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d'abord détourner la conversation; mais le torrent étant trop fort, il se leva, et s'appuyant sur le dos de sa chaise, il leur fit de graves représentations auxquelles il joignit le conseil affectueux de changer de discours, et quitta ensuite la compagnie. Étant avec lui un jour dans sa voiture, je l'ai vu faire arrêter les chevaux sur la route, pour réprimander des juremens impies.

Ma grand'mère était une femme d'un caractère très doux. Ayant acquis beaucoup de connaissances en médecine, elle donnait tant de soins et de secours aux pauvres, qu'ils la regardaient comme leur mère et leur médecin. Trois mois après la mort de son mari, elle le vit en songe lui adressant ces mots : «Vous viendrez bientôt me rejoindre, » et ajoutant: Sondez les Ecritures, sondez les Ecritures, car c'est par elles que vous croyez avoir la vie éternelle (Jean

39). Dès ce moment, elle s'appliqua à les étudier avec plus de zèle qu'auparavant, quoiqu'elle eût toujours eu une haute vénération pour la Parole de Dieu; et environ trois semaines après, elle s'endormit dans la paix du Sauveur.

A la même époque, on nous accorda plus de liberté. Un jour, pendant que ma sœur visitait Mme Lefèvre, M. Romaine (1) entra et commença à parler du mal qu'il y avait à aller à la comédie. Elle écouta ce qu'il dit avec beaucoup d'intérêt, et elle m'en fit part à son retour. Je fus convaincue qu'il

(1) Ministre évangélique d'un grand mérite.

avait raison, et je priai ardemment pour obtenir la grâce de pouvoir vivre selon la lumière que je venais de recevoir.

Quelques mois après, ma sœur se maria, et je restai seule. Jusqu'à cette époque, mes parens n'avaient eu que de légers soupçons que nous fussions en relation avec les méthodistes; mais lorsqu'ils eurent congédié la servante dont j'ai parlé et qu'ils nous eurent ôté nos livres, ils crurent que nos impressions religieuses s'étaient effacées. Je vis alors qu'il fallait confesser mon Sauveur devant les hommes, si je voulais que mon Sauveur me confessât devant son Père et les saints anges (Math. x, 32). Je consultai quelques-uns de mes amis sur le danger d'aller au spectacle; ils me dirent: « Si vous étiez plus âgée, nous saurions que vous conseiller, mais puisque vous n'avez encore que seize ans, si vos parens vous obligent à y aller, nous ne voyons pas comment vous pouvez l'éviter. » Je ne fus pas très contente de cette réponse, et j'étais extrêmement embarrassée. Je savais bien quel serait mon devoir, si je recevais un ordre absolu de mes parens; d'un autre côté, je me rappelais que mon obéissance envers eux devait être selon le Seigneur. Je priai pour être dirigée, et j'essayai d'examiner la question des deux côtés; mais plus je cherchais, plus il me paraissait clair que je ne devais pas obéir. Je pensais que l'effet des spectacles était d'affaiblir l'esprit de sainteté et de fortifier tout ce qui lui est contraire; de présenter le vice sous de fausses couleurs, de l'ériger même en vertu, et de

nous donner sous tous les rapports l'esprit du monde et l'apôtre nous a dit que l'amour du monde est inimitié contre Dieu (Jacques iv, 4).

Lorsqu'on exigea de moi à cette occasion une entière obéissance, je priai qu'on me laissât à lá maison; mais ma requête ayant été rejetée, je déclarai alors mes sentimens, et je dis en même temps à mon père que je ne me permettrais pas de lui désobéir, excepté dans les cas où ma conscience m'en ferait un devoir. Mon père et moi nous conversâmes sur ce sujet avec beaucoup de liberté; car il écoutait la raison avec calme. Il me répliqua : « Mon enfant, vos argumens prouvent trop, par conséquent ils ne prouvent rien. Si ce que vous dites est vrai, dans tous les divertissemens, toutes les assemblées, toutes les conversations enjouées, enfin dans tout l'esprit du monde, il y a péché. » Je saisis cette occasion pour lui dire « Monsieur, oui il est bien vrai : que cela est ainsi, et, par conséquent, je me suis décidée à ne plus me conformer à ses coutumes, à ses modes, et à ses maximes. » Ce fut un temps de grandes épreuves, mais le Seigneur m'assista; gloire soit à son saint nom!

Tous les jours, je voyais bien de la différence entre ma manière de vivre et celle que la Bible décrit comme la vie du chrétien. Je souhaitais ardemment de me donner tout entière au Seigneur. L'on me contrariait beaucoup sur ce que j'avais avoué mes sentimens; et ce qui m'était bien pénible, on m'empêchait souvent de voir mon amie Mme Le

fèvre. La crainte que j'avais de cette privation m'avait fait différer de déclarer mes opinions; mais je savais bien que si j'aimais mon amie plus que la loi de mon Dieu, je ne connaîtrais jamais le pouvoir de la religion.

Ma disposition naturelle est d'être dans une agitation continuelle sur ce qui concerne les personnes que j'aime, et de mettre en elles cette confiance illimitée qui n'est due qu'à Dieu : c'est ce que je fis avec Mme Lefèvre. Je vis mon erreur, j'en fus affligée, et je priai le Seigneur de purifier mes affections de toute idolâtrie, et de m'enseigner à l'aimer comme je le devais. Une nuit, je rêvai que j'étais dans une église où je crus voir ce commandement écrit sur les murailles en lettres d'or: Tu n'auras point d'autres dieux devant ma face (Exode, xx, 3). Pendant que je les regardais, je vis écrit au-dessous le nom de Mme Lefèvre; je fus surprise, et l'instant d'après je lus encore la ligne suivante : « Si c'est là ton Dieu, qui suis-je donc?» Je me réveillai avec une profonde conviction d'avoir placé trop de confiance dans un bras de chair (11 Chron., xxxii, et Jér., xvii, 5). Par ce témoignage, je sus que c'était la voix de Dieu qui m'instruisait ainsi, parce qu'une grande douceur se mêlait au reproche. Telle est la manière que le Seigneur a employée avec moi; il m'a toujours aidée d'une main, tandis qu'il me corrigeait de l'autre.

Au mois de juin 1756, je passai une journée avec Mme Lefèvre; j'en ai tiré bien du profit. Je

lui ouvris entièrement mon cœur, et lui dis que je croyais pouvoir sacrifier nos relations mêmes à la volonté de Dieu. Elle me répondit : « Vous ne pouviez rien dire qui me fît plus de plaisir. Il y a longtemps que le fil de mes jours est prêt à se rompre. Je n'ai rien qui puisse me retenir ici-bas; ma plus grande sollicitude est pour vous, qui êtes déjà assiégée de tant d'épreuves.» Telles furent les dernières paroles que cette chère amie m'adressa. Trois jours après je reçus la nouvelle qu'elle était tombée subitement malade, et qu'elle était en danger. Ma mère eut la bonté de me permettre de lui faire visite; mais je la trouvai aux portes de l'éternité, et dès qu'elle eut prononcé avec difficulté ces mots aux personnes présentes : « J'ai des consolations assurées....», son ame bienheureuse retourna à son Créateur, Comme on m'avait fixé le temps de ma visite, j'étais de retour à la maison quand je reçus la nouvelle de sa mort. Je cherchai la solitude dans nos jardins pour épancher mon ame en présence du Seigneur. Mais ce qui pourra paraître extraordinaire, c'est que Dieu ne voulait pas que je ressentisse alors beaucoup de chagrin, car il me rappela ces vers qui produisirent sur mon ame l'effet de la rosée sur la campagne altérée.

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