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bien-aimé. Ainsi, le troisième jour, je les choisis pour les brûler. Mais que n'ai-je pas ressenti en les regardant! Je ne pus m'empêcher de voir quelquesunes des douces expressions qu'elles contenaient, et elles augmentaient la vivacité de mes peines. Le jour suivant était celui des funérailles.

Tout ce temps-là mon ame fut dans la fosse aux lions. Le lendemain j'appris qu'on faisait courir le bruit que mon cher mari avait été dans le délire, et qu'il était expiré dans la plus douloureuse agitation. Je crus qu'il était de mon devoir d'écrire un récit exact de sa mort; et, recourant au Tout-Puissant pour en être soutenue, je pris ma plume, et j'écrivis la lettre suivante à notre ami M. John Wesley. Je l'écrivis d'un seul jet, dans l'intention de la copier, mais je n'avais plus de force. C'est pourquoi je la lui envoyai pour la faire imprimer telle qu'elle était, en remettant à la Providence le soin du résultat.

18 août 1785.

Révérend et très cher Monsieur,

Il y a bien peu de temps que j'ai vu déposer en terre les restes de mon bien-aimé, et cependant je demande à Dieu de me rendre assez de forces pour vous écrire le récit dé ses derniers discours, dont je ne voudrais pas perdre une parole, puisque cette épreuve si terrible pour moi a été pour lui si glo

rieuse.

Notre union se fortifiait tous les jours aussi bien

ΙΟ

que sa santé. La consomption dont il avait été atteint paraissait guérie de telle manière, que je me croyais plus que jamais éloignée du danger de le perdre. Dieu avançait son règne autour de nous, nous comblait de toutes sortes de bienfaits.

et

Quelque temps avant sa dernière maladie, mon bien-aimé, affectionné dès long-temps aux choses éternelles, fut particulièrement pénétré de l'approche de l'éternité. A peiné passait-il une heure sans me supplier de demander à Dieu de nous accorder la plénitude du Saint-Esprit, et de nous disposer à nous abandonner de tout notre cœur à l'amour divin, pour tout faire et pour tout souffrir avec le Sauveur.

Le jeudi 4 août, il sortit pour ses fonctions pastorales, depuis trois heures après-midi jusqu'à neuf heures du soir. En revenant chez lui, il me dit qu'il s'était enrhumé, mais sans paraître y faire attention. Le vendredi et le samedi il parut malade, et cependant continua de sortir de temps en temps, et il semblait être attiré à faire les prières les plus ferventes. Comme il avait beaucoup de fièvre, le dimanche matin, je le priai de ne pas aller à l'église ; mais il me répondit qu'il devait y aller selon la volonté divine. Il s'y rendit, et en lisant les prières, il fut sur le point de s'évanouir; je traversai la foule avec quelques amis, et nous le suppliâmes de quitter la chaire; mais il nous répondit avec sa douceur accoutumée qu'il devait suivre l'ordre de Dieu. Je me retirai en silence dans mon banc, au milieu des au

diteurs attendris. On ouvrit alors les fenêtres du temple, il parut en recevoir un peu de rafraîchissement, et se mit à prêcher à notre surprise avec toute la force et l'onction dont il avait été doué. Après le sermon, il s'approcha de la table sacrée, en disant : « Je vais me jeter sous les ailes des chérubins, devant le trône de la miséricorde. » Le service dura environ trois heures; ne pouvant presque plus se soutenir, il était obligé de s'arrêter de temps en temps pour reprendre ses forces; puis il faisait succéder les chants sacrés à ses touchantes exhortations. Les assistans étaient tellement émus qu'ils ne pouvaient contenir leur douleur, et l'église retentissait de gémissemens.

Dès que le service fut fini, nous l'engageâmes à se mettre au lit, et alors ses forces étant entièrement épuisées, en se couchant il s'évanouit. Après cette défaillance, il eut un intervalle de sommeil, puis, à son réveil, il me dit avec un doux sourire : «Ma bien-aimée, tu vois à présent que je ne << me porte pas plus mal, pour avoir travaillé au ser«vice du Seigneur. Il ne me quitte jamais lorsque je << me suis confié en lui. » Après un léger dîner, il fut assoupi presque toute la soirée, rendant à Dieu des actions de grâces chaque fois qu'il s'éveillait. La fièvre revint le soir, et bien qu'elle ne fût pas violente, il éprouva un grand affaiblissement. Le lundi et le mardi il se trouva un peu mieux, et se coucha sur un lit de repos, où il passa le temps entre les lectures pieuses qu'il me priait de lui faire et des re

tours d'assoupissement. Quoique obligé de changer souvent d'attitude, il ne lui échappait pas un signe d'impatience, et dès qu'il était éveillé, je retrouvais dans toutes ses paroles la vie et la charité du ciel. Quelles douceurs nous avons encore goûtées ensemble dans ces momens d'alarmes ! Il recevait les incommodités et les maux avec cette confiance filiale qu'il avait souvent recommandée en disant : « Nous devons rechercher une conformité parfaite à la volonté de notre Père céleste, et recevoir de lui la peine comme le plaisir et le plaisir comme la peine. Je lui demandai s'il désirait me donner de nouveaux avis, pendant que Dieu lui en laissait encore le pouvoir. Il me répliqua : « Je n'ai rien de « particulier à te dire; le Seigneur te montrera la « voie où tu dois marcher.» Enfin je lui demandai s'il avait quelque pressentiment d'une fin prochaine ; il me répondit : « Non, pas précisément; mais je vois la mort toujours si prochaine, qu'il me semble que nous sommes tous deux aux portes de l'éternité. » Pendant qu'il s'endormit quelques momens, je suppliai le Seigneur de m'accorder encore pour quelque temps la présence de cet époux si cher; mais je sentis que ma prière ne pouvait pas s'élever, et qu'elle retombait comme un poids sur mon ame abattue. Je ne pouvais que répéter ce vou: Seigneur rends-moi soumise à ta sainte volonté. J'étais aussi effrayée par les souvenirs de ce que mon mari m'avait dit naguère, lorsque c'était moi qui étais malade, et lui qui tremblait pour ma vie : « Chère

Marie, s'écriait-il, serai-je condamné à t'ensevelir, à te survivre, au milieu de toutes les choses que tu as arrangées pour notre séjour, et de tous les souvenirs d'une union trop chérie ! »

Tous ces souvenirs de tendresse me causaient une angoisse accablante. J'invoquai le secours du Sei-gneur, et ces paroles du Christ furent profondément imprimées dans mon esprit. « Que là où je suis, ceux que tu m'as donnés y soient aussi, afin qu'ils contemplent ma gloire. » Cette promesse remplit mon ame de consolation, en me rappelant que la présence spirituelle du Sauveur était le centre où nous devions nous chercher et nous retrouver unis ensemble par notre union même avec lui. Je reçus ce sentiment intérieur comme un guide pour me conduire aux portes de la bienheureuse éternité, et j'ai la ferme espérance de le suivre.

Peu de temps après, il me dit en s'éveillant : Ma chère Marie, voici à quoi je pensais, c'est qu'Israël faisait une faute en demandant des signes. Nous n'imiterons pas cette erreur, mais nous nous abandonnerons uniquement à la volonté de Dieu, lui demandant une confiance entière en ses promesses, étant assurés qu'il fera tourner toutes choses en bien pour nous-mêmes.

Le mercredi, après avoir souffert tout le jour sous le poids de l'épreuve que Dieu lui dispensait, il me dit qu'il avait reçu une impression inexprimable du sens de cette parole: « Dieu est amour.» Je suis, dit-il, plus que jamais pénétré des bienfaits de cet

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