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encore moins offenser le corps sans que les membres s'en ressentent. Ainsi le devoir et l'intérêt obligent également les deux parties contractantes à s'entr'aider mutuellement, et les mêmes hommes doivent chercher à réunir sous ce double rapport tous les avantages qui en dépendent.

Or, le Souverain n'étant formé que des particuliers qui le composent, n'a ni ne peut avoir d'intérêt contraire au leur; par conséquent la puissance souveraine n'a nul besoin de garant envers les sujets parce qu'il est impossible que le corps veuille nuire à tous ses membres, et nous verrons ci-après qu'il ne peut nuire à aucun en particulier. Le Souverain, , par cela seul qu'il est, est toujours tout ce qu'il doit être.

Mais il n'en est pas ainsi des sujets envers le Souverain, auquel, malgré l'intérêt commun rien ne répondroit de leurs engagements s'il ne trouvoit des moyens de s'assurer de leur fidélité.

En effet, chaque individu peut comme homme avoir une volonté particuliere, contraire ou dissemblable à la volonté gé

nérale qu'il a comme citoyen. Son intérêt particulier peut lui parler tout autrement qué l'intérêt commun; son existence absolue et naturellement indépendante peut lui faire envisager ce qu'il doit à la cause commune comme une contribution gratuite, dont la perte sera moins nuisible aux autres que le payement n'en est onéreux pour lui: et regardant la personne morale qui constitue l'Etat comme un être de raison, parce que ce n'est pas un homme, il jouiroit des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet injustice dont le progrès causeroit la ruine du Corps politique."

Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose, si-non qu'on le forcera d'être libre: car telle est la condition qui donnant chaque citoyen à la patrie, le garantit de toute dépendance personnelle; condition qui fait l'artifice et le jeu de la machine politique, et qui seule

rend légitimes les engagements civils, lesquels sans cela seroient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus.

CHAPITRE VILI.

CE

De l'Etat civil.

passage de l'état de nature à l'état civil produit dans l'homme un change ment très-remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquoit auparavant. C'est alors seulement que la voix du devoir succédant à l'impulsion physique et le droit à l'appétit, l'homme qui jusques-là n'avoit regardé que lui-même, se voit forcé d'agir sur d'autres principes, et de consulter sa raison avant d'écouter ses penchants. Quoiqu'il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu'il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s'exercent et se développent, ses idées s'étendent, ses sentiments s'ennoblissent, son ame toute entiere s'éleve à tel point,

que si les abus de cette nouvelle condi tion ne le dégradoient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devroit bénir sans cesse l'instant heureux qui l'en arracha pour jamais, et qui, d'un animal stupide et borné fit un être intelligent et un homme.

Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le Contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possede. Pour ne pas se tromper dans ses compensations il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n'a pour bornes que les forces de l'individu de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n'est que l'effet de la force ou le droit du premier occupant de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif.

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On pourroit sur ce qui précede ajouter à l'acquit de l'état civil la liberté morale qui seule rend l'homme vraiment maître de lui; car l'impulsion du seul appétit est

esclavage,

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esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite, est liberté. Mais je n'en ai déjà que trop dit sur cet article et le sens philosophique du mot liberté n'est pas ici de mon sujet.

CHAPITRE IX.

CHAQUE

Du Domaine réel.

HAQUE membre de la communauté se donne à elle au moment qu'elle se forme, telle qu'il se trouve actuellement lui et toutes ses forces, dont les biens qu'il possede font partie. Ce n'est pas que par cet acte la possession change de nature en changeant de mains, et devienne propriété dans celle du Souverain mais comme les forces de la Cité sont incomparablement plus grandes que celles d'un particulier, la possession publique est aussi dans le fait plus forte et plus irrévocable sans être plus légitime, au moins pour les étrangers. Car l'Etat à l'égard de ses membres est maître de tous leurs biens par le contrat social, qui dans l'Etat sert

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