !

Reçois, mon bien céleste,

O ma beauté,

Mon coeur dont rien ne reste,

L'amour ôté !

La fille d'O-Taïti.

„O! dis-moi, tu veux fuir? et la voile inconstante „Va bientôt de ces bords l'enlever à mes yeux ? Cette nuit j'entendais, trompant ma douce attente, Chanter les matelots qui rempliaient leur tente! „Je pleurais à leurs cris joyeux!

„Pourquoi quitter notre île? En ton île étrangère, "Les cieux sont-ils plus beaux? a-t-on moins de douleurs ?

„Les tiens, quand tu mourras, pleureront-ils leur frère ? Couvriront-ils tes os du plane funéraire,

[ocr errors]

"Dont on ne cueille pas des fleurs?

„Te souvient-il du jour où les vents salutaires
T'amenèrent vers nous pour la première fois ?
„Tu m'appelas de loin sous nos bois solitaires,
Je ne t'avais point vu jusqu'alors sur nos terres,
"Et pourtant je viens à ta voix.

„Oh! j'étais belle alors; mais les pleurs m'ont flétrie. „Reste, ô jeune étranger! ne me dis pas adieu! Ici, nous parlerons de ta mère chérie;

"Tu sais que je me plais aux chants de ta patrie, 1 „Comme aux louanges de ton Dieu!

"

Tu rempliras mes jours; à toi je m'abandonne. „Que t'ai-je fait pour fuir? Demeure sous nos cieux „Je guérirai tes maux, je serai douce et bonne, Et je t'appellerai du nom que l'on te donne „Dans le pays de tes ayeux!

„Je serai, si tu veux, ton esclave fidèle, Pourvu que ton regard brille à mes yeux ravis; „Reste, ô jeune étranger! reste, et je serai belle; Mais tu n'aimes qu'un tems, comme notre hirondelle: „Moi, je t'aime comme je vis.

„Hélas, tu veux partir.

Aux monts qui t'ont vu naître

"Sans doute quelque vierge espère ton retour.

„Eh bien! daigne avec toi m'emmener, ô mon maître!

„Je lui serai soumise, et l'aimerai peut-être,

"Si ta joie est dans son amour.

„Loin de mes vieux parens, qu'un tendre orgueil enivre „Du bois où dans tes bras j'accourus sans effroi, Loin des fleurs, des palmiers, je ne pourrai plus vivre. „Je mourrai seule ici. Va, laisse-moi te suivre, „Je mourrai du moins près de toi.

Si l'humble bananier accueillit ta venue, „Si tu m'aimas jamais, ne me repousse pas.

„Ne t'en va pas sans moi dans ton île inconnue, „De peur que ma jeune âme, errante dans la nue, N'aille seule suivre tes pas!"

Quand le matin dora les voiles fugitives,
En vain on la chercha sous son dôme léger;
On ne la revit plus dans les bois, sur les rives.
Pourtant la douce vierge, aux paroles plaintives,
N'était pas avec l'étranger.

Victor Hugo.

Attente.

Monte, écureuil, monte au grand chêne,
Sur la branche des cieux prochaine,
Qui plie et tremple comme un jonc.
Cigogne, aux vieilles tours fidèle
Oh! vole! et monte à tire d'aile
De l'église à la citadelle,

Du haut clocher au grand donjon.

Vieux aigle, monte de ton aire
A la montagne centenaire
Que blanchit l'hiver éternel;
Et toi qu'en ta couche inquiète
Jamais l'aube ne vit muette,
Monte, monte, vive alouette,
Vive alouette, monte au ciel !

Et maintenant, du haut de l'arbre,
Des flèches de la tour de marbre,
Du grand mont, du ciel enflammé,

« PreviousContinue »