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J'ai captivé plus d'une belle,

Mais mon coeur, ah! croyez-moi bien,

Les donnerait toutes pour celle,

Qui ne m'a jamais donné rien.

Quoique Céline soit charmante,
Je ne suis heureux qu'à demi,
Quoiqu'elle ait le coeur d'une amante,
Je n'ai que les droits d'un ami.
Mais en vain son âme rebelle
Refuse un plus tendre lien:
Je donnerais mes jours pour celle,
Qui ne m'a jamais donné rien.

C'est ainsi, que sous la ramée
Chantait un soir le troubadour,
Non loin de là sa bien-aimée
Entendit ces accents d'amour.
Or, il obtint de cette belle
Un prix, qu'il méritait si bien;
Il eut un doux baiser de celle,
Dont il n'avait eu jamais rien.

Millevoye.

L'inquiétude.

Sais-tu pourquoi cet inquiet tourment
De mon bonheur empoisonne l'îvresse?
Sais-tu pourquoi dans le plus doux moment
Mon oeil distrait se voile de tristesse?
Pourquoi souvent à ta main qui la presse

Ma froide main répond négligemment ?

Le sais-tu? Non. Connais donc ma faiblesse.
Ris, tu le peux, de mes travers nouveaux :
Je suis jaloux, et jaloux sans rivaux !
Quand le présent m'énivre de délices,
Dans le passé je cherche des supplices.
Ton coeur, réponds sans nul déguisement,
N'a-t-il battu que pour moi seulement?
Durant les nuits, à l'heure où tout sommeille,
Jamais, dis-moi, les traits d'un autre amant
N'ont-ils troublé tes songes ni ta veille?
Le regard fixe et le sein oppressé,
Te rappelant une image trop chère,
N'as-tu jamais, le soir, près de la mère
Laissé tomber le travail commencé ?

Tu me dis j'aime, et d'une voix si tendre,
Ce mot charmant, pour moi seul l'as-tu dit?
Que sais-je? Un autre avant moi l'entendit
Peut-être !... Eh bien! je ne puis plus l'entendre.
Pardonne, hélas! dans mon trouble fatal,
Je te parais injuste, ingrat; mais j'aime!
Ah! songe bien que pour l'amour extrême
Un souvenir est encore un rival.

Millevoye.

Le bouton de rose.

Bouton de rose,

Tu seras plus heureux que moi;
Car je te destine à ma Rose,

Et ma Rose est ainsi que toi
Bouton de rose.

Au sein de Rose

Heureux bouton, tu vas mourir.
Moi, si j'étais bouton de rose,
Je ne mourrais que de plaisir
Au sein de Rose.

Au sein de Rose

Tu pourras trouver un rival;
Ne joûte pas, bouton de rose,
Car, en beauté, rien n'est égal
Au sein de Rose.

Bouton de rose,

Adieu, Rose vient, je la voi :

S'il est une métempsychose,

Grands dieux, par pitié, rendez-moi

Bouton de rose!

La princesse Constance de Salm.

Adieux d'une amie.

Je vous quitte à regret, les dieux m'en sont temoins: Puissent-ils vous bénir! Je confie à vos soins

Les plantes, que par choix cultivait ma tendresse, Les rameaux, que mes dons courbaient sous leur

richesse,

Les oiseaux familiers qui, nourris dans ces bois, Descendaient sur ma trace et venaient à ma voix. Qu'au lever du soleil ma gazelle chérie

Trouve sur vos genoux l'onde et l'herbe fleurie; En souvenir de moi protégez-la toujours;

Mêlez, en lui parlant, mon nom à vos discours. Casimir Delavigne.

Maudit printemps.

Je la voyais de ma fenêtre

A la sienne tout cet hiver;

Nous nous aimions sans nous connaître ;
Nos baisers se croisaient dans l'air;
Entre ces tilleuls sans feuillage,
Nous regarder comblait nos jours.
Aux arbres tu rends leur ombrage;
Maudit printemps, reviendras-tu toujours ?

Il se perd dans leur voûte obscure,
Cet ange éclatant, qui là-bas
M'apparut, jetant la patûre

Aux oiseaux, un jour de frimas:
Ils l'appelaient, et leur manège
Devint le signal des amours.

Non, rien d'aussi beau que la neige!
Maudit printemps, reviendras-tu toujours ?

Sans toi, je la verrais encore
Lorsqu'elle s'arrache au repos,

Fraîche, comme on vous peint l'Aurore
Du jour entr' ouvrant les rideaux.
Le soir encor je pourrais dire:
Mon étoile achève son cours;

Elle s'endort, sa lampe expire.

Maudit printemps, reviendras-tu toujours ?

C'est l'hiver, que mon coeur implore;
Ah! je voudrais, qu'on entendît
Tinter sur la vitre sonore

Le grésil léger, qui bondit.

Que me fait tout ton vieil empire,

Tes fleurs, tes zéphirs, tes longs jours?
Je ne la verrai plus sourire.

Maudit printemps, reviendras-tu toujours ?

Béranger.

S'il l'avait su!

S'il avait su quelle âme il a blessée,
Larmes du coeur, s'il avait pu vous voir,
Ah! si ce coeur, trop plein de sa pensée,
De l'exprimer eût gardé le pouvoir,
Changer ainsi n'eût pas été possible;
Fier de nourrir l'espoir qu'il a déçu,
A tant d'amour il eût éte sensible,
S'il l'avait su.

S'il avait su tout ce qu'on peut attendre
D'une âme simple, ardente et sans détour,
Il eût voulu la mienne pour l'entendre;
Comme il l'inspire, il eût connu l'amour.
Mes yeux baissés recélaient cette flamme,
Dans leur pudeur n'a-t-il rien aperçu?

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