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rable, mais qui ne sait que la science ne sait rien, parce qu'il ignore les premiers principes. Vous voulez favoriser le progrès industriel, l'amélioration de la condition matérielle, le développement de l'égalité et de la démocratie? Je déclare que tout cela est bon; j'aime l'industrie, je suis sensible à un certain bienêtre, je ne suis pas un Spartiate; j'aime l'égalité. Mais tout cela poussé à l'excès amènerait, savez-vous quoi? le développement de la civilisation matérielle au détriment de l'art, de la religion, de la philosophie, de la civilisation morale. L'homme a autre chose à satisfaire que son corps; c'est l'âme libre, spirituelle, responsable, dont ce corps n'est que l'enveloppe fragile; et au-dessus de l'âme, il y a Dieu dont elle a besoin. Aux sceptiques je répondrai que la raison humaine est faible en effet, limitée, exclusive; mais qu'elle est faite pour la vérité. Elle apprend quelque chose en vivant, en cherchant, vires acquirit eundo. Elle atteint l'univers, l'âme et Dieu; et comme disait le chancelier Bacon, elle a un triple rayon pour saisir l'univers radio directo, l'homme radio reflexo, et Dieu radio refracto, ou plutôt elle saisit Dieu d'une prise immédiate1. Je leur répèterai à peu près comme lui que si un peu de philosophie mène au scepticisme, beaucoup de philosophie en éloigne et asseoit l'esprit dans un dogmatisme limité, mais dans ses limites, inébranlable.

1 Voyez, dans l'Essai de philosophie religieuse, le premier Éclaircissement de la troisième édition.

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PREMIÈRE ETUDE

LE

SCEPTICISME D'ENÉSIDÈME

ÆNÉSIDÈME

Enésidème est peut-être le premier sceptique de l'antiquité. Esprit plus sérieux que Protagoras, que Gorgias, plus étendu que Pyrrhon, s'il a moins d'éclat dans le talent, s'il est moins ingénieusement subtil qu'un Arcésilas, un Carnéade, il les surpasse tous deux en force, en rigueur, en profondeur.

On se fera une idée juste du rôle que cet éminent sceptique a rempli dans la philosophie grecque, si l'on veut rapprocher deux faits qui n'ont pas été assez remarqués le premier, c'est que la Sophistique a moins été un scepticisme véritable que la tentative audacieuse de quelques hommes brillants et corrompus pour combattre et détruire à leur profit tous les systèmes philosophiques et toutes les croyances religieuses; le second, c'est que l'école qu'on appelle quelquefois l'Académie sceptique n'a pas réellement combattu le dogmatisme dans son essence, mais seulement une de ses formes, savoir, le dogmatisme stoïcien; et que tout

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