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De jamais voir, Seigneur! l'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,

La maison sans enfans!

Victor Hugo.

Enfants, je songe à vous!

A quoi je songe? - Hélas! loin du toit où vous êtes, Enfants, je songe à vous! à vous, mes jeunes têtes, Espoir de mon été déjà penchant et mûr,

Rameaux dont, tous les ans, l'ombre croît sur mon mur, Douces âmes peine au jour épanouies,

Des rayons de votre aube encor tout éblouies!

Je songe aux deux petits qui pleurent en riant,
Et qui font gazouiller sur le seuil verdoyant,
Comme deux jeunes fleurs qui se heurtent entr'elles,
Les jeux charmants mêlés de charmantes querelles !
Et puis, père inquiet, je rêve aux deux aînés
Qui s'avancent déjà de plus de flot baignés,
Laissant pencher parfois leur tête encor naïve,
L'un déjà curieux, l'autre déjà pensive!

Seul et triste au milieu des chants des matelots,
Le soir, sous la falaise, à cette heure où les flots,
S'ouvrant et se fermant comme autant de narines,
Mêlent au vent des cieux mille haleines marines,
Où l'on entend dans l'air d'ineffables échos

Qui viennent de la terre ou qui viennent des eaux, Ainsi je songe! à vous, enfants, maison, famille, A la table qui rit, au foyer qui pétille,

A tous les soins pieux que répandent sur vous
Votre mère si tendre et votre aïeul si doux!

Et tandis qu'à mes pieds s'étend, couvert de voiles,
Le limpide océan, ce miroir des étoiles,

Tandis que les nochers laissent errer leurs yeux
De l'infini des mers à l'infini des cieux,

Moi, rêvant à vous seuls, je contemple et je sonde
L'amour que j'ai pour vous dans mon âme profonde,
Amour doux et puissant qui toujours m'est resté,
Et cette grande mer est petite à côté.

Victor Hugo.

La prière pour tous.

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(Fragments.)

Ma fille! va prier. Vois, la nuit est venue.
Une planète d'or là-bas perce la nue;

La brume des coteaux fait trembler le contour;
A peine un char lointain glisse dans l'ombre... Écoute!
Tout rentre et se repose; et l'arbre de la route
Secoue au vent du soir la poussière du jour!

Le crépuscule, ouvrant la nuit, qui les recèle,
Fait jaillir chaque étoile en ardente étincelle;
L'occident amincit sa frange de carmin;

La nuit de l'eau dans l'ombre argente la surface;
Sillons, sentiers, buissons, tout se mêle et s'efface;
Le passant inquiet doute de son chemin.

Le jour est pour le mal, la fatigue et la haine.
Prions: voici la nuit! la nuit grave et sereine!

Le vieux pâtre, le vent aux brèches de la tour,
Les étangs, les troupeaux, avec leur voix cassée,
Tout souffre et tout se plaint. La nature lassée
A besoin de sommeil, de prière et d'amour!

C'est l'heure où les enfans parlent avec les anges. Tandis que nous courons à nos plaisirs étranges, Tous les petits enfans, les yeux levés au ciel, Mains jointes et pieds nus, à genoux sur la pierre, Disant à la même heure une même prière,

Demandent pour nous grâce au père universel!

Et puis ils dormiront.

Alors, épars dans l'ombre,

Les rêves d'or, essaim tumultueux, sans nombre,
Qui naît aux derniers bruits du jour à son déclin,
Voyant de loin leur souffle et leurs bouches vermeilles,
Comme volent aux fleurs de joyeuses abeilles,
Viendront s'abattre en foule à leurs rideaux de lin!

O sommeil du berceau! prière de l'enfance!
Voix qui toujours caresse et qui jamais n'offense!
Douce religion, qui s'égaie et qui rit!

Prélude du concert de la nuit solonnelle !
Ainsi que l'oiseau met sa tête sous son aile,
L'enfant dans la prière endort son jeune esprit !

Va donc prier pour moi!

Dis pour toute prière:

-Seigneur! Seigneur! mon Dieu, vous êtes notre père, Grâce, vous êtes bon! grâce, vous êtes grand!

Laisse aller ta parole où ton âme l'envoie;

Ne t'inquiète pas, toute chose a sa voie,

Ne t'inquiète pas du chemin, qu'elle prend!

Il n'est rien ici-bas, qui ne trouve pas sa pente.
Le fleuve jusqu'aux mers dans les plaines serpente ;
L'abeille sait la fleur, qui recèle le miel.

Toute aile vers son but incessamment retombe:
L'aigle vole au soleil, le vautour à la tombe,
L'hirondelle au printemps et la prière au ciel !

Comme une aumône, enfant, donne donc ta prière
A ton père, à ta mère, aux pères de ton père:
Donne au riche à qui Dieu refuse le bonheur,
Donne au pauvre, à la veuve, au crime, au vice im-
monde.

Fais en priant le tour des misères du monde ;

Donne à tous! donne aux morts! Enfin donne au

Seigneur!

Quoi! murmure ta voix, qui peut parler et n'ose, Au Seigneur, au Très-Haut manque-t-il quelque chose? Il est le saint des saints, il est le roi des rois !

Il se fait des soleils un cortège suprême!

Il fait baisser la voix à l'océan lui-même !

Il est seul! Il est tout! à jamais! à la fois!

Enfant, quand tout le jour vous avez en famille,
Tes deux frères et toi, joué sous la charmille,
Le soir vous êtes las, vos membres sont pliés;
Il vous faut un lait pur et quelques noix frugales,

Et baisant tour à tour vos têtes inégales,

Votre mère à genoux lave vos faibles pieds.

Hé bien! il est quelqu'un dans ce monde où nous sommes,

Qui tout le jour aussi marche parmi les hommes,
Servant et consolant, à toute heure, en tout lieu,
Un bon pasteur, qui suit sa brébis égarée,

Un pélerin, qui va de contrée en contrée
Ce passant, ce pasteur, ce pélerin, c'est Dieu!

Le soir il est bien las! il faut, pour qu'il sourie,
Une âme, qui le serve, un enfant, qui le prie,
Un peu d'amour! O toi, qui ne sais pas tromper,
Porte-lui ton coeur plein d'innocence et d'extase,
Tremblante et l'oeil baissé, comme un précieux vase
Dont on craint de laisser une goutte échapper!

Porte-lui ta prière! et quand, à quelque flamme,
Qui d'une chaleur douce emplira ta jeune âme,
Tu verras, qu'il est proche, alors, ô mon bonheur,
O mon enfant! sans craindre affront, ni raillerie,
Verse, comme autrefois Marthe, soeur de Marie,
Verse tout ton parfum sur les pieds du Seigneur!
Victor Hugo.

„Dors-tu?

--

La grand' mère.

réveille-toi, mère de notre mère !

D'ordinaire en dormant ta bouche remuait;

Car ton sommeil souvent ressemble à ta prière.

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