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«porter des bois de construction sans payer de droits, il l'avait refusé « pour éviter les calomnies. » C'est de la Macédoine qu'on faisait venir ordinairement ces bois. Le manuscrit du Vatican ajoute, d'après l'interprétation de M. Schneider, « car il fallait bien être plus raisonnable que «les Macédoniens. » Cette faveur d'un roi étranger aurait pu compromettre un Athénien, ou du moins lui attirer l'envie et la haine d'une partie de ses concitoyens.

(7) Un talent attique dont il s'agit valait soixante mines attiques; une mine, cent drachmes; une drachme, six oboles. Le talent attique valait quelque six cents écus de notre monnaie. (La Bruyère.) D'après l'évaluation de M. Barthélemy, le talent, que la Bruyère n'estime qu'environ 1800 livres, en valait 5400. Le manuscrit du Vatican ajoute, « car je « ne sais ce que c'est que de refuser. »

Le grec ne joint pas le trait suivant à celui-ci, et y parle de ce genre de collectes nommées éranes, dont il a été question au chap. 1, note 3. (8) On peut consulter, sur les charges onéreuses d'Athènes, le Voyage du jeune Anacharsis, chap. XXIV et chap. LVI. Elles consistaient en repas à donner, en chœurs à fournir pour les jeux, en contributions pour l'entretien des gymnases, etc., etc.

(9) Le grec dit : « Il se rend aux boutiques des marchands, et y de«mande des étoffes précieuses jusqu'à la valeur de deux talents, etc. >> On peut substituer à la correction de Casaubon celle de xλtoías, proposée par M. Visconti.

(10) Coutume des anciens. (La Bruyère.) (11) Par droit d'hospitalité. La Bruyère.

CHAPITRE XXIV.

De l'orgueil.

Il faut définir l'orgueil une passion qui fait que de tout ce qui est au monde l'on n'estime que soi. Un homme fier et superbe n'écoute pas celui qui l'aborde dans la place pour lui parler de quelque affaire; mais, sans s'arrêter, et se faisant suivre quelque temps, il lui dit enfin qu'on peut le voir après son souper (1). Si l'on a reçu de lui le moindre bienfait, il ne veut pas qu'on en perde jamais le souvenir; il le reprochera en pleine rue, à la vue de tout le monde (2). N'attendez pas de lui qu'en quelque endroit qu'il vous rencontre il s'approche de vous, et qu'il vous parle le premier : de même, au lieu d'expédier sur-le-champ des marchands ou des ouvriers, il ne feint point de les renvoyer au lendemain matin, et à l'heure de son lever. Vous le voyez marcher dans les rues de

la ville la tête baissée, sans daigner parler à personne de ceux qui vont et viennent (3). S'il se familiarise quelquefois jusques à inviter ses amis à un repas, il prétexte des raisons (4) pour ne pas se mettre à table et manger avec eux, et il charge ses principaux domestiques du soin de les régaler. Il ne lui arrive point de rendre visite à personne sans prendre la précaution d'envoyer quelqu'un des siens pour avertir qu'il va venir (5). On ne le voit point chez lui lorsqu'il mange ou qu'il se parfume (6). Il ne se donne pas la peine de régler lui-même des parties; mais il dit négligemment à un valet de les calculer, de les arrêter, et les passer à compte. Il ne sait point écrire dans une lettre, « Je vous prie de me faire ce plaisir, » ou « de << me rendre ce service; » mais, « J'entends que cela soit ainsi; << j'envoie un homme vers vous pour recevoir une telle chose; « je ne veux pas que l'affaire se passe autrement; faites ce que je vous dis promptement et sans différer. » Voilà son style.

NOTES.

(1) Littéralement : « L'orgueilleux est capable de dire à celui qui est « pressé de le voir immédiatement après le dîner, que cela ne peut se faire qu'à la promenade. »

(2) D'après le manuscrit du Vatican : « S'il fait du bien à quelqu'un, il «<lui recommande de s'en souvenir : si on le choisit pour arbitre, il juge << la cause en marchant dans les rues : s'il est élu pour quelque magis trature, il la refuse, en affirmant par serment qu'il n'a pas le temps de s'en charger. »> Je corrige le verbe qui commence la seconde phrase, en βαδίζων.

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(3) Le manuscrit du Vatican ajoute, «< ou bien portant la tête haute, « quand bon lui semble. >>

(4) C'est le traducteur qui a ajouté cet adoucissement. (5) Voyez le chapitre II, de la flatterie. (La Bruyère.)

(6) Avec des huiles de senteur. (La Bruyère.) (Voyez chap. v., te manuscrit du Vatican ajoute, « ou lorsqu'il se lave. »

note 4.)

CHAPITRE XXV.

De la peur, ou du défaut de courage.

Cette crainte est un mouvement de l'âme qui s'ébranle ou qui cède, en vue d'un péril vrai ou imaginaire; et l'homme timide est celui dont je vais faire la peinture. S'il lui arrive d'être sur la mer, et s'il aperçoit de loin des dunes ou des promontoires, la peur lui fait croire que c'est le débris de quelques vaisseaux qui ont fait naufrage sur cette côte (1); aussi tremble-t-il au moindre flot qui s'élève, et il s'informe avec soin si tous ceux qui naviguent avec lui sont initiés (2). S'il vient à remarquer que le pilote fait une nouvelle manœuvre, ou semble se détourner comme pour éviter un écueil, il l'interroge, il lui demande avec inquiétude s'il ne croit pas s'être écarté de sa route, s'il tient toujours la haute mer, et si les dieux sont propices (3). Après cela il se met à raconter une vision qu'il a eue pendant la nuit, dont il est encore tout épouvanté, et qu'il prend pour un mauvais présage. Ensuite, ses frayeurs venant à croître, il se déshabille et ôte jusques à sa chemise, pour pouvoir mieux se sauver à la nage; et, après cette précaution, il ne laisse pas de prier les nautonniers de le mettre à terre (4). Que si cet homme faible, dans une expédition militaire où il s'est engagé, entend dire que les ennemis sont proches, il appelle ses compagnons de guerre, observe leur contenance sur ce bruit qui court, leur dit qu'il est sans fondement, et que les coureurs n'ont pu discerner si ce qu'ils ont découvert à la campagne sont amis ou ennemis (5) : mais si l'on n'en peut plus douter par les clameurs que l'on entend, et s'il a vu lui-même de loin le commencement du combat, et que quelques hommes aient paru tomber à ses yeux; alors, feignant que la précipitation et le tumulte lui ont fait oublier ses armes (6), il court les querir dans sa tente, où il cache son épée sous le chevet de son lit, et emploie beaucoup de temps à la chercher; pendant que, d'un autre côté, son valet

va par ses ordres savoir des nouvelles des ennemis, observer quelle route ils ont prise, et où en sont les affaires; et dès qu'il voit apporter au camp quelqu'un tout sanglant d'une blessure qu'il a reçue, il accourt vers lui, le console et l'encourage (7), étanche le sang qui coule de sa plaie, chasse les mouches qui l'importunent, ne lui refuse aucun secours, et se mêle de tout, excepté de combattre. Si, pendant le temps qu'il est dans la chambre du malade, qu'il ne perd pas 'de vue, il entend la trompette qui sonne la charge, Ah! dit-il avec imprécation, puisses-tu être pendu (8) maudit sonneur qui cornes incessamment, et fais un bruit enragé qui empêche ce pauvre homme de dormir! Il arrive même que, tout plein d'un sang qui n'est pas le sien', mais qui a jailli sur lui de la plaie du blessé, il fait accroire (9) à ceux qui reviennent du combat qu'il a couru un grand risque de sa vie pour sauver celle de son ami; il conduit vers lui ceux qui y prennent intérêt, ou comme ses parents, ou parce qu'ils sont d'un même pays (10); et il ne rougit pas de leur raconter quand et de quelle manière il a tiré cet homme des mains des ennemnis, et l'a apporté dans sa tente.

NOTES.

(1) Le grec dit : « Sur mer, il prend des promontoires pour des galères << de pirates. »

(2) Les anciens naviguaient rarement avec ceux qui passaient pour impies; et ils se faisaient initier avant de partir, c'est-à-dire instruire des mystères de quelque divinité, pour se la rendre propice dans leurs voyages. (Voyez le chap. xvi, de la Superstition. (La Bruyère.).

Les mystères dont il s'agit ici sont ou ceux d'Eleusis, dans lesquels, d'après la religion populaire des Grecs, tout le monde devait être initié; ou bien ceux de Samothrace, qui étaient censés avoir la vertu particulière de préserver leurs initiés des naufrages.

(3) Ils consultaient les dieux par les sacrifices, ou par les augures, c'est-à-dire, par le vol, le chant et le manger des oiseaux, et encore par les entrailles des bêtes. (La Bruyère.) Le grec porte, «< il lui demande ce qu'il « pense du dieu; » et je crois, avec Fischer et Coray, que cela veut dire « ce qu'il présume de l'état du ciel. » Jupiter, ou le dieu par excellence, présidait surtout aux révolutions de l'atmosphère.

(4) Le grec porte: «Il se déshabille, donne sa tunique à son esclave,

" et prie qu'on l'approche de la terre, pour la gagner à la nage et se mettre « ainsi en sûreté. »

(5) D'après le manuscrit du Vatican, il faut traduire ce passage : « S'il << fait une campagne dans l'infanterie, il appelle à soi ceux qui courent « aux armes pour commencer l'attaque, et leur dit de s'arrêter d'abord, « et de regarder autour d'eux; car il est difficile de discerner si ce sont « les ennemis. >>

(6) Plus littéralement : « mais quand il entend le bruit du combat, quand << il voit des hommes tomber, alors il dit à ceux qui l'entourent qu'à force d'empressement il a oublié son épée, etc. >>

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(7) Le manuscrit du Vatican ajoute, « essaye de le porter et puis s'as"sied à côté de lui. »

(8) Le grec dit, « puisses-tu devenir la pâture des corbeaux! »

(9) Le texte porte, << il va à la rencontre de ceux qui reviennent du «< combat, et leur dit, etc. >>

(10) D'après le manuscrit du Vatican, « il conduit vers lui ceux de sa « bourgade ou de sa triba. »

CHAPITRE XXVI.

Des grands d'une république (1).

La plus grande passion de ceux qui ont les premières places dans un État populaire n'est pas le désir du gain ou de l'accroissement de leurs revenus, mais une impatience de s'agrandir, et de se fonder, s'il se pouvait, une souveraine puissance sur la ruine de celle du peuple (2). S'il s'est assemblé pour délibérer à qui des citoyens il donnera la commission d'aider de ses soins le premier magistrat dans la conduite d'une fête ou d'un spectacle, cet homme ambitieux, et tel que je viens de le définir, se lève, demande cet emploi, et proteste que nul autre ne peut si bien s'en acquitter (3). Il n'approuve point la domination de plusieurs (4), et de tous les vers d'Homère il n'a retenu que celui-ci :

Les peuples sont heureux quand un seul les gouverne.

Son langage le plus ordinaire est tel : Retirons-nous de cette multitude qui nous environne; tenons ensemble un conseil particulier où le peuple ne soit point admis; essayons même de lui fermer le chemin à la magistrature (5). Et s'il se laisse prévenir contre une personne d'une condition privée, de qui

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