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Blessé dans son amour propre, dans ses sentiments les plus gėnėreux, il tente une démarche suprême. Mal reçu, impatiemment écouté, il injurie le ministre, qui, voulant s'en débarasser, le fait passer pour fou et l'envoie mourir oublié, entre les quatre murs d'une prison d'état.

De tant de richesses, la famille du créancier de la France ne recueillit absolument rien. Ses sœurs, n'ayant qu'un mince revenu d'environ quinze cents livres, se privèrent souvent pour secourir leur frère Jacques. De l'héritage glorieux de son oncle, un neveu n'obtint qu'une modeste pension de 400 livres, sur les Invalides de la marine, gagnée aussi par d'honorables blessures.

Enfin, à l'époque de la Révolution, un des arrièresneveux vendit à un orfèvre de la rue de la Casserie, la croix et la poignée de l'épée du capitaine Cassard, qui furent mis au creuset.

En 1873, lorsque nous commencions à réunir les éléments de l'HISTOIRE DES MARINS ET CORSAIRES NANTAIS, ce fut avec un sentiment de pénible regret, que nous apparut l'impérieuse nécessité de n'avoir à reproduire sur Cassard, le plus marquant d'entre eux, que les travaux dėja connus des biographes.

En effet, les archives de l'administration de la marine du port de Nantes, ne contenaient qu'une pièce à son sujet. Malgré l'intervention de M. le contre-amiral de Cornulier-Lucinière, nos demandes de renseignements à Toulon, Marseille, Dunkerque, etc... avaient été peu fructueuses. Cependant, à force de persévérance, quelques détails inédits arrivèrent. En 1876, nous pouvions publier des notes généalogiques, précisant l'âge exact de Cassard, son état civil et la position de sa famille'.

En 1878, la société littéraire, la Pomme, accordait à notre étude sur CASSARD, la médaille d'or, premier prix de son concours 2. Peu à peu apparaissaient les erreurs commises par les biographes

Jacques Cassard, capitaine de vaisseau, sa naissance, sa famille. Documents inédits. Nantes, 1876, in-8° 24 pp.

2 Les Marins bretons. Jacques Cassard, capitaine de vaisseau, par S. de la Nicollière-Teijeiro, archiviste de la ville de Nantes. Nantes 1880, in-8°, 24 pp.

se copiant tous les uns les autres, sauf toutefois, P. Levot, qui dans la BIOGRAPHIE BRETONNE, présentait pour la première partie de la vie du marin, certains faits nouveaux, dùs aux recherches de M. Cunat dans les archives de l'administration de Saint-Malo.

Les archives du ministère de la marine, si obligeamment mises à notre disposition par M. Cordier et M. de Branges de Bourcia, archiviste adjoint, sur la recommandation de M. le contre-amiral de Cornulier-Lucinière, nous ont procuré une moisson abondante de documents inédits. Les Archives nationales de la rue de Rambuteau ont également fourni leur contingent.

Dès lors, il ne s'agissait plus de recopier, mais de refaire entièrement une biographie, ou plutôt d'écrire la vie de Cassard.

En présence de ces résultats satisfaisants, si nous éprouvions une légitime satisfaction, d'un autre côté, le sentiment de notre incompetence nous faisait redouter d'entreprendre une tâche trop au-dessus de nos forces. Pour sculpter la belle figure historique de Cassard, il eût fallu une main sûre, habile et exercée. Nous n'avons à offrir que notre bonne volonté !... C'est peu; aussi le motif que nous mettons en avant pour faire excuser notre témérité, et réclamer l'indulgence du lecteur, sera justement la pensée de réhabilitation qui guide notre plume à l'égard de notre compatriote, aussi peu connu que mal apprécié aujourd'hui, et le désir sincère de rendre hommage à sa mémoire.

La vie de Cassard se divise en deux périodes parfaitement distinctes. La première active, brillante, dans laquelle il se couvre de gloire, comprend ses courses, 1705–1708, ses services dans la marine du gouvernement, 1709-1712, soit sept années. La seconde embrasse le reste de son existence, 1713-1740, triste, malheureuse, passée en démarches stériles, en revendications infructueuses; sur laquelle il faudrait jeter un voile. Mais alors notre œuvre serait incomplète et tronquée. Il était, au contraire, indispensable de faire ressortir le contraste de ces deux périodes si différentes, au risque d'amoindrir notre personnage et de nous montrer un peu partial à son égard. Nous préférons encourir, jusqu'à un certain point cependant, ce reproche immeritė, et poursuivre jusqu'au bout la réhabilitation de Cassard, notre but

el notre mobile, en traçant son portrait le plus exactement qu'il nous

a été possible.

Le style, c'est l'homme, a dit, avec raison l'illustre Buffon. Jean Bart a trouvé des écrivains dignes de lui; Duguay-Trouin a écrit ses mémoires, souvent rééditės, toujours lus avec plaisir. Les lettres, les rapports, les documents originaux ont leur éloquence. Ils saisissent le personnage sur le vif, retracent les mœurs, les usages d'une époque deja lointaine. Ils fournissent en outre des aperçus qui forment un chapitre intéressant sur l'état de la marine à la fin du règne de Louis XIV. Tant d'erreurs ont été répétées sur Cassard, qu'indépendamment des rectifications que nous apportons, il nous semblait convenable de les exposer simplement, en laissant au lecteur le soin de se prononcer.

Autant que possible, nous avons donc produit les pièces, au lieu d'en extraire des passages principaux, laissant ainsi la parole à Cassard.

Si nous lui enlevons deux fleurons de sa couronne, ses prétendues aptitudes diplomatiques, son rôle d'ambassadeur extraordinaire réduit à la simple mission de négociateur commercial, et son titre supposé d'ingénieur militaire à Toulon, en revanche, nous chercherons, avec une conviction profonde, à rehausser la beauté de son caractère, à mettre en relief son patriotisme, son humanité, un désintéressement rare, une probité intacte.

CHAPITRE PREMIER

giques.
Expédition du baron de Pointis à Carthagène.
biographes sur l'âge et les débuts de Cassard.
mement du Laurier. Signature de Cassard,

La maison des Cassard.

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Détails historiques et généaloActe de baptême de Jacques. Son enfance.

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Congé d'ar

La place de Nantes a toujours joui, dans le monde entier, d'une estime profonde, en raison de la loyauté qu'elle apporfait dans ses relations commerciales, et de la probité bien connue de ses négociants. C'est du sein même de cette classe laborieuse et honorable des Marchands à la Fosse, c'est-à-dire des armateurs, que sortait notre vaillant marin.

Vers 1680, la Fosse de Nantes était loin d'offrir aux yeux le magnifique aspect, les lignes imposantes qu'elle présente aujourd'hui. La Loire roulait ses eaux sablonneuses sur un fond vaseux, qui, peu à peu exhaussé, a formé la chaussée et les quais s'étendant de l'Hôtel de la Bourse aux Salorges. Une belle rangée de maisons, agréables à la vue, a remplacé d'humides et vastes magasins en planches, de laides et mauvaises constructions, dites Salorges, et affectées à l'entrepôt des marchandises. Le fief de l'évêque, dont relevaient ces terrains, comprenait, en outre sous sa juridiction haute, moyenne et basse, un certain nombre d'habitations de commerçants, de gabarriers, d'arrimeurs, échelonnées sans ordre, près des chantiers de constructions navales, des entrepôts et de l'ancrage des navires.

Non loin de la rue de la Verrerie, bien en arrière des trottoirs actuels, existait un « logis situé au bas de la Fosse, sur le devant d'icelle, consistant en une chambre basse, deux chambres hautes et grenier au-dessus, coupvert de pierres d'ardoises». Le propriétaire était tenu, envers l'Évêque, son suzerain, de fournir, pour le tir de la quintaine, l'écusson planté au milieu de la Loire, les lances avec leur fer, la barque et les vingt rameurs destinés à conduire les nouveaux mariés, obligés de prendre part à la joute, et qui devaient payer quatre deniers aux canotiers et présenter, en outre, un saumon frais au prélat. » Ceux qui ne voulaient pas se donner en spectacle, ou faire rire à leurs dépens, encouraient une amende « de soixante sols. »

La famille Cassard tendait à s'élever honorablement par le commerce, mais lentement, comme c'était alors l'usage. En 1595, un Guillaume Cassará épousait, à Saint-Nicolas, Guillemette Jus, qui le rendit père de deux garçons et d'une fille nommée Jeanne'. André l'ainé, « maistre gabarrier, » eut au moins douze enfants, parmi lesquels nous citerons seulement: Charles Cassard, époux d'Étiennette Litoust, et chef également d'une lignée aussi nombreuse dont faisaient partie : Nicolas, Cassard prêtre, successivement vicaire de Saint-Nicolas, en 1686, promoteur du diocèse, recteur de la paroisse de Saint-Laurent de Nantes, 1715-1727, mort en exil à Saint-Maixent, (Deux Sèvres) en 1732, pour son adhésion au jansénisme; François Cassard et son fils François-Marie, tous deux procureurs au Parlement de Bretagne, à Rennes, dont la postérité s'est fondue dans la famille de M. Le Houx de la Bernadière, par le mariage de ce dernier avec Marie-Thérèse-Henriette Cassard, aïeux de

Arch. Départ. Série G, 16. Aveux rendus à l'évêque de Nantes; registre FOSSE. — Voir, pour plus de détails sur la famille Cassard, l'étude intitulée : JACQUES CASSARD, Capitaine des vaisseaux du roi, sa naissance, sa famille. Notes généalogiques, In-8° 24, pp. 1875.

2 Guillemette Jus avait deux frères; Michel Jus, prêtre chanoine-recteur de la Collégiale de Notre-Dame de Nantes, 1620-1622; Thomas Jus, sieur de a Vigne, maître orfèvre à la Fosse.

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