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CHRONIQUE

HISTOIRE ET BIBLIOGRAPHIE

BRETAGNE

A peine deux mois se sont écoulés depuis notre dernière CHRONIQUE, et déjà bien longue est la liste des ouvrages nouveaux publiés dans nos provinces de l'Ouest. En Bretagne, plusieurs méritent une mention spéciale, mais il en est deux. surtout que nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs, tant pour l'intérêt des souvenirs qu'ils font revivre que pour l'importance des détails de notre histoire qu'ils ont su merveilleusement mettre en lumière. Ce nous est donc un devoir d'en parler tout d'abord, et pour l'un d'eux nous ne le saurions mieux faire qu'en rapportant ici l'intéressant compterendu, qu'a bien voult, en faire pour la Revue, notre confrère M. le comte Elie de Palys.

SOUVENIRS ET CAMPAGNES DU GÉNÉRAL DE LA MOTTE-ROUGE 1801 1883. - Montaigne dit à la préface de ses Essais : « Ceci est un livre de bonne foy; et tous les chroniqueurs citent cette parole en commençant leurs comptes-rendus. Nous dirions volontiers en parlant des Mémoires de M. de la Motte-Rouge Ceci est un livre d'honneur et de vertu, car c'est l'auteur qui s'y peint tout entier avec son amour inaltérable du devoir, et sa passion chevaleresque pour le service de la France. Le premier volume, seul paru, est écrit avec toute la bonne humeur et la gaieté de la jeunesse, qui trouve la vie belle et son métier charmant : il est rempli de portraits, d'anecdotes et de souvenirs précieux; et, de

tout cela, dit avec la verve de l'homme d'esprit et la rondeur du soldat, il résulte, selon l'expression d'un lecteur éminent, que le livre fait aimer et estimer celui qui l'a écrit.

En effet, c'est une grande et noble figure bretonne que le général de la Motte-Rouge, et ses qualités supérieures lui avaient déjà valu pendant sa vie, la popularité que ses mémoires achèveront de lui donner d'une manière durable et définitive. On savait à peu près partout en France que ce vieux brave se trouvait là toutes les fois qu'il y avait eu des coups à recevoir et des combats à soutenir pour l'honneur du drapeau, et son intrépidité légendaire l'avait signalé à l'admiration publique, sans le soustraire, hélas ! dans ses dernières années, à l'injustice de ceux qui se disaient le Gouvernement de la France et n'en étaient que les brigands! D'autres plus compétents que nous, étudieront cet ouvrage sous le point de vue militaire, et montreront l'intérêt qu'offrent aux officiers de tout âge la vie d'un chef si épris de sa carrière, les détails exacts qu'il contient sur la composition des corps, les mouvements de troupes et le récit des expéditions dont il a fait parti. Pour nous, nous voulons seulement faire ressortir aujourd'hui sa valeur historique, littéraire et bretonne.

Issu d'une famille qui portait un des plus vieux noms de la chevalerie du pays, et s'honorait d'être un rameau des Dinan-Montafilant, le gé néral, fut dès son enfance, élevé au milieu des souvenirs les plus émouvants de la Révolution française. Ses mémoires s'ouvrent par la sanglante histoire de la conspiration de la Rouërie qui mourut chez ses parents où il avait trouvé asile. M. et Mme de la Guyomaraye payèrent de leur vie, la généreuse hospitalité donnée à leur ami: Mademoiselle de la Guyomaraye qui devait plus tard être Madame de la Motte-Rouge, fut épargnée et put raconter à son fils ces dramatiques événements. Ce récit appuyé de pièces justificatives et de notes généalogiques sur les personnages qui y figurent est du plus haut intérêt pour l'histoire de notre pays à cette époque.

Puis commence le récit de l'enfance du jeune homme destiné à l'état militaire. Le chapitre rempli de fraiches et gracieuses descriptions du pays de Pléneuf et des châteaux voisins, Bellevue, Nantois, les Essarts, a pour nous un charme particulier. Il y a encore fort peu de détails publiés sur cette époque toute vivante dans nos mémoires par les récits de nos parents et ce sont des pages touchantes que celles qui racontent

4 Nous citerons spécialement les cadres du régiment d'Hector où servait M. de la Guyomaraye, et qui fit partie de l'expédition de Quiberon, l'interrogatoire complet de M. et Me de la Guyomaraye par devant Fouquier Tinville, et de nombreux détails sur la famille du jeune Desilles.

le départ de cet enfant breton reçu boursier à Saint-Cyr, à douze ans, et promettant au départ de la maison paternelle de faire toujours tout ce qu'il pourrait pour satisfaire son père et sa mère parole que son « cœur d'enfant leur donna et qu'il a tenue, dit-il, pendant les six années passées à Saint-Cyr, cette chère école, sa seconde mère bien-aimée ; » parole, ajouterons-nous à notre tour, que son cœur d'homme a répétée, parole que son cœur de gentilhomme a donnée aussi à la France, et qu'elle a récompensée en couvrant son glorieux fils des plus hautes distinctions militaires, honneur et illustration de sa vieillesse !

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Le général de la Motte-Rouge a dû écrire son journal au jour le jour depuis son entrée à l'Ecole militaire. Sans ce secours, il est impossible à la mémoire humaine de garder avec une telle précision les détails les plus circonstanciés sur les personnes et sur les faits. On le suit avec intérêt dans ses premières années passées à ce Saint-Cyr, nouvellement reconstitué et dont il nous décrit l'organisation et le régime, puis dans ses premières joies et ses premiers déboires.... qui n'en a pas !.... on connaît ses chefs, ses camarades. Car ce livre, nous l'avons déjà dit, et c'est une de ses plus piquantes attractions, fourmille de portraits lestement tracés d'un coup de plume plein d'entrain, où beaucoup de lecteurs pourront reconnaître leurs parents peut-être ou les amis de leurs parents. Ce sont d'abord les officiers : cette belle figure du général d'Albignac, commandant l'École de Saint-Cyr, avec la grande plume blanche de son chapeau, surnommé : la Grande Frégale ; le chef de bataillon Caraud qui disait toujours: laisez-vous, bien qu'on ne lui parlât pas; le capitaine Berliat, ancien pâtre des Alpes, malgré cela très bienveillant pour les Jeunes officiers sortis de l'école, et leur prêtant ses livres élégamment reliés, qu'il n'ouvrait guère pour lui même, puis l'abbé du Château, directeur des études, qui était «< jambé en coq, » et enfin la galerie complète des officiers du 22 de ligne, galerie qui se termine par quelques types achevés de vieux sergents grognards, dignes de l'immortel crayon de Charlet.

Nous sommes obligés de nous borner, et cependant nous voulons parler encore des chapitres consacrés à l'expédition d'Espagne. Après les faits de guerre racontés avec sa précision accoutumée, le jeune officier nous fait entrer en plein avec lui dans la vie de ce pays étrange : les garnisons aimables et les logements chez d'aimables senoras, les courses de novillos, les boléros et les guitares, et même les visites aux couvents. Il y a surtout une amusante réception des officiers du régiment, au parloir d'un monastère de femmes, et l'innocente coquetterie d'une jeune religieuse qui voulait à la fois chanter le Magnificat et voir les officiers!..... C'est un charmant et pittoresque tableau de mœurs 11

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T. IV.

DOCUMENTS.

IV ANNÉE, 4° LIV.

On devine par ces citations que le général de la Motte-Rouge ajoutait à ses aptitudes militaires, un véritable talent de littérateur. Cet homme qui trouvait le moyen d'écrire de si jolies choses pendant la vie agitée et les changements de garnison, et appréciait si finement la musique, les arts et la poésie, savait en outre sur le bout du doigt toute l'histoire militaire depuis Cyrus et la bataille de Cunaxa jusqu'à Napoléon et Waterloo. N'avons nous pas raison de dire que ce livre est d'un excellent exemple pour tout le monde

Cette intelligence si richement douée a dû être un charme de tous les jours pour ceux qui ont vécu dans son intimité. Devenu châtelain et laboureur, il a voulu passer sa vieillesse dans ie manoir qui portait son nom et il avait certainement la juste fierté de se dire qu'il donnait un nouveau lustre à ces vieilles murailles en leur apportant l'honneur d'abriter les dernières années de sa vie. C'est-là, qu'entouré des soins que peut donner une intelligence supérieure, jointe au dévouement le plus énergique et le plus tendre, c'est là que le vieux soldat, rendu à la tranquillité du sol natal, oubliait les rudes commencements de sa vie, et l'éducation sévère de Saint-Cyr de 1816, les grands champs de batailles d'Italie et de Crimée, l'héroïque journée du 8 septembre 1855 où, à Sébastopol, ses habits percés de vingt balles, le front haché d'un magnifique coup de sabre à la Guise, il tombait avec son compagnon d'armes le général Mellinet, encore plus balafré que lui, avec une dernière balle arrêtée sur sa poitrine par la main de Dieu, qui le réservait pour une fin plus paisible! C'est là, sur ce nouveau théâtre si différent du premier, qu'il faisait le bien autour de lui, s'attirait l'affection de tous ceux qui l'entouraient, et se préparait dans le calme et la paix du devoir noblement accompli pendant quatre vingts ans, sans une défaillance et sans une tache, à montrer à la postérité que le vieillard avait tenu la promesse de l'enfant, de satisfaire toujours sa famille et la France, ces deux mères si profondément aimées!

Comte DE PALYS.

Tout

LE PARLEMENT DE BRETAGNE API ES LA LIGUE (1578-1610). ce qui touche à l'ancienne France et particulièrement aux origines de nos libertés modernes, a le privilège d'intéresser vivement à l'heure actuelle l'opinion publique. Le Parlement de Bretagne après la Ligue (1598-1610), que vient de publier la maison Quantin à Paris, paraît bien à sa date pour nous rappeler qu'à aucune époque la nation française n'aurait entièrement abdiqué ses droits de peuple libre. Propriétaires de

↑ Parlement de Bretagne après la Ligue (1598-1610). valier de près de 600 p. Paris, lib. Quantin, 7 fr. 50.

Un vol. ea

leurs offices, dit excellemment M Henri Carié, l'auteur de cet intéressant ouvrage, les membres du Parlement, jouissant des privilèges les plus étendus, investis du droit de surveiller l'application des ordonnances et des règlements royaux, pouvant opposer aux édits du roi, l'obstacle des remontrances et lui refuser l'enregistrement avec obstination, ne pouvaient manquer, juges souverains, de s'imposer au respect universel.

Après nous avoir fait connaître les origines du Parlement de Bretagne depuis sa création (mars 1553), les modifications qu'il subit dans son organisation primitive, le rôle parliculier qu'il joua pendant la Ligue, M. Henri Carré nous initie aux secrets de sa vie intérieure, avec une science profonde, basée sur les sources et un réel talent de mise en œuvre. Personnel du Parlement (présidents, procureurs, sénéchaux, greffiers, etc)., usages et règlements, privilèges des magistrats, leurs devoirs, leurs relations entre eux, leur compétence judiciaire, leur rôle si curieux en matière politique et dans la police générale de la province, toutes ces questions dans l'ouvrage de M. Henri Carré, sont élucidées avec le plus grand soin et pour la première fois, croyons nous; car, à notre connaissance il n'existe aucun ouvrage antérieur donnant autant de détails sur une institution aussi étroitement liée aux péripéties de notre histoire.

Et pour compléter son œuvre, l'auteur a pris soin d'y joindre une bibliographie des imprimés et manuscrits où il a puisé ses nombreux renseignements, ainsi que la carte du ressort du Parlement de Bretagne avec le tableau des juridictions royales et du personnel de ces juridictions.

Puisse cette œuvre sérieuse, vivante et vraie, obtenir sans retard tout le succès qu'elle mérite et qui ne peut lui manquer auprès de tous ceux que passionne l'histoire de notre pays.

LIVRES ET OUVRAGES DIVERS. En dehors de ces travaux spéciaux, nous signalerons particulièrement à nos lecteurs parmi les récents travaux intéressant la Bretagne : Le Roman de Galerent, comte de Bretagne, par le Trouvère Renaut, publié pour la première fois d'après le manuscrit unique de la Bibliothèque nationale par Anatole Boucherie. In-8°, XV-224 p. Montpellier, imp. Hamelin, frères ; Paris, lib. Maisonneuve et C. Leclerc. L'Origine du Monde d'après la tradition. Ouvrage posthume du chanoine A. Motais, de l'Oratoire de Rennes; avec Introduction sur la Cosmogonie biblique par l'abbé Charles Robert, prêtre de l'Oratoire de Rennes. In-18, LXXV-362 p. Le Mans, imp. Monnoyer; Paris. lib. Berche et Tralin : Paris en 1793, par Edmond Biré. Un vol. in-12. Paris, lib. Gervais et un vol. in-18 jésus, XII-400 Paris, impr. de Soye et fils. p. L'Eglise de Saint-Yves des

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