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la barbarie ou celles des peuples contre le pouvoir. Les nations sentent qu'elles ne doivent plus verser leur sang pour des querelles de rois, mais seulement pour l'affranchissement et le bonheur de l'homme.

L'avenir démocratique, préparé par les siècles, est annoncé comme prochain par toutes les bouches éloquentes du nôtre. La restauration a été l'effort agonisant de la vieille société; durant les premières années de la révolution de 1830, la peur de l'effervescence des masses victorieuses dominait les esprits; tout le monde sentait qu'un peuple hurlant dans les rues serait un mauvais législateur ces années ont été employées à faire rentrer dans son lit le fleuve débordé.

L'écueil aujourd'hui serait de s'imaginer que l'on peut gouverner en s'appuyant seulement sur les classes moyennes, en continuant d'appeler ordre public la tranquillité du riche. Parce que le peuple ne poursuit plus le pouvoir de ses clameurs, il ne faut pas penser qu'il s'endorme sur ses intérêts et sur ses droits. J'en atteste les milliers d'exemplaires qu'il dévore de tous les livres démocratiques.

III

« Il n'y a pas de peuples de l'Europe chez lesquels la grande révolution sociale que je viens de décrire ait fait de plus rapides progrès que parmi nous; mais elle y a toujours marché au hasard, dit M. de Tocqueville. Jamais les chefs de l'État n'ont pensé à rien préparer d'avance pour elle; elle s'est faite malgré eux ou à leur insu. Les classes les plus puissantes, les plus intelligentes et les plus morales de la nation n'ont point cherché à s'emparer d'elle afin de la diriger. » (De la démocratie en Amérique.)

Que les hommes qui gouvernent méditent ces sages paroles. Je ne puis croire que le sort du pouvoir sur la terre soit d'être éternellement renversé par des révolutions qu'il ne prévoit pas. Si j'aperçois dans le pouvoir actuel de la France des signes d'aveuglement, j'y vois aussi des lumières incontestables, et je crois qu'il peut organiser la démocratie. Mais il faut vouloir.

Les débats des chambres n'excitent plus guère l'intérêt de la nation; ils se passent trop souvent en vaines querelles de petits partis, en luttes d'homme à homme. Toutes ces nuances microscopiques font sourire de pitié. On dit et on écrit que

cette indifférence vient de ce qu'on se lasse du gouvernement représentatif; ne vient-elle pas plutôt de l'idée que les chambres actuelles n'ont pas l'instinct du siècle? Il est probable que bientôt le pouvoir lui-même sentira le besoin de refondre la législation électorale.

Pour guider le mouvement démocratique il faut le comprendre; pour le comprendre, il ne faut pas qu'une chambre soit entièrement composée de grands propriétaires, de fonctionnaires publics et de riches industriels; il faut, au contraire, qu'elle contienne un grand nombre d'hommes qui aient souffert des maux du peuple. Et qu'on n'oublie pas que le seul moyen d'empêcher le torrent démocratique de tout submerger, est de lui creuser un large lit où il puisse couler aisément.

L'organisation de l'industrie sera la grande tâche des législateurs; les écrits de Fourier et de SaintSimon, dans ce qu'ils ont d'applicable, ceux de M. Michel Chevalier, préparent les voies de ce vaste travail.

En religion, le besoin de croyance se fait vivement sentir. La fatigue du scepticisme est partout. Ce grand culte qui proclama l'égalité il y a dix-neuf

siècles, obscurci quelque temps par la cupidité et les passions des uns, par les haines aveugles des autres, sort tout divin de ces sanglants orages.

Les philosophes qui soutiennent que la philosophie peut suffire à un peuple ne sont plus compris et ne se comprennent pas eux-mêmes. Ils ont révé une nation de savants; et encore aux savants la philosophie ne suffit pas. Les meilleurs esprits reconnaissent la vérité du christianisme, et se prosternent devant cette religion qui doit éternellement guider le genre humain dans ses voies laborieuses.

La littérature est entraînée dans ce mouvement, malgré les efforts convulsifs auxquels nous avons assisté depuis plusieurs années. L'orgueil a frappé de folie l'intelligence du poëte. On a proclamé, dix-neuf siècles après la venue de Jésus-Christ, que le génie n'avait pas été donné à l'humanité pour l'améliorer et l'instruire. C'était, dit-on, une faculté brillante destinée aux plaisirs des hommes. Quand l'art enchante et émeut, on n'a pas le droit de lui demander compte de son but. Dès que cette doctrine mensongère eut été proclamée, la poésie se rua en délire dans tous les excès; on recula les

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bornes de l'horreur; des voix pures faisaient entendre leurs notes aériennes au milieu des cris discordants, mais le chœur était infernal et furieux; la ronde du sabbat en serait une image assez véritable.

L'orgie est passée, la lumière renaît dans le ciel. Nous avons pensé que c'était le moment d'étudier ce mouvement de l'imagination française. M. Michel Chevalier publie un travail sur les intérêts matériels de notre patrie. Tout en reconnaissant autant que qui que ce soit l'importance énorme de l'organisation de l'industrie, nous avons cru qu'il ne fallait pas oublier les intérêts intellectuels de la France; que les peuples comme les hommes ne vivaient pas seulement de pain, mais de toute vérité qui sort de la bouche de Dieu, et qu'il importait de rappeler cette parole aujourd'hui.

Nous pouvons dire comme le philosophe : Ceci est un livre de bonne foi. Nous choquerons sans doute bien des préjugés, des affections, des égoïsmes surtout, nous le savons; mais nous savons aussi que la profession d'écrivain est profondément misérable lorsqu'elle est entravée par des considérations mesquines. Quelle que soit la faiblesse de

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