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Les spectacles n'avaient lieu à Athènes qu'aux trois fêtes de Bacchus, et surtout aux grandes Dionysiaques, où des curieux de toute la Grèce affluaient à Athènes; et l'on sait qu'anciennement les étrangers logeaient ordinairement chez des particuliers avec lesquels ils avaient quelque liaison d'affaires ou d'amitié.

(8) Plus littéralement : « Il va dans une maison étrangère pour em<< prunter de l'orge ou de la paille, et force encore ceux qui lui prêtent <ces objets à les porter chez lui. »

(9) Les plus pauvres se lavaient ainsi pour payer moins. (La Bruyère.)

CHAPITRE X.

De l'épargne sordide.

Cette espèce d'avarice est dans les hommes une passion de vouloir ménager les plus petites choses sans aucune fin honnête (1). C'est dans cet esprit que quelques-uns, recevant tous les mois le loyer de leur maison, ne négligent pas d'aller eux-mêmes demander la moitié d'une obole qui manquait au dernier payement qu'on leur a fait (2); que d'autres, faisant l'effort de donner à manger chez eux (3), ne sont occupés, pendant le repas, qu'à compter le nombre de fois que chacun des conviés demande à boire. Ce sont eux encore dont la portion des prémices (4) des viandes que l'on envoie sur l'autel de Diane est toujours la plus petite. Ils apprécient les choses au-dessous de ce qu'elles valent; et, de quelque bon marché qu'un autre, en leur rendant compte, veuille se prévaloir, ils lui soutiennent toujours qu'il a acheté trop cher. Implacables à l'égard d'un valet qui aura laissé tomber un pot de terre, ou cassé par malheur quelque vase d'argile, ils lui déduisent cette perte sur sa nourriture; mais si leurs femmes ont perdu seulement un denier (5), il faut alors renverser toute une maison, déranger les lits, transporter des coffres, et chercher dans les recoins les plus cachés. Lorsqu'ils vendent, ils n'ont que cette unique chose en vue, qu'il n'y ait qu'à perdre pour celui qui achète. Il n'est permis à personne de cueillir une figue dans leur jardin, de passer au travers de leur champ, de ramasser une petite branche de palmier (6), ou quelques olives qui se

ront tombées de l'arbre. Ils vont tous les jours se promener sur leurs terres, en remarquent les bornes, voient si l'on n'y a rien changé, et si elles sont toujours les mêmes. Ils tirentintérêt de l'intérêt même, et ce n'est qu'à cette condition qu'ils donnent du temps à leurs créanciers. S'ils ont invité à dîner quelques-uns de leurs amis, et qui ne sont que des personnes du peuple (7), ils ne feignent point de leur faire servir un simple hachis; et on les a vus souvent aller eux-mêmes au marché pour ce repas, y trouver tout trop cher, et en revenir sans rien acheter. Ne prenez pas l'habitude, disent-ils à leurs femmes, de prêter votre sel, votre orge, votre farine, ni même du cumin (8), de la marjolaine (9), des gâteaux pour l'autel (10), du coton (11), de la laine (12); car ces petits détails ne laissent pas de monter, à la fin d'une année, à une grosse somme. Ces avares, en un mot, ont des trousseaux de clefs rouillées dont ils ne se servent point, des cassettes où leur argent est en dépôt, qu'ils n'ouvrent jamais, et qu'ils laissent moisir dans un coin de leur cabinet; ils portent des habits qui leur sont trop courts et trop étroits; les plus petites fioles contiennent plus d'huile qu'il n'en faut pour les oindre (13); ils ont la tête rasée jusqu'au cuir (14), se déchaussent vers le milieu du jour (15) pour épargner leurs souliers, vont trouver les foulons pour obtenir d'eux de ne pas épargner la craie dans la laine qu'ils leur ont donnée à préparer, afin, disent-ils, que leur étoffe se tache moins (16).

NOTES.

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(1) Le texte grec porte simplement : « La lésine est une épargne outrée, ou déplacée, de la dépense. >>

(2) Littéralement : « Un avare est capable d'aller chez quelqu'un au « bout d'un mois pour réclamer une demi-obole. » Théophraste n'ajoute pas quelle était la cause et la nature de cette créance, dont le peu d'importance fait précisément le sel de ce trait; elle n'est que de six liards.

(3) Dans le texte il n'est point question d'un repas que donne l'avare, mais d'un festin auquel il assiste; et le mot grec s'applique particulièrement à ces repas de confrérie que les membres d'une même curie, c'està-dire de la troisième partie de l'une des dix tribus, faisaient régulière

ment ensemble, soit chez un des membres de cette association, soit dans des maisons publiques destinées à cet usage. (Voyez la note de M. Coray sur le chap. I de cet ouvrage; Pollux, liv. VI, segm. 7 et 8; et Anacharsis, chap. XXVI et LVI.)

(4) Les Grecs commençaient par ces offrandes leurs repas publics. (La Bruyère.) Les anciens regardaient en général comme une impiété de manger ou de boire sans avoir offert des prémices ou des libations à Cérès ou à Bacchus. Mais il doit y avoir quelque raison particulière pour laquelle ici les prémices sont adressées à Diane; et c'était peut-être l'usage des repas de curies, puisqu'on sacrifiait aussi à cette déesse en inscrivant les enfants dans ce corps, et cela au moment où on leur coupait les cheveux. (Voyez Hésychius, in voce Kureotis.) M. Barthélemy me paraît avoir fait une application trop générale de ce passage dans son chap. xxv du Voyage du jeune Anacharsis.

(5) Je crois qu'il faut préférer la leçon suivie par Politien, qui traduit, « un peigne. » (Voyez Suidas, cité par Needham.)

(6) « Une datte. >>

(7) La Bruyère a rendu ce passage fort inexactement. Il faut traduire : « S'il traite les citoyens de sa bourgade, il coupera par petits morceaux « les viandes qu'il leur sert. » Les bourgades étaient une autre division de l'Attique que celle en tribus; il y en avait cent soixante et quatorze. Les repas communs de ces différentes associations étaient d'obligation, et les collectes pour en faire les frais étaient ordonnées par les lois. Il parait, par ce passage et par le chapitre suivant, note 14, que, dans ces festins, celui chez lequel ou au nom duquel ils se donnaient était chargé de l'achat et de la distribution des aliments, mais qu'il était surveillé de près par les convives.

(8) Une sorte d'herbe. (La Bruyère.)

(9) Elle empêche les viandes de se corrompre, ainsi que le thym et le laurier. (La Bruyère.)

(10) Faits de farine et de miel, et qui servaient aux sacrifices. (La Bruyère.)

(11) Des bandelettes pour la victime, faites de fils de laine non tissus, et réunis seulement par des nœuds de distance en distance.

(12) Au lieu de laine, Théophraste nomme ici encore une espèce de gâteaux ou de farine qui servaient aux sacrifices; et plus haut il parle de mèches, mot que la Bruyère a omis, ou qu'il a voulu exprimer ici. (13) Voyez sur l'usage de se frotter d'huile le Caractère v, note 4. (14) « Ils se font raser jusqu'à la peau. » Voyez Caractère IV, note 7. (15) Parce que dans cette partie du jour le froid en toute saison était supportable. (La Bruyère.) Il me semble que, lorsqu'il s'agit d'Athènes, il faut penser plutôt aux inconvénients de la chaleur qu'à ceux du froid: c'est afin que la sueur n'use pas ses souliers.

(16) C'était aussi parce que cet apprêt avec de la craie, comme le pire de tous, et qui rendait les étoffes dures et grossières, était celui qui coûtait le moins. (La Bruyère.) Il n'est question dans le grec ni de craie ni de laine, mais de terre à foulon, et d'un habit à faire blanchir. (Voyez les notes de M. Coray.) M. Barthélemy observe, dans son chap. XX, que le bas peuple d'Athènes était vêtu d'un drap qui n'avait reçu aucune teinture, et qu'on pouvait reblanchir, tandis que les riches préféraient des draps de couleur.

CHAPITRE XI.

De l'impudent, ou de celui qui ne rougit de rien.

L'impudence (1) est facile à définir : il suffit de dire que c'est une profession ouverte d'une plaisanterie outrée, comme de ce qu'il y a de plus contraire à la bienséance. Celui-là, par exemple, est impudent, qui, voyant venir vers lui une femme de condition, feint dans ce moment quelque besoin pour avoir occasion de se montrer à elle d'une manière déshonnête (2); qui se plaît à battre des mains au théâtre lorsque tout le monde se tait, ou à siffler les acteurs que les autres voient et écoutent avec plaisir ; qui, couché sur le dos (3), pendant que toute l'assemblée garde un profond silence, fait entendre de sales hoquets qui obligent les spectateurs de tourner la tête et d'interrompre leur attention. Un homme de ce caractère achète en plein marché des noix, des pommes, toute sorte de fruits, les mange, cause debout avec la fruitière, appelle par leurs noms ceux qui passent, sans presque les connaître, en arrête d'autres qui courent par la place et qui ont leurs affaires (4); et s'il voit venir quelque plaideur, il l'aborde, le raille et le félicite sur une cause importante qu'il vient de perdre. Il va lui-même choisir de la viande, et louer pour un souper des femmes qui jouent de la flûte (5); et montrant à ceux qu'il rencontre ce qu'il vient d'acheter, il les convie en riant d'en venir manger. On le voit s'arrêter devant la boutique d'un barbier ou d'un parfumeur (6), et là annoncer qu'il va faire un grand repas et s'enivrer.

(7) Si quelquefois il vend du vin, il le fait mêler pour ses amis comme pour les autres sans distinction. Il ne permet pas à ses enfants d'aller à l'amphithéâtre avant que les jeux soient commencés, et lorsque l'on paye pour être placé, mais seulement sur la fin du spectacle, et quand l'architecte (8) néglige les places et les donne pour rien. Étant envoyé avec quelques autres citoyens en ambassade, il laisse chez soi la somme que

le public lui a donnée pour faire les frais de son voyage, et emprunte de l'argent de ses collègues sa coutume alors est de charger son valet de fardeaux au delà de ce qu'il en peut porter, et de lui retrancher cependant de son ordinaire; et comme il arrive souvent que l'on fait dans les villes des présents aux ambassadeurs, il demande sa part pour la vendre. Vous m'achetez toujours, dit-il au jeune esclave qui le sert dans le bain, une mauvaise huile, et qu'on ne peut supporter : il se sert ensuite de l'huile, d'un autre, et épargne la sienne. Il envie à ses propres valets, qui le suivent, la plus petite pièce de monnaie qu'ils auront ramassée dans les rues, et il ne manque point d'en retenir sa part avec ce mot, Mercure est commun (9). Il fait pis: il distribue à ses domestiques leurs provisions dans une certaine mesure (10) dont le fond, creux par dessous, s'enfonce en dedans et s'élève comme en pyramide; et quand elle est pleine, il la rase lui-même avec le rouleau le plus près qu'il peut (11).... De même, s'il paye à quelqu'un trente mines (12) qu'il lui doit, il fait si bien qu'il y manque quatre drachmes (13) dont il profite. Mais, dans ces grands repas où il faut traiter toute une tribu (14), il fait recueillir, par ceux de ses domestiques qui ont soin de la table, le reste des viandes qui ont été servies, pour lui en rendre compte : il serait fâché de leur laisser une rave à demi mangée.

NOTES.

(1) Il me semble que ce Caractère serait mieux intitulé, De l'impertinence. La définition de Théophraste dit mot à mot: « C'est une dérision « ouverte et insultante. >>

(2) Le grec dit simplement : « Voyant venir vers lui des femmes « honnêtes, il est capable de se retrousser et de montrer sa nudité. >> L'impertinent ne prend point de prétexte.

(3) Le verbe grec employé ici signifie «levant la tête. » La Bruyère paraît avoir été induit en erreur, ainsi que l'a déjà observé M. Coray, par la traduction de Casaubon, qui rend ce mot par resupinato corpore. On trouvera d'autres détails sur la conduite des Athéniens au spectacle, dans le Voyage du jeune Anacharsis, chap. LXX.

(4)« Les vingt mille citoyens d'Athènes, dit Démosthène, ne cessent « de fréquenter la place, occupés de leurs affaires ou de celles de « l'État. »

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