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Songes qui descendaient, qui remontaient si beaux,
Pressentiments divins, intimes confidences,
Lectures, rêverie, entretiens, doux silences,
Table riche des dons que l'automne étalait,
Où les fruits du jardin, où le miel et le lait,
Assaisonnés des soins d'une mère attentive,
De leur luxe champêtre enchantaient le convive,
Silencieux réduit où des rayons de bois,
Par l'âge vermoulus et pliant sous le poids,
Nous offraient ces trésors de l'humaine sagesse
Où nos yeux altérés puisaient jusqu'à l'ivresse,
Où la lampe avec nous veillant jusqu'au matin,
Nous guidait au hasard, comme un phare incertain,
De volume en volume; hélas! croyant encore
Que le livre savait ce que l'auteur ignore,
Et que la vérité, trésor mystérieux,

Pouvait être cherchée ailleurs que dans les cieux!
Scènes de notre enfance, après quinze ans rêvées,
Au plus pur de mon coeur impressions gravées,
Lieux, noms, demeure, et vous, aimables habitants,
Je vous revois encore après un si long temps,
Aussi présents à l'oeil que le sont des rivages
A l'onde dont le cours reflète les images;
Aussi frais, aussi doux, que si jamais les pleurs
N'en avaient dans mes yeux altéré les couleurs ;
Et vos riants tableaux sont à mon ame aimante
Ce qu'au navigateur battu par la tourmente,
Sont les songes dorés qui lui montrent de loin
Le rivage chéri, de son bonheur témoin,

L'ondoyante moisson que sa main a semée,
Et du toit paternel le seuil, ou la fumée !

Alph. de Lamartine.

Adieux au collège de Belley.

Asile vertueux qui formas mon enfance
A l'amour des humains, à la crainte des dieux,
Où je sauvai la fleur de ma tendre innocence,
Reçois mes pleurs et mes adieux.

Trop tôt je t'abandonne; et ma barque légère,
Ne cédant qu'à regret aux volontés du sort,
Va se livrer aux flots d'une mer étrangère,
Sans gouvernail et loin du bord.

O vous dont les leçons, les soins et la tendresse,
Guidaient mes faibles pas au sentier des vertus,
Aimables sectateurs d'une aimable sagesse,

Bientôt je ne vous verrai plus!

Non, vous ne pourrez plus condescendre et sourire A ces plaisirs si purs, pleins d'innocens appas; Sous les poids des chagrins si mon âme soupire, Vous ne la consolerez pas.

En butte aux passions, au fort de la tourmente, Si leur fougue, un instant, m'écartait de vos lois, Puisse au fond de mon coeur votre image vivante Me tenir lieu de votre voix !

Qu'elle allume en mon coeur un remords salutaire, Qu'elle fasse couler les pleurs du repentir,

Et que des passions l'ivresse téméraire

Se calme à votre souvenir.

Et toi, douce amitié, viens, reçois mon hommage;
Tu m'as fait dans tes bras goûter de vrais plaisirs :
Ce dieu tendre et cruel, qui m'attend au passage

Ne fait naître que des soupirs.

Ah! trop volage enfant, ne blesse point mon âme
De ces traits dangereux puisés dans ton carquois !
Je veux que le devoir puisse approuver ma flamme,
Je ne veux aimer qu'une fois.

Ainsi dans la vertu ma jeunesse formée
Y trouvera toujours un appui tout nouveau,
Sur l'océan du monde une route assurée,
Et son espérance au tombeau.

A son dernier soupir, mon âme défaillante
Bénira les mortels qui firent mon bonheur ;
Ou entendra redire à ma bouche mourante
Leurs noms si chéris de mon coeur.

Alphonse de Lamartine.

Le vrai bonheur.

J'ai fait le tour des choses de la vie ;
J'ai bien erré dans le monde de l'art :
Cherchant le beau, j'ai poussé le hasard;
Dans mes efforts la grâce s'est enfuie.

A bien de coeurs où la joie est ravie
J'ai demandé du bonheur, mais trop tard!

A maint orage, éclos sous un regard,
J'ai dit: „Renais, ô flamme évanouie !"
Et j'ai trouvé, bien las enfin et mûr,
Que pour l'art même et sa beauté plus vive,
Il n'est rien tel, qu'une grâce naïve;

Et qu'en bonheur il n'est charme plus sûr,
Fleur plus divine aux gazons de la rive,
Qu'un jeune coeur embelli d'un front pur.

Sainte Beuve.

La pauvre fille.

J'ai fui ce penible sommeil,

Qu'aucun songe heureux n'accompagne,

J'ai devancé sur la montagne

Les premiers rayons du soleil.

S'eveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs;
Sa mère lui portait sa douce nourriture ...
Mes yeux se sont mouillés des pleurs!

Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère?

Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau, Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau? Rien ne m'appartient sur la terre;

Je n'ai pas même de berceau,

Et je suis un enfant trouvé sur une pierre
Devant l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,

De leurs embrassements j'ignore la douceur;

Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur soeur.
Je ne partage les jeux de la veillée;
Jamais sous son toit de feuillée,
Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir;
Et de loin je vois sa famille

Autour du sarment, qui pétille,

Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière,

En pleurant, j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas,

Où je ne sois point étrangère,
La seule devant moi, qui ne se ferme pas.
Souvent je contemple la pierre,

Où commencèrent mes douleurs ;
J'y cherche la trace des pleurs,
Qu'en m'y laissant, peut-être y répandit ma mère.

Souvent aussi mes pas errants Parcourent des tombeaux l'asile solitaire ; Mais pour moi les tombeaux sont tous indifferents: La pauvre fille est sans parents

Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre.

J'ai pleuré quatorze printemps,
Loin des bras qui m'ont repoussée,
Reviens, ma mère; je t'attends
Sur la pierre où tu m'as laissée.

A. Soumet.

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