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LA BRUYÈLE.

gularité, et dont les fausses, je dis les fausses et malignes applications pouvaient me nuire auprès des personnes moins équitables et moins éclairées que vous, a été toute la médiation que j'ai employée, et que vous avez reçue. Quel moyen de me

repentir jamais d'avoir écrit ?

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Depuis la traduction des Caractères de Théophraste par la Bruyère, eet ouvrage a reçu des additions importantes, et d'excellents critiques en ont éclairci beaucoup de passages difficiles.

En 1712, Needham publia les leçons de Duport sur treize de ces Caractères. En 1763, Fischer résuma dans une édition critique presque tout ce qui avait été fait pour cet ouvrage, et ajouta des recherches nouvelles. En 1786, M. Amaduzzi publia deux nouveaux Caractères, que Prosper Petronius avait découverts, et qui se trouvent à la suite des anciens, dans un manuscrit de la bibliothèque palatine du Vatican. En 1790, M. Belin de Ballu traduisit ces deux Caractères en français, et les joignit à une édition de la Bruyère, dans laquelle il ajouta quelques notes critiques à celles dont Coste avait accompagné la traduction de Théophraste dans les éditions précédentes.

En 1798, M. Goetz publia les quinze derniers Caractères avec des additions considérables sur les papiers de M Siebenkees, qui avait ttré cette copie plus complète du même manuscrit où l'on avait trouvé les deux derniers chapitres, mais qui malheureusement ne contient pas les quinze premiers.

En 1799 (an VII), M. Coray donna une édition grecque et française de l'ouvrage entier, qu'il éclaircit par une traduction nouvelle, et par

des notes aussi intéressantes pour la critique du texte que pour la connaissance des mœurs de l'antiquité. Ce savant helléniste, presque compatriote du philosophe qu'il interprète, a même expliqué quelquefois très-heureusement, par des usages de la Grèce moderne, des particularités de ceux de la Grèce ancienne. En dernier lieu, M. Schneider, l'un des plus savants philologues d'Allemagne, a publié une édition critique de ces Caractères, en les classant dans un nouvel ordre, et en y faisant beaucoup de corrections. Son travail jette une lumière nouvelle sur plusieurs passages obscurs de l'ancien texte et des additions, que cet éditeur défend contre les doutes qu'on avait élevés sur leur authenticité. Il prouve par plusieurs circonstances, auxquelles on n'avait pas fait attention avant lui, et par l'existence même d'une copie plus complète que les autres, que nous ne possédons que des extraits de cet ouvrage. Je traiterai avec plus de détails de cette hypothèse très-probable dans la note I du chapitre XVI.

Les-importantes améliorations du texte, les versions nouvelles de beaucoup de passages, et les éclaircissements intéressants sur les mœurs, fournis par ces savants, rendraient la traduction de la Bruyère peu digne d'être remise sous les yeux du public, si tout ce qui est sorti de la plume d'un écrivain si distingué n'avait pas un intérêt particulier, et si l'on n'avait pas cherché à suppléer ce qui lui manque.

C'est là le principal objet des notes que j'ai ajoutées à celles de ce traducteur, et par lesquelles j'ai remplacé les notes de Coste, qui n'éclaircissent presque jamais les questions qu'on y discute. Je les ai puisées en grande partie dans les différentes sources que je viens d'indiquer, ainsi que dans le commentaire de Casaubon, et dans les observations de plusieurs autres savants qui se sont occupés de cet ouvrage. J'ai fait usage aussi de l'élégante traduction de M. Levesque, qui a paru en 1782 dans la collection des Moralistes anciens ; des passages imités ou traduits par M. Barthélemy dans son Voyage du jeune Anarcharsis; et de la traduction allemande commencée par M. Hottinger de Zurich, dont je regrette de ne pas avoir pu attendre la publication complète, ainsi que celle des papiers de Fonteyn qui se trouvent entre les mains de l'illustre helléniste Wyttenbach.

J'avais espéré que les onze manuscrits de la Bibliothèque nationale me fourniraient les moyens d'expliquer ou de corriger quelques passages que les notes de tant de savants commentateurs n'ont pas encore suffisamment éclaircis. Mais, excepté la confirmation de quelques cor

rections déjà proposées et la découverte de quelques scolies peu importantes, l'examen que j'en ai fait n'a servi qu'à m'apprendre qu'aucune de ces copies ne contient rien de plus que les quinze premiers chapitres de l'ouvrage, et qu'ils s'y trouvent avec toutes leurs difficultés et leurs lacunes.

J'ai observé que, dans les trois plus anciens de ces manuscrits, ces Caractères se trouvent immédiatement après un morceau inédit de Syrianus sur l'ouvrage d'Hermogène de Formis orationis. On sait que la seconde partie de cet ouvrage traite de la manière dont on doit peindre les mœurs et les caractères, et qu'elle contient beaucoup d'exemples tirés des meilleurs auteurs de l'antiquité, mais qui ne sont ordinairement que des fragments très-courts et sans liaison. A la fin du Commentaire assez obscur dont je viens de parler, et que le savant et célèbre conservateur des manuscrits grecs de la Bibliothè que nationale, M. la Porte du Theil, a eu la bonté d'examiner avec moi, l'auteur paraît annoncer qu'il va donner des exemples plus étendus que ceux d'Hermogène, en publiant à la suite de ce morceau les Caractères entiers qui sont venus à sa connaissance. Cet indice sur la manière dont cette partie de l'ouvrage nous a été transmise explique pourquoi on la trouve si souvent, dans les manuscrits, sans la suite, et toujours avec les mêmes imperfections.

Étant ainsi frustré de l'espoir d'expliquer ou de restituer les passages difficiles ou altérés, par le secours des manuscrits, j'ai tâché de les éclaircir par de nouvelles recherches sur la langue et sur la philosophie de Théophraste, sur l'histoire et sur les antiquités.

J'ose dire que ces recherches m'ont mis à même de lever une assez grande partie des difficultés qu'on trouvait dans cet ouvrage, et de m'apercevoir que plusieurs passages qu'on croyait suffisamment entendus admettent une explication plus précise que celle dont on s'était contenté jusqu'à présent.

Outre les matériaux rassemblés par les commentateurs plus anciens et par moi-même, M. Visconti, dont l'érudition, la sagacité, et la précision critique qu'il a su porter dans la science des antiquités, sont si connues et si distinguées, a eu la bonté de me fournir quelques notes précieuses sur les passages parallèles et sur les monuments qui peuvent éclaircir des traits de ces Caractères.

Pour mieux faire connaître le mérite et l'esprit particulier de l'ouvrage de Théophraste, j'ai joint aux Caractères tracés par lui quelques antres morceaux du même genre, tirés d'auteurs anciens.

Il eût été assez intéressant de continuer cette collection de Caractères antiques par des traits recueillis dans les orateurs, les historiens, et les poëtes comiques et satiriques d'Athènes et de Rome, et rassemblés en différents tableaux, de manière à former une peinture complète des mœurs de ces villes. Il serait utile aussi de comparer en détail les Caractères tracés par ces auteurs aux différentes époques de la civilisation, sous le double rapport des progrès des mœurs et de ceux de l'art de les peindre. Mais l'objet et la nature de cette édition m'ont prescrit des bornes plus étroites.

Je regrette que l'éloignement ne m'ait pas permis de soumettre à mon père ce premier essai dans une carrière dans laquelle il m'a introduit, et où je cherche à marcher sur ses traces. Mais j'ai eu le bonheur de pouvoir communiquer mon travail à plusieurs savants et l'ttérateurs du premier ordre, et surtout à MM. d'Ansse de Villoison, Visconti et Suard, qui ont bien voulu m'aider de leurs conseils et m'honorer de leurs encouragements.

DISCOURS DE LA BRUYÈRE

SUR

THEOPHRASTE.

Je n'estime pas que l'homme soit capable de former clans son esprit un projet plus vain et plus chimérique que de prétendre, en écrivant de quelque art ou de quelque science que ce soit, échapper à toute sorte de critique et enlever les suffrages de tous ses lecteurs.

Car, sans m'étendre sur la différence des esprits des hommes, aussi prodigieuse en eux que celle de leurs visages, qui fait goûter aux uns les choses de spéculation, et aux autres celles de pratique; qui fait que quelques-uns cherchent dans les livres à exercer leur imagination, quelques autres à former leur jugement; qu'entre ceux qui lisent, ceux-ci aiment à être forcés par la démonstration, et ceux-là veulent entendre délicatement', ou former des raisonnements et des conjectures; je me renferme seulement dans cette science qui décrit les mœurs, qui examine les hommes, et qui déve

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