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s'éleva plus haut et ne se montra plus fort et plus habile que dans la Cloche; jamais aussi son vers n'eut une harmonie plus vigoureuse. Il est aussi fleuri que celui d'André Chénier, mais avec un tout autre caractère de nerf et de profondeur. M. Sainte-Beuve trouve que M. Hugo n'a rien de l'organisation grecque; réellement il y a chez lui à tout instant de ces heurts surprenants, que l'on ne trouve point dans l'harmonique pureté des compositions hellènes. Ailleurs notre critique sagace et poétique ajoute avec sa finesse pittoresque ordinaire : « C'est plutôt un Goth revenu d'Espagne qui s'est fait Romain, très raffiné même en grammaire, savant en style du Bas-Empire et à toute l'ornementation byzantine. » Au total, cette œuvre, toute de mauvais goût, d'étrangetés regrettables qu'elle soit sur bien des points, n'en est pas moins une œuvre puissante d'un de ces hommes à sourcil visionnaire dont on suit avec un calme respectueux la marche et la parole, comme s'exprime ce doux et vrai ami du poëte que nous regrettons de ne plus voir à ses côtés; car ce doit être une chose bien regrettable de ne plus être consolé par l'auteur des Consolations, de n'être plus éclairé par le critique dont la délicatesse s'insinue parfois à de mystérieuses profondeurs.

Maintenant quittons les ombres dont s'est dans ce volume enveloppé l'auteur des Orientales, qui se prend de mélancolies si sombres et si grandes à rêver les futures destinées des rois, tout en écoutant

la nuit les lourds canons passer sur le pavé dés villes..

Constatons bien ici que l'un des grands défauts de M. Hugo est l'abus de la métaphore, de l'image, à l'aide de laquelle il veut trop matérialiser la pensée. Le pinceau n'est point encore assez pour lui, il lui faut le ciseau du sculpteur, souvent même alors qu'il s'agit de rendre ce qui ne peut être qu'impalpable.

M. de Lamartine est, au nom de la Providence, une protestation de l'âme contre ce que peut en soi avoir d'abrutissant et d'aride l'élément mathématique qu'il a poursuivi de ses colères dans ses pages sur les destinées de la poésie; aussi notre poëte est-il l'opposé de ce qu'on appelle le savoir exact. L'âme a en elle trop de l'infini pour s'arrêter à quelques limites; elle est trop synthétique pour ne pas se complaire dans le vague des contemplations.

Par M. Hugo, l'imagination proteste contre l'élément industriel, en tant que destructif ou négatif de la beauté poétique de la forme, dans laquelle l'industrialisme ne voudrait plus voir qu'une chose utile; aussi notre poëte est-il l'opposé du régulier, du convenu, du bourgeois, cette espèce d'hommes la plus opposée à la nouveauté en quoi que ce soit, et conséquemment la plus étroite.

Donc, à M. de Lamartine le monde de l'âme, à M. Hugo le monde de l'imagination, à M. SainteBeuve le monde du cœur. Dans toute cette jeune et belle génération, nous n'avons point encore vu sur

gir celui qui doit prendre possession du monde pathétique; ceux qui de nos jours l'ont approché dans le drame ne nous semblent pas avoir le don des larmes.

Nous demanderons à M. Hugo des œuvres plus solidement composées dans leur ensemble; car, ainsi que le disent les esprits austères, il a peutêtre jusqu'à ce jour trop peu sondé les profondeurs de l'âme, il a été trop purement un homme d'impression, un écho merveilleux. Voilà que pour lui la vérité va éclore; qu'il soit désormais, sans rien perdre de sa prodigieuse fantaisie, un homme de pensée et dominateur de cette faculté dont on lui reproche avec quelque raison d'être trop l'esclave. C'est un enfant gâté dont il faut qu'il se rende maître, au point de ne plus céder qu'à ses belles exigences.

Que cette puissance dont il a fait preuve dans la parole se reporte maintenant vers les retraites où l'âme entre dans la vision de l'idée, là où s'élaborent les œuvres dont la surface et le fond forment toute une harmonie. Nous lui dirons ce que lui-même il dit à sa divine amante,

Aie un asile en toi.

ou encore ce que se disait cet homme plus que poëte qui gardait les troupeaux sur la montagne de Dieu : Qu'il aille, et qu'il voie cette grande vision dont il ne s'est peut-être pas assez approché.

Quant au génie de l'artiste, on ne peut en re

fuser à un poëte qui possède une puissance propre aussi saisissante que M. Hugo, et qui de plus a introduit dans la langue des vers cette harmonie mâle et large que Bossuet, supérieur à tout le monde par l'alliance de son style superbe et de sa haute pensée, a introduite dans notre prose.

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Sainte-Beuve.

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Barthélemy et Méry. - Edgard

· Ed. Turquety. Evariste Boulay.

— Paty.— Achille Duclésieux. - Hippolyte Morvonnais. - Reboul. Autran. - Théophile Gautier.

Tastu, etc.

Mesdames Delphine Gay, Amable

J'ai parlé ailleurs de l'influence politique des chansons de Béranger; il me reste à le considérer comme poëte. Malgré l'enthousiasme de quelques uns de ses flatteurs, je ne le mettrai jamais au rang de Lamartine et de Victor Hugo. Béranger n'est pas une mer; c'est un fleuve qui coule entre des rives régulières, mais dont les eaux sont belles, quoique capricieuses et souillées de limon çà et là. Béranger est le premier chansonnier du monde; il occupe une place élevée parmi les faiseurs d'odes modernes. C'est le poëte populaire par excellence; il aurait pu se passer de la presse; ses refrains se seraient répandus de bouche en bouche.

Sous le rapport de la forme, Béranger est un maître souvent bien habile; sa concision surtout est remarquable; il excelle à resserrer sa pensée dans la mesure étroite du couplet; ses refrains ont presque toujours une grâce charmante; seulement quelquefois il devient obscur et presque impéné

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