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et d'amis dévoués, notre collègue semblait être la vivante représentation du bonheur possible. Et cependant de tristes pressentiments l'assiégeaient quelquefois il ne pouvait oublier que ses parents les plus proches étaient morts dans une période peu avancée de la vie, et il redoutait le même

sort.

Pendant le cours de l'année 1863, il fut frappé du coup qu'il attendait; il s'aperçut qu'il était atteint du diabète. On le vit alors redoubler d'activité, ajouter à ses occupations journalières la chasse, pour laquelle il était passionné, la gymuastique et tous les exercices du corps, auxquels il excellait, s'astreindre résolument aux moyens de traitement que nécessitait son état, et lutter avec une énergique volonté contre la maladie qui le minait sourdement. Jamais la facilité de son caractère, sa bonté sympathique pour tous, sa tendresse pour les siens ne se démentirent pendant tout le temps qui lui fut donné d'envisager le terme fatal. Ceux qui l'aimaient purent un instant croire à sa guérison; mais ils ne puisaient leurs illusions que dans la fermeté calme et la sérénité de son esprit. Au moment où l'espoir renaissait en eux, en lui peut-être, car l'espoir ne disparaît qu'avec la vie, une légère égratignure que Bauchet s'était faite fortuitement à la main devint le point de départ d'un phlegmon gangréneux qui envahit tout le membre supérieur et enleva notre collègue en quarante-huit heures.

La mort rapide de Bauchet impressionna douloureusement toutes les personnes qui le connaissaient; aussi l'affluence à ses funérailles fut-elle considérable au milieu d'elle, chacun de nous voit encore avec émotion ce patriarche de la Chirurgie française et notre maître à tous, s'avançant la main étendue sur la dépouille de son élève et de son ami, comme pour le bénir, et, la voix déchirée par les sanglots, lui adressant un adieu qu'il ne put achever. De tels regrets sont le plus bel éloge que l'on puisse faire de celui qui les inspire.

Heureux, a-t-on osé dire, ceux qui meurent jeunes! Et moi je dis malheureux celui qui jeune encore est violemment arraché à l'amour, à l'amitié, à toutes les nobles jouissances légitimement acquises! C'est le lot rigoureux que le destin réserve quelquefois à ceux qu'il a particulièrement favorisés, ce fut celui de Bauchet qui appartenait, du reste, à une de ces familles semblant destinées fatalement à disparaître. La mère de Bauchet,

deux fois veuve, après avoir perdu deux enfants nés de sa première union a vu mourir les deux autres que son second mariage lui avait donnés, et, seule, elle est restée debout au seuil de tous les tombeaux des siens : Bauchet lui-même est mort sans laisser d'enfants; et sa jeune veuve ravive chaque jour la douleur de la perte qu'elle a faite, dans le culte qu'elle a voué à la mémoire de celui qui était tout entier sa joie et son bonheur.

SUR LA VIE ET LES TRAVAUX

DE

M. LE DE MOREL-LAVALLÉE

MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE DE CHIRURGIE

LUE EN SÉANCE ANNUELLE, LE 9 JANVIER 1867

Par M. LEGOUEST,

Secrétaire général.

Messieurs,

En vous rappelant aujourd'hui la vie et les travaux de M. le docteur Morel-Lavallée, membre de la Société de chirurgie, j'acquitte une double dette envers notre collègue; je rends justice au chirurgien qui consacra tous ses instants au travail, et je rends hommage à l'un de nos anciens Présidents qui, par un fâcheux concours de circonstances, a disparu sans recevoir le témoignage public de nos regrets. Bien que M. Morel-Lavallée fût depuis longtemps atteint d'une maladie incurable qui permettait de compter ses jours, quelques-uns d'entre nous seulement furent avertis tardivement de l'heure où il cessa de vivre et purent l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure.

M. Morel-Lavallée est mort, il y a deux ans à peine, le 28 avril 1865. La juste appréciation de certains hommes exige un éloignement marqué des temps où ils ont vécu : soit qu'ouvriers habiles de leur renommée, ils aient su donner à leurs travaux un retentissement qui s'éteint peu à peu, lorsqu'il n'est plus soutenu par leurs propres efforts; soit qu'intelligences tout d'abord méconnues ou contestées, ils ne recueillent qu'une illustration posthume et reculée de leurs œuvres prisées enfin à la valeur croissante de leur mérite. Il est possible de porter sur d'autres un jugement immé, diat ce sont les hommes de génie, éclatants possesseurs de la vérité,

ouvrant à la science des voies nouvelles, rectifiant les anciennes et y précipitant les esprits par leur irrésistible puissance; et aussi ces hommes modestes qui, sans sortir des bornes aux choses connues, s'occupent du soin de présenter sous un nouveau jour ce que leurs prédécesseurs n'ignoraient pas, et le font avec un talent qui leur donne un rang distingué dans la science. C'est à cette dernière phalange qu'appartenait M. Morel-Lavallée. Nous pouvons donc apprécier dès aujourd'hui l'allure de cet esprit vif et tenace que rehaussait une certaine originalité.

M. Morel-Lavallée n'aborda l'étude de la médecine qu'à l'âge de vingt et un ans il avait commencé tard ses études littéraires. Né à Bion, dans le département de la Manche, le 24 août 1811, d'une famille de laboureurs, il prit part aux travaux de la terre jusqu'à l'âge de treize ans. Mais l'activité de son intelligence détermina ses parents à le placer au séminaire de Mortain où il fit ses premières classes, et plus tard au collège de Saint-Lô où il termina ses humanités. Ce fut un écolier sérieux, comptant chaque année de nombreux succès; plus âgé que ses camarades, il sentait davantage la nécessité du travail. Il passait ses vacances à Bion, reprenant volontiers la herse ou la charrue, s'occupant, nouvel Hercule, à détourner le cours d'une petite rivière, réparant avec beaucoup d'adresse les instruments aratoires, et lisant, à l'heure du loisir, quelques livres de chirurgie empruntés à la bibliothèque du praticien de son village. Ces lectures, curieusement poursuivies, développèrent sans doute en lui la pensée de devenir chirurgien.

La conscription vint l'atteindre au moment où il achevait sa philosophie. A la distribution des prix, présidée par le Préfet du département, le Proviseur lut le discours de l'élève qui allait être couronné; il annonça à l'assemblée que ce lauréat qu'on applaudissait sans le connaître encore, était appelé par le sort à faire partie de l'armée, et termina en proclamant le nom de Morel-Lavallée. Le Préfet, qui avait apprécié plus que personne les preuves de savoir données par le jeune conscrit, se chargea de faire des démarches en sa faveur et obtint qu'il fût dispensé du service militaire. Cette heureuse dérogation à la loi du recrutement permit à Morel-Lavallée de venir à Paris, et quelques années après il était l'interne de Sanson.

L'internat, ce fut presque une fortune pour ce villageois, vivant péniblement d'une chétive pension que lui servait sa famille et du produit de quelques leçons apprises une heure avant d'être enseignées, mais qui devait conserver toujours le caractère soucieux, inquiet et peu maniable que lui avaient sans doute imprimé une éducation trop tardive et les labeurs de ses premières années de séjour dans la capitale.

Recu docteur en 1842, nommé le premier en 1847, au concours pour la place de chirurgien du bureau central, successivement chargé de services de chirurgie dans les hôpitaux de Lourcine, de Cochin, de Necker, de Saint-Antoine, récompensé par la croix de la Légion d'honneur de son dévouement pendant le choléra de 1849, arrivé à l'hôpital Beaujon qu'il avait toujours ambitionné, Morel-Lavallée restait encore le même : un peu rude dans sa forme, qu'il n'adoucissait que pour les malades, toujours préoccupé du lendemain, replié sur lui-même, ne sachant employer son temps qu'au travail, et néanmoins continuellement en action, excitable et prompt à s'animer. Peut-être n'avait-il pas atteint le but qu'il s'était proposé un instant il porta ses visées jusqu'au professorat officiel, mais il ne fit jamais que des cours particuliers de clinique dans les hôpitaux auxquels il appartint, ou des cours de pathologie chirurgicale dans les amphithéâtres de l'École pratique. Sa santé, du reste, vint borner ses aspirations atteint depuis longtemps d'une bronchite chronique passant souvent à l'état aigu, frappé un jour d'une apoplexie pulmonaire, il dut renoncer à parler en public. Mais, travailleur par tempérament, il reporta d'un côté ce qu'il abandonna de l'autre, écrivit de nombreux articles de chirurgie pour la Bibliothèque du médecin praticien, se chargea de la rédaction scientifique du journal le Siècle et composa plusieurs mémoires, à l'occasion de faits tirés de sa pratique, qui furent récompensés par l'Académie des sciences.

Morel-Lavallée fit sa thèse inaugurale sur l'ostéite et ses suites, et il eut à traiter dans deux thèses de concours, travaux plus sérieux que le précédent, pour la chaire de clinique chirurgicale, en 1851, des Luxations compliquées; pour l'agrégation de chirurgie, en 1857, de la Valeur relative des méthodes de traitement des rétrécissements de l'urethre. La première de ces thèses est une dissertation approfondie sur le sujet, renfer

T. VII.

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