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La malade s'étant décidée à subir l'opération, j'enlève la tumeur le 31 octobre 1861, avec l'aide de mes amis et confrères MM. les docteurs Laennec et Thoinnet.

La plaie a été faite suivant une direction oblique en bas et en dehors; un lambeau elliptique de peau, comprenant le mamelon, a été sacrifié à la partie moyenne de la tumeur. Toute la glande mammaire a été enlevée. La tumeur, comme on l'avait prévu, n'avait contracté aucune adhérence avec le grand pectoral, aussi la dissection en fut-elle très-facile. Une bandelette de linge ayant été placée au fond de la plaie dont elle dépassait l'angle inférieur, afin d'assurer l'écoulement des liquides, les lambeaux de peau ont été réunis de la façon suivante : trois points de suture métallique ont été placés à égale distance pour assurer la réunion, et dans les intervalles qu'ils laissaient, soit entre eux, soit vers les angles de la plaie, des serres-fines ont permis de compléter l'affrontement des bords. La plaie ainsi réunie avait une longueur totale de 13 centimètres.

Les serres-fines ont été enlevées le lendemain de l'opération, de même que la bandelette dont j'ai parlé plus haut; les fils d'argent ont été laissés jusqu'au quatrième jour. La réunion a été complète dans toute l'étendue de la plaie et ne s'est pas démentie les jours suivants.

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Des potages, prescrits pendant les deux premiers jours seulement, ont été remplacés ensuite par des aliments solides, et le cinquième jour l'opérée avait repris son régime habituel.

La malade n'a pas éprouvé la moindre fièvre et a commencé à se lever dès le troisième jour.

Quant aux ligatures, elles se sont détachées à des époques très-variables, depuis le quatrième jour jusqu'au vingtième. Comme chacune d'elles sortait entre les lèvres de la plaie en un point aussi voisin que possible du lieu où elle avait été appliquée, ces fils n'ont nullement compromis la réunion immédiate.

Afin de ne pas scinder l'observation, je vais en indiquer de suite le triste dénoûment, avant de passer à la description un peu longue de la pièce pathologique.

J'ai revu la malade en janvier 1862, et jusqu'à cette époque la guérison s'était maintenue; il n'y avait pas trace de récidive, soit sur place, soit dans les ganglions de l'aisselle. Comme on va le voir, il y a eu environ trois mois d'intervalle entre l'opération et la récidive.

En effet, le 15 février la malade vient me voir. Il y a cinq ou six jours, me dit-elle, sentant de la gêne dans les mouvements du bras gauche (côté opéré), elle a porté la main dans l'aisselle et y a découvert deux glandes.

J'explore cette région et j'y trouve une tumeur grosse comme une forte noix, arrondie mais offrant quelques bosselures légères à sa surface. Elle siége à la paroi interne de l'aisselle, au-dessous du muscle grand pectoral. La peau qui la recouvre est complétement naturelle et libre d'adhérences. La tumeur elle-même est mobile sur les couches profondes; cependant de sa partie supérieure semblent partir des tractus qui s'enfoncent profondément dans l'aisselle. Au-dessous et à 5 centimètres environ de cette tumeur, il existe une seconde glande grosse seulement comme une petite noisette, très-mobile, très-superficielle.

Prévenu cette fois, par l'étude anatomique de la tumeur que j'avais précédemment enlevée, de la possibilité d'une imprégnation calcaire, je recherchai avec soin quelle était la consistance de ces deux tumeurs, et je les trouvai d'une dureté osseuse.

La pression qu'on exerce sur ces tumeurs y détermine une douleur assez vive. Les mouvements du bras sont gênés et même il survient de temps à autre des douleurs spontanées qui n'ont pas jusqu'ici la forme d'élancements.

L'état général est toujours bon les digestions sont régulières; pas de troubles des principales fonctions, pas d'amaigrissement notable ni de teinte cachectique de la peau. Ces motifs, de même que l'isolement des tumeurs, me font proposer une seconde opération que la malade refuse.

Le 10 mai, je revois la femme M... qui vient demander une opération devenue impraticable: on sent dans l'aisselle des masses volumineuses, immobiles, qui rappellent par leur dureté la tumeur primitive.

En juin, de nombreux petits tubercules cutanés apparaissent au-dessus de la cicatrice; des veines bleuâtres les entourent. Ces tubercules ne sont pas aussi durs que les tumeurs précédemment décrites; ils ont tout à fait les caractères de petits noyaux squirrheux ordinaires.-L'appétit diminue, la toux et l'oppression commencent à paraître, de même que la faiblesse et l'amaigrissement.

A partir de cette époque, la maladie continue ses progrès toutes les petites masses primitivement isolées s'accroissent et se confondent par leurs bords. D'autres noyaux apparaissent au voisinage. - Depuis la fin du mois d'août, un peu de sang est rejeté dans les crachats; la respiration, rauque et beaucoup plus embarrassée, ressemble à une sorte de cornage.

Une petite érosion se montre vers l'aisselle au commencement de septembre, mais elle reste stationnaire. De vives douleurs se font sentir dans les reins et s'irradient vers la jambe droite; la colonne vertébrale, explorée avec soin, ne montre pas de déformation appréciable.

Au milieu du mois de septembre, la tumeur offre un aspect effrayant. C'est une masse bosselée, énorme, qui commence au niveau du bord axillaire de

l'omoplate, remplit l'aisselle gauche au point de produire une forte abduction du bras, et se prolonge en avant plus loin que la ligne médiane, au delà même du bord droit du sternum. La malade est dans le marasme, et succombe le 26 septembre 1862, moins de huit mois après le début de la récidive.

Je n'ai malheureusement pu faire l'autopsie et constater d'une manière positive si les récidives s'étaient faites sous la même forme anatomique que la première tumeur.

Examen de la pièce.

J'aborde maintenant l'étude un peu compliquée de la pièce pathologique qui donne à cette observation son véritable intérêt.

La tumeur enlevée a 8 à 10 centimètres de diamètre, en y comprenant un liséré périphérique constitué par des lobules adipeux et du tissu glandulaire non dégénéré. Son épaisseur est de 30 à 35 millimètres.

Le poids total est de 160 grammes.

Aussitôt après l'opération, pratiquant une coupe dans le sens du grand diamètre de la tumeur afin d'en étudier les caractères, nous fùmes très-étonnés de trouver en certains points une très-grande résistance, comparable à celle d'un tissu osseux spongieux un peu raréfié.

Cette circonstance inattendue nous inspira des doutes sur la nature réellement squirrheuse de la tumeur, et au premier abord, à l'examen de la surface de la coupe, les caractères de certaines parties de cette surface, tels que l'aspect opalin et comme lacté, nous firent penser à un enchondrome ayant subi par places un travail d'ossification.

Pourtant en recherchant à l'œil nu, avec plus d'attention et en des points variés, les caractères du tissu morbide, on put reconnaître qu'il ne s'agissait pas d'un enchondrome véritable. Voici en effet quelles étaient l'apparence et la structure de cette production :

La tumeur est constituée à la fois par du tissu de consistance squirrheuse, et par des noyaux que je désignerai sous le nom d'ostéides, à cause de leur analogie apparente avec le tissu osseux.

Une moitié de la tumeur reposant sur sa base, on remarque sur la coupe médiane les objets suivants :

1° Un lobe volumineux, presque arrondi, qui forme la portion principale de la tumeur et en occupe à peu près la partie moyenne. Il a 3 centimètres et demi de largeur. Sa consistance est squirrheuse; la surface de section légèrement excavée. Sa couleur, généralement grise, est ici presque blanche, ailleurs jaunâtre ou d'un rouge pointillé qui dénote une certaine richesse vasculaire. Quelques tractus lui donnent par places l'apparence fibroïde. Il y a

quelques points où ce lobe offre une teinte opaline, demi-transparente, se rapprochant de celle du tissu cartilagineux, et en quelques endroits, de petites taches opaques, jaunâtres, au niveau desquelles le tranchant du scalpel rencontre quelque chose de dur et comme crétacé.

En raclant la surface de la coupe avec le dos du scalpel, on extrait une certaine quantité d'un sue opalin, lactescent, miscible à l'eau, ayant en un mot à un haut degré les caractères du suc cancéreux.

Ce lobe de la tumeur, assez consistant, comme je l'ai dit, au niveau de la coupe médiane, présente quand on le divise en travers une portion ramollie avoisinant sa périphérie.

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2° A droite de la masse arrondie que je viens de décrire et à son niveau, se trouvent trois lames ostéoïdes parallèles, placées presque de champ, ayant 2 centimètres et demi de hauteur et une épaisseur inégale qui varie de 3 à 5 millimètres. La première est immédiatement appliquée sur le lobe précédent et les trois lames sont également séparées les unes des autres par des intervalles presque linéaires. Les contours de ces lames sont irréguliers, à larges dentelures. La surface de leur coupe offre un piqueté rosé et des indices de fissures longitudinales.

3o Vers la surface de la tumeur, au-dessus des lames précédentes et immédiatement sous la peau, se trouve un ostéide ovalaire ayant 23 millimètres de largeur sur une épaisseur de 11 millimètres. Sa coupe ressemble assez bien à celle du tissu osseux spongieux; elle est piquetée de rouge, ferme, ne se laissant pénéter par l'ongle qu'avec une certaine difficulté.

Au-dessous de ce noyau, on en remarque un autre bien plus petit, presque triangulaire et offrant la même apparence de tissu.

Outre les ostéides que je viens de décrire et qui ont été divisés par le scalpel quand on a fait la coupe médiane, il y en a plusieurs autres en des points plus

ou moins éloignés; l'un d'eux en particulier est plus gros et plus épais que le pouce. Aucun d'eux ne fournit de suc.

Deux de ces ostéides, mis dans l'eau, ont résisté à quatre mois et demi de macération et ont conservé leur forme. Leur tissu est devenu très-blanc, beaucoup plus léger; il a pris l'aspect d'une éponge très-fine et il est bien plus friable: une pression modérée le fragmente sans le réduire absolument en poussière.

Examen microscopique.

Le suc de cette tumeur renferme les éléments qu'on rencontre dans les tumeurs cancéreuses ordinaires :

a. Des noyaux libres, d'un grand volume, contenant de un à trois nucléoles volumineux et brillants;

b. Des cellules dont les dimensions, très-variables, sont souvent considérables. Elles contiennent pour la plupart un seul noyau, mais quelques-unes en ont jusqu'à cinq. Presque toutes renferment des granulations constituées par de la graisse, et quelques-unes possèdent en outre des granulations qui paraissent de nature calcaire. La forme des cellules est arrondie, ovoïde, en raquette ou extrêmement irrégulière.

c. Quelques cellules sphéroïdales sont complétement remplies de gouttelettes huileuses, ce qui leur donne une teinte obscure, surtout au centre. d. Une assez grande quantité de petits éléments nucléaires sphériques, finement granuleux (cytoblastions de M. Ch. Robin).

e. Des gouttelettes de graisse qui flottent à l'état libre dans le liquide. Dans la trame de la tumeur se trouvent des cellules plasmatiques dont quelques-unes, fort allongées, se soudent bout à bout et s'amincissent graduelle ment de façon à passer à l'état de fibres connectives.

Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans la structure du principal lobe de la tumeur, c'est l'existence, au milieu d'un tissu squirrheux bien caractérisé, de très-petits noyaux d'enchondrome qui ont de la tendance à s'incruster de sels calcaires. Le tissu cartilagineux y existe à deux états:

1° A l'état de fibro-cartilage type. Je n'ai pu trouver qu'un seul noyau offrant cette apparence; il occupait le centre de la masse squirrheuse.

2o A l'état de cartilage à substance fondamentale amorphe, ou cartilage

vrai.

I. Comme on peut le voir sur la figure (pl. I, fig. 4), le noyau fibro-cartilagineux présente des capsules de cartilage, toutes allongées parallèlement et contenant de une à quatre cellules. Plusieurs de ces cellules sont très-granuleuses par suite de l'accumulation d'une grande quantité de gouttelettes huileuses. Les capsules sont séparées par une substance fondamentale nettement

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