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des gens riches. Un soir que j'avais une réunion assez nombreuse, pendant que je parlais, on tira très fortement la sonnette à la porte de la rue. Notre servante, qui était une personne pieuse, alla voir qui était là. En même temps quatre hommes mal vêtus, tenant de grands bâtons à la main, entrèrent par une autre porte dans notre assemblée. La servante revint sur-le-champ me dire tout bas avec quelque émotion : « C'est M. V...... qui vient vous prier de vous séparer, car voici la canaille qui arrive avec ses quatre chefs armés de massues. » Je lui répondis en me tournant vers les personnes présentes: «Oh! nous ne craignons rien, lorsque nous faisons l'ouvrage de notre maître. Celui qui est pour nous est plus grand que tous ceux qui peuvent être contre nous.» Ainsi je continuai mon discours jusqu'à la fin. Comme j'avais des feuilles qui contenaient les réglemens de la société, pour les distribuer ce soir-là, je m'adressai d'abord aux quatre hommes qui se tenaient debout devant moi, en leur expliquant ce que c'était; je leur demandai s'ils voulaient avoir une de ces brochures. Ils la reçurent avec un salut respectueux, et se retirèrent. Qui étaient ces gens, et quel était leur dessein? c'est ce que j'ignore encore. Ce soir-là nous n'entendîmes plus parler de ces sortes de gens. La main du Seigneur nous protégeait, nous soutenait et nous consolait de toutes nos peines.

Notre ménage ne se composait que de quatre personnes, mon amie Mme Ryan, la servante et

Sally Laurence, petite orpheline d'environ quatre ans, que je venais de recueillir chez moi, l'ayant trouvée à côté du cercueil de sa mère. Notre maison était située fort près de la forêt, et je ne crois pas qu'aucune des personnes réveillées (1) demeurât plus près de nous qu'à la distance d'une demi-lieue. Nous vivions dans un désert, mais le Seigneur était avec nous, et nous étions préservées à l'ombre de son amour tout puissant. Toutefois l'ennemi tournait autour de nous comme un lion rugissant (1.SaintPierre, v, 8). Le dimanche, lorsque la nuit était sombre, après la réunion de la société, la populace avait coutume de se rassembler devant la porte pour jeter de la boue aux personnes qui sortaient, et se précipiter ensuite dans la cour où elle brisait tout ce qu'elle trouvait sur son passage; ensuite, s'approchant d'une fenêtre, elle faisait un grand bruit comme des hurlemens de bêtes sauvages.

Une nouvelle carrière s'ouvrit alors devant nous. Dès ma dix-septième année, je désirais élever des enfans, et devenir sous tous les rapports une servante de l'Église. Le passage suivant de saint Paul se présentait sans cesse à mon esprit : Qu'elle ait le témoignage d'avoir bien élevé des enfans, d'avoir exercé l'hospitalité, secouru les affligés, et de s'être appliquée à toutes les bonnes œuvres (1 Tim., v, 10). J'étais bien persuadée qu'il n'y a de bonnes œuvres que celles qu'on fait par amour pour Dieu; c'est pourquoi nous priâmes le Seigneur tous les jours de

(1) Dans la vie religieuse.

nous découvrir toute sa volonté, et de ne pas permettre que nous nous détournions de sa voie, même dans les moindres choses.

Dès lors la divine Providence nous amena à nous occuper de petites orphelines. Nous n'avions pas beaucoup de fortune, néanmoins nous espérions élever quelques enfans, sans négliger nos devoirs envers les adultes. Nous prîmes la résolution de n'avoir que des indigentes, afin de pouvoir les élever selon notre plan. Nous n'ignorions pas que la conversion des cœurs appartient à Dieu, mais nous nous rappelâmes qu'il y a une bénédiction promise aux enfans qui sont élevés dans la voie dans laquelle ils doivent marcher (Proverbes, XXII, 6). Nous savions aussi que bien des bien des personnes ont été préservées de leur perte parce qu'on les avait mises en état de gagner leur vie d'une manière honnête. Pendant quelque temps nous n'eûmes que six petites orphelines qui se présentèrent à nous. Nous trouvâmes que les soins que nous donnions à ces orphelines nous prenaient trop de temps; mon amie Mme Ryan étant souvent malade, nous prîmes à notre service une jeune femme pieuse nommée Anne Tripp, qui désirait de se consacrer au service de Dieu. Elle devint gouvernante des enfans, dont le nombre augmentaît continuellement. Des femmes pieuses furent admises aussi à faire partie de notre ménage, et chacune avait ses devoirs assignés. Nous avons reçu en tout trente-cinq enfans et trente-quatre grandes. personnes, mais pas toutes à la fois.

Nous trouvâmes assez de choses à faire, et il nous tardait de nous débarrasser de tout souci inutile; pour y parvenir et pour éviter de céder aux usages vaniteux du monde, nous crûmes qu'il valait mieux n'avoir, pour toutes les personnes de la maison, qu'un genre de vêtement uniforme, et d'une même couleur foncée. Nous avions une grande salle, dans laquelle nous mangions ensemble à la même table; nous y faisions nos prières le matin et le soir, et dans plusieurs autres occasions. Mais en général les enfans étaient avec leur gouvernante dans leur chambre commune, et les autres sœurs dans leurs appartemens.

Quand les habitans de ma maison commencèrent à s'augmenter si rapidement, il faut avouer que je n'avais pas de moyens proportionnés à l'entreprise; mais il me semblait que Dieu m'appelait à la suivre, et nous continuâmes notre œuvre avec cette confiance dont le professeur Franke fait mention dans un livre intitulé «Les Voies de la divine Providence,» dans lequel il donne une description de la maison des orphelines à Halle en Allemagne, maison fondée par lui-même.

Je ne conseillerai à personne de ne pas proportionner ses dons à ses ressources, à moins d'avoir reçu de Dieu l'impulsion que j'aie sentie; car assurément la charité bien ordonnée s'accorde avec la justice, et c'est bien rarement que Dieu nous invite à donner plus que nous ne possédons.

Toutefois, je dois faire observer que j'avais une

fortune considérable, et quoiqu'elle ne parût pas suffisante pour faire réussir toutes mes entreprises, je n'avais pas lieu de craindre dans ce moment de m'endetter; je ne courais que le risque de dépenser tout ce que je possédais; mais le Seigneur semblait m'assurer que je ne serais pas délaissée.

Nous suppliâmes de jour en jour le bon Dieu de nous communiquer son esprit de lumière et d'amour, pour élever ces enfans à sa gloire. Je vais tâcher de mettre par écrit quelques-unes des réflexions qui se présentèrent alors à mon esprit. La plupart de nos orphelines étant dénuées de tout, sales ou même affligées de maladies diverses; la première chose à faire était de les rendre propres, de les vêtir et d'améliorer leur santé, ce que nous parvenions à exécuter, en même temps que nous tâchions de les amener à se conformer aux règles de la maison, et à se corriger de la grossièreté de leurs manières ; ceci n'était pas difficile à obtenir, parce qu'un enfant imite en général ce qu'il voit faire aux autres. La seconde était de leur faire bien comprendre que nous n'avions aucun autre motif pour les recevoir dans notre maison que celui de l'amour de leurs ames et de leurs corps, que nous voulions sauver leurs corps de la misère, et leurs ames de la perdition éternelle.

Nous tâchions de leur faire connaître l'amour de Dieu, leur disant que c'était sa tendresse pour eux qui était la cause de la nôtre. C'était lui qui avait mis dans notre cœur le désir de faire du bien, et qui nous les avait amenées. Que c'était de sa main

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