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>> Mais quel est ce ministre universel? je le demande au raisonnement. La même expression nous représente les mêmes caractères et les mêmes fonctions; et ce ministre universel du pouvoir universel sur l'universalité des hommes, sera donc, comme les autres ministres des autres sociétés, intermédiaire entre deux êtres, medius, c'est-à-dire médiateur entre Dieu et les hommes; mediator unius non est, dit saint Paul. Il sera passif à l'égard du pouvoir, actif à l'égard des sujets; passif pour recevoir les volontés du pouvoir, actif pour les transmettre au sujet; et pour pouvoir remplir cette double fonction d'obéir au pouvoir et de commander au sujet, il devra être homogène, ou de même nature que l'un et l'autre.

>>A présent, que l'on veuille bien se rappeler ce que nous avons dit de cette homogénéité, et dans la société domestique, où la femme, c'est-à-dire le ministre, doit participer de la nature de l'homme et de celle de l'enfant ; et dans la société politique ou publique, où le ministère héréditaire, où la noblesse participe de la nature du pouvoir royal et de celle du peuple, et exerce une sorte de sacerdoce royal, puisque les nobles dans une monarchie héréditaire sont les prêtres de la royauté, et l'on sera conduit à cette conclusion naturelle, que le ministre universel entre Dieu et les hommes devra participer de la nature divine et de la nature humaine. Mais un être ne peut participer de la nature divine sans

être Dieu, ni de la nature humaine sans être homme. Ce ministre universel sera donc... me sera-t-il permis de déduire une vérité si haute et si surhumaine d'une discussion purement philosophique? J'hésite... Mais puisque notre siècle ne veut que de la philosophie, osons le dire: il sera... homme-Dieu. »

(Démonstration philosophique du principe constitutif de la société, page 212.)

Nous avons dit que les publicistes absolutistes ont été comme épouvantés des doctrines de la puissance populaire par les excès sanglants de la révolution française. Il faut bien se garder de maudire l'élection, car elle est sans nul doute la mère des sociétés à venir. Il n'y a pas de vérité politique absolue, en tant qu'applicable. Il y a d'inébranlables axiomes, comme celui-ci : Tout pouvoir vient de Dieu; mais que les hommes puissent trouver un système gouvernemental qui réalise parfaitement l'empire de la justice ou de Dieu sur la terre, ceci est un rêve. On peut écrire des volumes de critiques contre le pouvoir qui sort de l'élection; mais démontrer que cette élection est moins rationnelle que les autres théories sociales qui ont gouverné le monde, nous ne le pensons pas,

Le profond publiciste que nous allons citer ne s'est pas fait plus d'illusions que nous sur la réalisation complète de l'idée de justice dans la cité des hommes; mais il a pensé que l'élection était la

source la plus féconde de justice pour les sociétés nouvelles. Écoutons-le:

« Réaliser l'idée d'État, fonder l'empire du droit par un pouvoir convenable, est le but des États.

>> Mais autant qu'il est certain que les hommes ne sont qu'hommes, aucun homme et aucune asso¬ ciation ne peuvent s'attribuer cette science, qui dans le fait est surhumaine. Le pouvoir humain ne pouvant donc dans la réalité être fondé sur la science de ce qui est juste en soi, ou, en d'autres termes, le droit en lui-même ne s'accommodant pas à mesurer les prétentions réciproques des hommes, il ne reste au pouvoir souverain, c'est-à-dire au droit, pour décider légitimement les prétentions réciproques des hommes, qu'à prendre une base qui proportionnellement soit la plus juste, c'est-àdire à reconnaître la volonté de la pluralité pour la mesure de tout droit.

» Non que la volonté de la pluralité coïncide d'une manière absolue ou relative avec le droit en lui-même dans les décisions qui émanent de cette volonté, encore bien que quelques écrivains comme Rousseau aient fait de grands efforts pour lui attribuer cet avantage. L'histoire des révolutions prouve que l'on doit attendre de la pluralité, si elle dirige elle-même les destinées de l'État, folie plutôt que sagesse.

>> Mais puisque dans les divergences d'opinion sur le juste et l'injuste il doit y avoir une décision,

la décision prise à la majorité des voix est la plus juste ou la moins injuste, en tant qu'elle procure à chaque individu l'espérance ou la possibilité de voter dans la majorité, et qu'elle est par là moins en opposition avec la liberté des individus. La valeur de la pluralité des voix repose non sur un droit en lui-même ou absolu, mais sur un droit de nécessité. » (Zacharie, cité par M. Agnès dans son Essai philosophique sur l'élection, 1837.)

Il faut donc que les hommes vivent avec les connaissances bornées qu'il a plu à Dieu de leur accorder; tout est mystérieux autour de nous, et l'ordre social aussi bien que la religion elle-même d'où il découle. Je n'ai jamais rien entendu aux hommes qui ne croient pas parce qu'ils ne comprennent pas et que comprennent-ils, bon Dieu! Dans les hauteurs de la politique, tout est voilé de ténèbres. Ce qu'il y a de plus nécessaire, est de reconnaître l'origine divine du pouvoir, parce que c'est la vérité, parce que toutes les idées morales descendent de cette idée; tandis que l'idée que le pouvoir vient de l'homme ne le rend sujet que de ses caprices les plus fantasques.

Acceptons la société dans laquelle nous vivons, rendons-la si nous pouvons plus morale, et conséquemment plus heureuse. Dans le vaste doute au milieu duquel nous flottons, qui se chargera d'enseigner la vérité politique aux hommes? On en est venu à voir les inconvénients de tous les systèmes,

et si la foi politique en est morte, il faut reconnaître, et c'est une consolation pour tout ami de l'humanité, que l'enthousiasme aveugle qui ensanglantait le monde, tantôt pour une idée exclusive, tantôt pour une autre, a reçu aussi le coup mortel.

Ainsi donc, ô grands hommes, Platon, Leibnitz, Bossuet, Rousseau, ce que vous cherchiez échappera éternellement à l'homme de passage sur cette terre; ce que vous cherchiez dans la politique, comme dans la philosophie, comme dans la religion, c'est cette inconnue que Dieu seul dégagera. En vain vous vous êtes efforcés de pénétrer dans les régions sublimes où se dérobe l'invisible. Vous n'avez été grands que par la foi; lorsque vous avez voulu connaître, votre vue s'est troublée aux rayons de feu de ce soleil. Et toi même, ô Bossuet, le plus élevé de tous, parce que tu étais le plus près de Dieu par les ardeurs de ta croyance, n'as-tu pas dans l'ordre humain pris une partie de la vérité pour une vérité entière? Tes prédilections pour le système créé par Richelieu étaient-elles indépendantes de la puissance et des hommes qui t'entouraient? As-tu plané assez haut, ô grand aigle pour perdre de vue le trône resplendissant et le siècle célèbre dont tu étais la gloire?

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Acceptons la société dans laquelle nous vivons, et le doute politique qui nous préserve des excès de nos aïeux. Reconnaissons que l'élection est tout ce qui reste aux peuples mûris dans l'expérience

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