Page images
PDF
EPUB

ont aimé selon le Seigneur nous aimeront toujours; car la matière ne peut plus ni interrompre ni auéantir l'action de l'esprit.

Le 17, ses dépouilles mortelles furent déposées dans le cimetière de Madeley, au milieu des regrets et des pleurs du troupeau qui le chérissait. M. Hatton, pasteur de Waters-Upton, fit le service funèbre; et après un discours rempli, non d'une éloquence toute humaine, mais de la force et de la puissance que communique le Saint-Esprit, il lut à ma requête ce qui suit:

Mon époux bien-aimé ayant désiré d'être enseveli avec la simplicité d'un chrétien, et par tendresse pour moi ne m'ayant pas permis de me rendre à l'église pour assister au service, je me fais un devoir de lui obéir; mais permettez que par le moyen de notre ami commun je déclare ici à la gloire de Dieu que moi qui l'ai connu jusque dans les moindres détails de sa vie, je n'ai jamais vu personne suivre si fidèlement que lui les voies du Seigneur. Marchant dans les sentiers de la justice et d'un entier renoncement au monde, il préféra constamment l'intérêt de ses semblables au sien propre. Son plus grand plaisir était de partager ses biens avec les pauvres, qu'il soignait si affectueusement qu'à l'approche de sa mort, et ne pouvant plus s'exprimer qu'avec peine, il s'écriait: O mes pauvres! Que deviendront mes pauvres! A l'exemple de son divin maître, il marchait avec les humbles, il recevait l'expression du mépris avec une paix inaltérable; il aimait enfin à être in

connu. Il m'avait prié d'écrire quelques mots à son frère à Nyon en Suisse, pour l'informer de sa mort, et je lui avais répondu que j'écrirais tout ce que le Seigneur avait fait pour son ame: O non, reprit-il, je désire d'être oublié, Dieu est tout!

Vingt-cinq ans de travaux parmi vous ont gravé dans vos cœurs le souvenir de son zèle pour le salut des ames. Son dévouement à visiter les malades occasionna la maladie qui, par l'ordre de Dieu, nous a privés de son précieux ministère. Son désir ardent de vous bénir de ses lèvres mourantes acheva d'épuiser en lui les sources de la vie. Ainsi il a vécu et il est mort votre serviteur pour l'amour du Christ, et il m'est doux de penser que dans ce jour solennel nos vœux réunis l'accompagnent à la suite du Dieu de miséricorde qui vient de l'appeler à lui. Il vit venir la mort avec la patience d'un agneau, et sourit à sa délivrance en rendant son dernier témoignage aux vérités glorieuses qu'il avait prêchées si longtemps parmi vous.

Trois années, neuf mois et deux jours s'écoulèrent pour nous dans la paix et dans la joie d'une union constamment bénie du Seigneur. La vie d'ici-bas ne peut plus m'offrir de bonheur, et j'ai besoin de tous les secours du ciel pour me soutenir dans l'angoisse de l'épreuve. Pendant que je suppliai le Seigneur de m'accorder encore pour quelque temps la présence de l'ami qu'il m'avait donné, mon esprit reçut pour réponse cette promesse divine: Là où je suis mes serviteurs y seront aussi, afin qu'ils con

templent ma gloire. Daigne, Seigneur, hâter le temps!

Je suis, révérend et très cher Monsieur, etc.

Marie de la Fléchère.

15 septembre 1785.

Mes souffrances furent extrêmes. Tout secours extérieur parut m'être retiré. Je perdis l'appétit et le sommeil, et il me sembla que l'air même avait perdu son effet vivifiant. Comme je n'avais jamais eu jusqu'alors une idée de l'angoisse par laquelle le Seigneur a voulu m'éprouver, de même je n'aurai jamais le moyen d'en décrire le tourment. Toutes les œuvres de Dieu lui sont connues, et j'étais convaincue, au milieu même de ces souffrances, que tout ce qu'il avait fait était bien fait, et que cette épreuve affreuse m'était nécessaire. Mais ce qui me la rendit encore plus pénible, c'est qu'il s'y joignit la crainte que le sentiment excessif de mon malheur ne devînt aussi criminel que douloureux. Je me demandais pourquoi, si mon Sauveur était tout pour moi, ses souffrances pour mon salut ne m'avaient jamais causé une impression aussi vive que celle que je ressentis de la mort de mon mari? Ah! c'est parce que j'avais peu d'union avec Dieu que j'étais pour ainsi dire brisée par le malheur.

si

Toutes les forces de mon ame se concentrèrent en un seul vou, en un seul cri: Ta volonté soit faite. « Je te glorifierai; oui, je te glorifierai même dans cette fournaise. » Toutefois je craignais tellement de ne pas le glorifier et de désirer quelque consolation terrestre, qu'au milieu de ces souffrances aiguës, ma conscience était aussi prompte à me signaler l'approche du péché, que l'œil à se fermer à la rencontre d'un choc. Cependant j'avais le sentiment d'être accusée et blâmée en toutes choses, si bien que mon ame était en effet saisie de tristesse jusqu'à la mort. Un matin, avant de m'éveiller, j'entendis en songe quelques voix au-dessus de ma tête. Elles répondirent les unes aux autres en chantant ces paroles: «Pleurez sur les souffrances de Sion; pleurez sur sa profonde tristesse.» Ensuite une voix que je reconnus bien pour celle de mon époux bien-aimé, me dit en paroles fortes et distinctes: « Combattez le bon combat de la foi, mon immortelle amie. » Le Seigneur permit que ce songe m'apportât quelques encouragemens et consolations.

Un jour ces paroles de saint Paul se présentèrent à mon ame avec beaucoup de force: Ces légères afflictions du temps présent produiront en moi le poids éternel d'une gloire infiniment excellente (II, Corinth. IV. 17). Je me dis: Est-ce que l'apôtre qui a été dans le troisième ciel et qui a éprouvé ce qu'il dit, est-ce qu'il a appelé toutes nos afflictions légères lorsqu'elles sont comparées avec la gloire qui nous attend? Mon ame répliqua : Oui légères en com

paraison de la gloire à venir qui doit être manifestée en nous, et elle entrevit dans ce moment son séjour dans la Cité céleste.

Souvent pendant la journée ces petites étincelles de lumière vinrent me ranimer; cependant ma douleur fut inexprimable. Et surtout je m'affligeai beaucoup en pensant que le vrai fidèle ne devrait jamais être dans la tristesse ; mais qu'il doit se réjouir toujours d'une joie ineffable, et qu'il n'y a que le péché qui puisse empêcher sa joie. Ces pensées-là m'exposèrent à la tentation du découragement. Hélas ! je n'avais personne à qui confier mes chagrins. Quand j'avais mon époux, nos sentimens étaient si bien d'accord, que nos soucis étant supportés en commun, nous nous rendions mutuellement la paix. Une seule parole de sa part répandait généralement la lumière dans mon ame, et détournait de moi la tentation et la tristesse. Mais depuis que mon bien-aimé m'a été enlevé, j'ai supporté seule la fatigue du travail, et j'ai senti que j'avais trop cherché mon appui dans la créature. Hélas! je m'étais attachée à lui comme le lierre au chêne, et, sans lui, je me trouvais tremblante et isolée dans un désert. Cependant je peux dire encore: Oui je demeurerai avec toi en Sion, parce que Jésus nous l'a promis. Mais le Seigneur parut agir envers moi comme il le fit avec la femme Syrophénicienne. Il ne me répondait rien. Je le suivais; et en réfléchissant à toute mon infidélité, je me fis à moi-même cette réponse de Jésus : « Ah! il n'est pas juste de prendre le pain des enfans et de le

« PreviousContinue »