Page images
PDF
EPUB

La nacelle.

Voyez cette nef, dont la voile
Brille d'or, de pourpre et d'azur,
Glisser sur l'eau comme l'étoile
Qui traverse un ciel calme et pur.

Sans doute sur un lit de roses,
Fatigué de divins plaisirs,

Ange des amours, tu reposes,
Bercé du souffle des zéphirs ...

Oh! viens aborder dans notre île!
Les ombrages y sont si doux! ...
Mais voyez, à nos voeux docile,
Comme il se dirige vers nous.

Tressez des guirlandes légères,
Parez votre front ingénu!

Mortel ou dieu, jeunes bergères,
Qu'il soit ici le bien-venu!.....

Mais d'effroi mon âme est glacée ...

Ciel! à mon oeil épouvanté,

Dans une barque fracassée,

S'offre un jeune homme ensanglanté.

„Creusez mon réduit funéraire,

„Faites cette aumône à mon deuil,"

Dit-il. J'ai reçu le salaire

[blocks in formation]
[ocr errors]

M'a criblé d'un plomb homicide
Et laissé dans ce triste état.

„Adieu, mes amis ... Soyez sages.
„Je meurs: profitez de mon sort,
„Et, pour faire d'heureux voyages,
N'arborez point pavillon dor.“

Reboul.

Souvenir d'enfance.

Revenez, revenez, beaux jours de mon enfance,
De votre aspect riant charmer ma souvenance,
Comme dans le désert brûlant et spacieux
Sur la verte oasis se reposent les yeux.

Mon coeur, mon pauvre coeur, à la tristesse en proie,
En fouillant le passé vous retrouve avec joie,
Jours naïfs, plaisirs purs, emportés par le temps,
Ainsi que le parfum des fleurs par les autans;
Quand notre bon curé, d'un doigt glacé par l'âge,
Me caressait la joue et me disait: Sois sage!
Quand mes pieuses mains, aux prières du soir,
Pour ranimer ses feux balançaient l'encensoir:
Alors que, réveillé bien avant la lumière,
Pour mon premier voyage, à travers la portière,
Surpris, je contemplais dans l'Orient lointain,
Pour la première fois, trois heures du matin!
Quand, pour trouver des nids, fouillant dans ces
bocages,

Le Vistre me voyait explorer ses rivages,

Et dans ses fraîches eaux trompant l'ardent midi,
Goûter tout les plaisirs du vagabond jeudi,
Jour alors le plus beau de tout la semaine,

Où l'écolier se voit affranchi de sa chaîne:
Ni sombre magister qui le fasse pâlir,

Ni de ces beaux habits que l'on craint de salir,
Qui me rendaient des jours de fête et de dimanche,
Quand j'en étais paré, l'allégresse moins franche.

Mais d'où vient que ces temps que j'invoque aujour

d'hui

Pour pouvoir arracher mon âme à son ennui,
La ramènent encore à sa tristesse amère ?
Hélas! c'est que bientôt je vis pleurer ma mère:
Mon père s'en alla par ce mal triste et lent
Qui fait voir chaque jour le soleil moins brillant,
Qui fait passer des nuits aux longues insomnies,
Qui, pour un seul trépas donnant vingt agonies,
Enlève fil à fil la trame de nos jours,

Où l'art ne peut donner que d'impuissants secours.
Que de fois, loin du lit où gisait sa souffrance,
Ma mère avec des yeux qui cherchaient l'espérance,
A dit au médecin qui nous donnait ses soins!
Ne le trouvez-vous pas mieux qu'hier?

moins.

Beaucoup

Et ses yeux se mouillaient de larmes, et le miennes
Se mettaient à couler, voyant couler les siennes.
Puis elle me disait: Pourquoi gémir ainsi?
Enfant, de jour en jour tu deviens pâle aussi.

Bientôt dans la maison nous aurons deux malades

Va te distraire avec tes jeunes camarades.
Et, sortant pour aller essayer le bonheur,
J'entendais une voix me dire au fond du coeur :
Comment te réjouir quand ta famille pleure!
Et, triste, je rentrais dans ma pauvre demeure,
Et, le front dans la main, sur la table accoudé,
Je me sentais encor de larmes inondé.

Reboul.

L'adolescent.

Jeunes, contre la vie, amis, pourquoi s'aigrir ?
N'écartons point la coupe où notre âge s'enivre.
C'est quand le cygne va mourir,
Qu'il chante le bonheur de vivre.

La vie est un fardeau si doux!

Si du nom de fardeau l'homme souvent l'appelle :
Amis, les beaux jours sont pour nous,
Dans la saison du coeur la vie est toujours belle.

Age heureux où fleurit un frais adolescent!

De chastes voluptés le sentiment l'inonde;
Comme un rayon du ciel l'amour vers lui descend,
Et remonte avec lui dans le céleste monde.

Là, sa pensée anime un être gracieux:

Et lorsque devant lui, dans l'ombre du mystère Une beauté pensive apparaît sur la terre,

Sur la terre auprès d'elle il retrouve les cieux.

Comme l'abeille matinale

Qui sur les fleurs des champs promène ses plaisirs, Vers de plus tendres fleurs, dans de vagues désirs, Vole son ame virginale.

Mais son front inspiré salue un plus beau jour,
Un feu plus rayonnant jaillit de sa prunelle:
L'enthousiasme ardent l'emporte sur son aile,
La gloire vient brûler ce coeur brûlant d'amour.

Il veut sur l'horizon porter au loin sa tête
Ceinte de lauriers éclatants;

Il veut que l'avenir devienne sa conquête,
Que son nom voyageur passe au-delà des temps.

Il foule avec orgueil les grandeurs de la terre ;
Les sceptres oubliés s'abaissent à sa voix.
Le sort jeta les rois au-dessus du vulgaire,
Le génie au-dessus des rois.

Age heureux! tout est beau, tout devient une fête:
Comme un parfum suave il va s'évaporant.
Oh! qu'alors est à plaindre un précoce mourant,
Quand il laisse après lui sa moisson imparfaite !

S'il tombe, comme un lis avant l'heure fané,
Le soir, dans le silence, une vierge timide,
Rêveuse, et vers le ciel levant un oeil humide,
S'écrie en soupirant: „O jeune infortuné!"

"

Belmontet.

« PreviousContinue »