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des révolutions sanglantes; et comme elle est apparue dans les commencements, elle doit luire aussi sur les nations des derniers siècles. Mais sachons-le bien, nous commençons à peine à entrevoir ce qui s'agite dans le sein de cette idée, et les institutions qui un jour sortiront d'elle. Car personne, je crois, ne prétendra que la société française va s'immobiliser sur les quarante pièces de cinq francs qui la portent aujourd'hui. C'est là une base trop contestable de capacité et de vertu. Il faudrait pour soutenir ce principe une innocence à laquelle il n'est pas facile d'atteindre, si elle ne vous a été donnée.

On m'a paru souvent peu comprendre comment l'origine divine du pouvoir se conciliait avec le consentement populaire (nommé si inconsidérément souveraineté du peuple). Il nous semble cependant que ceci est aussi clair que peuvent l'être ces matières mystérieuses. Comment voulez-vous, a-t-on dit, que des hommes qui ont fait eux-mêmes un pouvoir, qui ont nommé un ou plusieurs de leurs semblables pour les gouverner, puissent croire que ce gouvernement a une origine divine?

De qui donc chaque homme tient-il le pouvoir de se gouverner lui-même, si ce n'est de Dieu ? Voilà l'origine du pouvoir qui apparaît dès la création du premier homme. Évidemment, à moins d'être athée, et en vérité je ne sais trop ce que ce

mot veut dire, personne ne niera que toutes les facultés qui sont en nous viennent de Dieu. L'intelligence, l'amour, la volonté, nous ont été donnés par Dieu. Quand le peuplé nomme un magistrat, n'est-ce pas parce qu'il le connaît et qu'il l'aime? Ne sont-ce pas l'intelligence et l'amour qui déterminent sa volonté à donner à ce magistrát la puissance?

La collection des volontés n'a pas, j'imagine, une autre source que chaque volonté particulière. Évidemment le pouvoir est le produit des facultés données à l'homme par Dieu; donc le pouvoir conféré par l'élection populaire est rigoureusement d'origine divine, et par cela même profondément respectable. Cette théorie me semble satisfaire la raison autant qu'il est possible de soumettre au raisonnement ces questions immenses.

Mais, me diront les adversaires du consentement du peuple, que de fois le peuple a nommé des chefs indignes! Sans doute; mais est-ce que l'hérédité des charges a toujours produit des magistrats honorables? Est-ce que le fils est nécessairement héritier des vertus de son père? Cette réponse est loin d'être suffisante, car elle tendrait à ruiner les deux systèmes; et, encore une fois, celui de l'hérédité a pour lui l'appui de plusieurs époques harmonieuses et grandes. Lorsque le peuple a nommé des mandataires indignes, n'est-ce pas à des époques où la religion, ce soleil des nations, avait

été obscurcie par des nuages de sang. Sans la religion, l'idée de justice disparaît, et les peuples croulent. Chez des peuples religieux, l'élection serait, n'en doutons pas, une source de bonheur pour la société.

La plus grande partie des écrits de M. de Bonald, comme publiciste, remonte à une époque antérieure à celle que nous étudions. Aussi n'avons-nous fait que mentionner la Législation primitive qui parut en 1802. Nous sommes forcé de nous resserrer dans un cadre étroit, et la multitude d'écrits dont nous aurons à entretenir nos lecteurs nous impose l'obligation de rejeter tout ce qui n'a pas paru entre 1815 et 1837. Au reste, la Démonstration philosophique reproduit la théorie de la législation primitive, et l'exposition que nous en avons faite suffit pour nous guider dans nos recherches, relativement à l'influence des doctrines de M. de Bonald sur les faits politiques de ce temps.

Les écrits de M. de Maistre qui traitent de ces matières sont, les uns antérieurs à notre époque, les autres tellement dominés par l'idée religieuse, que nous avons cru devoir en renvoyer l'examen à la division de ce livre qui porte le titre de Religion.

Nous avions d'abord placé ici quelques pages sur les doctrines politiques de l'abbé de Lamennais; mais nous nous sommes aperçu qu'en réunissant toutes nos idées sur ce célèbre écrivain, et en les présentant de suite, notre travail gagnait beaucoup. Nous renvoyons donc encore le lecteur à la seconde division de notre ouvrage : La Religion.

III

Saint-Simonisme. Esquisse biographique sur Saint-Simon.

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Une des luttes qui se sont présentées le plus: souvent pendant la carrière enseignante des disciples de Saint-Simon, est la défense de la vie de leur maître. Quelques uns l'ont présentée comme une suite de désordres peu compatibles avec la gravité d'un fondateur de religion: Ici, il faut le dire, les disciples ont été provocateurs. S'ils s'étaient bornés à parler de Saint-Simon comme d'un penseur profond, dont les écrits pouvaient avoir une énorme influence sur les destinées du genre humain, on eût été plus indulgent sans doute ; mais au lieu de cette appréciation raisonnable, on a écrit les mots gigantesques de continuateur du Christ; on a, par une audace en vérité très incompréhensible, amené une comparaison de toutes manières impossible et presque impie. Que les hommes s'habituent donc à laisser ce nom divin sur le trône que lui ont élevé les adorations des peuples depuis dixhuit siècles; qu'ils se comparent entre eux, et qu'ils, redoutent de faire ressortir les étranges faiblesses de notre nature en la plaçant en regard de celle

du fondateur du christianisme. Ceci dit une fois, nous allons étudier la vie de Saint-Simon avec un complet détachement de l'enthousiasme des disciples et de l'acrimonie de leurs adversaires.

Saint-Simon descendait d'une des plus illustres familles de France, qui prétendait, par les comtes de Vermandois, remonter à Charlemagne. Les disciples eux-mêmes rapportent qu'à l'âge de dix-sept ans leur maitre se faisait réveiller chaque matin par ces paroles: Levez-vous, monsieur le comte, vous avez de grandes choses à faire. Il était, disentils, de bonne heure agité par le pressentiment de ses grandes destinées (1). Dans notre bon sens de profane, nous trouvons ceci fort ridicule.

La vie de Saint-Simon fut tourmentée par bien des fortunes diverses. Il fut militaire, servit en Amérique sous Washington, et fut colonel à vingttrois ans. « La guerre en elle-même ne m'intéresse pas, dit-il; mais le but de la guerre m'intéressait vivement, et cet intérêt m'en faisait supporter les travaux sans répugnance. Je veux la fin, me disaisje souvent, il faut bien que je veuille les moyens. Mais le dégoût pour le métier des armes me gagna tout-à-fait quand je vis approcher la paix. Je sentis clairement quelle était la carrière que je devais embrasser. Ma vocation n'était point d'être soldat; j'étais porté à un genre d'activité bien différent, et je puis dire contraire. Étudier la marche de l'es

(1) Doctrine, page 63.

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