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à l'instant même il fut frappé d'un mal subit. Tous ceux qui l'entouraient crurent qu'il allait mourir. Il resta dans cet état pendant quelques heures. O comme le Seigneur peut mettre facilement un mors dans la bouche des furieux qu'il veut retenir loin de ses enfans!

Quand notre réunion fut terminée, je dis aux paroissiens que je reviendrai encore dans quinze jours; mais ayant fait trop de chemin pour mes forces, je fus fatiguée et j'en pris la fièvre. Je reçus alors de nouvelles preuves de l'affection attentive de mon mari. Ma maladie me devint agréable par ses tendres soins. Lorsque nous fûmes à l'époque où je devais aller à Park, il s'y rendit à ma place; mais il était si pénétré de la pensée de me perdre qu'il prêcha presque le sermon de mes funérailles. Les auditeurs s'unirent à ses douleurs et à ses prières. Tout le temps de ma maladie, mon mari pria avec moi d'une manière singulièrement fervente. Nous sommes disposés à nous offrir à Dieu pour tout souffrir selon sa sainte volonté. Il me semble que quelque chose me dit que je dois plus qu'auparavant goûter de la coupe amère ; et ces paroles me viennent à l'esprit: Prenez toutes les armes de Dieu afin que vous puissiez résister dans le mauvais jour, et qu'ayant tout surmonté vous demeuriez fermes (Ephés. vi. 13). Seigneur, ta volonté, toute ta volonté soit faite ! Maintenant à peine ai-je été éprouvée : Tu as rempli ma coupe de joie, ô Seigneur ! Tu m'as fait oublier toutes mes douleurs; il me semble que je n'ai ja

mais eu de tristesse. J'ai tout ce que je puis désirer, excepté une plus grande mesure de ta grâce, ô mon Dieu!

25 octobre.

Lorsque j'écrivis la dernière fois, le 26 juillet, j'étais véritablement arrivée au comble de la félicité terrestre. Je disais souvent: Seigneur, suis-je en effet un des élus dont il est dit : Ce sont eux qui sont venus de la grande tribulation. Comment mon chemin est-il couvert de roses? Je pouvais dire avec Joseph: Dieu m'a fait oublier tous mes travaux et toute la maison de mon père. Mais le mauvais jour, le jour du deuil est arrivé.

Le 14 août 1785, mon bonheur terrestre a fini et la nuit suivante a couvert de tristesse le reste de ma vie ici-bas; à dix heures et demie, je fermai les yeux de mon bien-aimé. Quel changement! Tout l'univers me présente dès lors un aspect sévère. Je ne puis exprimer toutes mes peines. Essayons pourtant; peut-être quelque personne qui marche aussi dans la solitude du deuil trouvera, dans la description de mon état, quelque consolation. Je suis comme une femme abandonnée dans un désert et privée de tout autre secours que celui de Dieu. Je me souviens que peu de temps avant que le Seigneur m'eût ôté un mari si cher, nous étions tous les deux portés à lui demander une plus grande mesure de son esprit, une telle communication de ce Saint-Esprit que nous devinssions les temples du Dieu vivant comme les apôtres le devin

rent à la Pentecôte. Mon mari bien-aimé m'a dit souvent à ce sujet : vous avez raison, Marie; cherchons cela avec ardeur et laissons tout le reste à notre Père céleste, lors même que pour nous exaucer il nous séparerait l'un de l'autre.

Le mardi avant la mort de mon bien-aimé, quand ces paroles s'adressèrent à ma pensée : Là où je suis, mes serviteurs y seront aussi, afin qu'ils contemplent ma gloire (S. Jean, xvII, 24), elles furent pour moi d'une telle consolation que dans cet instant l'amertume de cette coupe de douleurs disparut pour moi. Pendant quelques momens ces paroles « afin qu'ils contemplent ma gloire » absorbèrent toutes mes idées, et je ne sentis l'existence que par le désir même que la gloire de mon Dieu Sauveur fût entièrement manifestée. Mais dans la nuit affreuse de notre séparation, durant les dernières heures que je soignai mon bienaimé, craignant que chacun de ses soupirs ne fût le dernier, un torrent de tristesse entraîna mon ame et m'accabla tellement qu'à peine j'avais l'usage de mes sens. En même temps mon esprit était saisi d'une telle crainte que je tremblais de dire un mot, de peur que l'expression de ce que j'éprouvais ne pût déplaire à mon Dieu. Tout concourait ainsi à me navrer jusqu'à ce que le reste de mes forces fût épuisé. J'eus beaucoup de fatigue et de difficulté à me débarrasser de la fièvre, et ce coup ébranla tellement mes nerfs que cela donna un accès plus facile à la tentation. J'ai autrefois éprouvé de grandes

tristesses; mais ce que je ressentis alors est inexprimable. O mon Dieu, quelle croix m'as-tu donnée à porter! non-seulement je fus privée de mon mari bien-aimé, mais aussi de la vue consolante de mon Sauveur. De sombres vapeurs entourèrent mon ame! les péchés même de ma jeunesse se représentèrent à mon imagination d'une manière accablante, comme une grêle épaisse; il me sembla que j'étais privée de vie, de lumière et d'amour; et cependant je n'eus aucun doute que je ne dusse avoir part aux iniséricordes du Dieu Sauveur et qu'il ne terminât toutes mes souffrances avec ma vie terrestre. Il n'y avait pas d'atteinte portée à mon salut final. Je retrouvai un refuge assuré dans ma croyance inébranlable que le Christ serait mon appui, et je sentis bien que pour m'arracher à cette ancre de salut, il faudrait m'anéantir. Sans cette ferme espérance, aucune créature humaine n'aurait pu supporter un pareil chagrin.

A cette époque où je me sentais comme assiégée par une armée d'ennemis, je pensai souvent au but de l'épreuve, afin que je le connusse Christ et l'efficacité de sa résurrection: Je me dis aussi : Est-ce bien ton ame qui, il y a peu de jours, s'est réjouie à la pensée de la gloire de ton bien-aimé ! Mais il respirait encore, et à sa mort Dieu est entré en jugement avec moi! Mon ame a été étonnée de ses angoisses, et j'ai éprouvé ce que dit l'Écriture: les détresses du sépulcre m'avaient rencontrée.

Quand j'ai lu depuis cette époque les récits de

malheurs semblables au mien, j'ai souvent trouvé que les expressions en étaient bien fortes, mais jamais suffisantes pour décrire mes douleurs. Et souvent j'ai répété ces paroles du Sauveur sur la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné? » Je cherchais alors à fixer ma vue sur l'homme de douleurs qui les a dites, mais il ne me répondait pas, et je rentrais dans l'abandon, puis le souvenir de ses promesses me revenait à l'esprit.

Je retournai plusieurs fois pendant la journée vers le corps de mon bien-aimé, me rappelant ce qu'il m'avait dit il y a peu de temps : « Ah! ma chère Marie, faut-il que je te voie morte sur ce lit ! » Hélas! il me rappelait cette union si heureuse dont il ne pouvait plus m'exprimer la tendresse. J'achevai ce jour funèbre en restant seule assise auprès de son corps, et devant une fenêtre qui présentait à ma vue le cimetière où l'on creusait sa tombe. Plusieurs personnes, en pleurant leur pasteur, vinrent visiter cette place du repos qui attend la résurrection. Bientôt il me souvint que mon bien-aimé m'avait prié de brûler quelques lettres que nous nous étions écrites l'un à l'autre avant notre mariage sur des sujets particuliers. Il me disait de temps en temps: Tu renvoies cette affaire, et si l'un de nous allait mourir, l'accomplissement de ce devoir serait un supplice pour l'autre. Cependant, ayant été à cette époque saisie d'un mal semblable à la paralysie, je commençai à craindre de perdre ma mémoire, et par conséquent de ne pouvoir plus tard remplir le vœu de mon

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