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décret. On raconte qu'un jour, pendant qu'ils étaient à déjeuner, on arriva pour procéder à une visite domiciliaire dont les députés eux-mêmes n'étaient pas exempts. Chaillon, averti par son officieuse, fit cacher son ami dans la chambre voisine, enleva un couvert, et reçut avec affabilité les inquisiteurs à qui il proposa de partager son repas. Une heure après, ceux-ci complètement gris renonçaient à continuer leur perquisition et déclaraient leur hôte un excellent citoyen.

Mais Jary ne voulut pas compromettre plus longtemps son collègue il chercha un autre refuge où il fut enfin découvert. Emprisonné à La Force, puis aux Magdelonnettes, il ne fut délivré que longtemps après le 9 thermidor, et ne rentra dans la Convention que le 13 frimaire an III.

Pour se faire une idée des tribulations de toutes sortes que les malheureux députés détenus eurent à subir pendant près d'une année, il faut relire ce que nous avons extrait plus haut des mémoires d'Honoré Fleury, et la la curieuse brochure publiée en l'an III par Blanqui, député des AlpesMaritimes sous le titre : Agonie de dix mois ou Historique des traitements essuyés par les députés détenus et les dangers qu'ils ont couru pendant leur captivité. J'y remarque un passage où il est question de Jary et je le citerai comme caractéristique des procédés dont la faction triomphante de la Convention usait à l'égard de la faction vaincue. Les prisonniers avaient subi tant de vexations dans la prison de la Force, qu'ils avaient demandé à être transférés ailleurs. L'incident se passa pendant le transfert aux Magdelonnettes.

« Au jour marqué, des fourgons ou charrettes sont à la porte de la prison; chaque député est appelé et entre, à son tour, dans la voiture scandaleuse, avec son paquet sous le bras. Ces voitures n'étaient ni ouvertes, ni fermées, et n'ayant aucun siège à l'intérieur, on ne pouvait s'y tenir, ni assis, ni debout. On nous y entasse jusqu'à quatorze par charretée. Le convoi part à dix heures du matin ; il est précédé, suivi et entouré d'une nombreuse escorte de gendarmerie à cheval, ayant un insolent municipal à la tête et un autre à la

queue; jamais appareil de malfaiteurs ne fut plus soigneusement recherché. Des femmes éplorées, épouses, amies ou connaissances des députés, accompagnent en silence la marche lugubre. Le municipal ordonne brusquement qu'on repousse ces femmes; malgré son ordre barbare, elles continuent leur marche et cherchent à étouffer leurs sanglots; le brutal ordonne qu'elles s'éloignent ou qu'on les arrête. Depuis longtemps les députés n'avaient vu le peuple dont ils étaient représentants. Ils le fixent, l'examinent, ils cherchent à démêler sur sa figure ce qui se passe dans son âme, à saisir dans son maintien l'état actuel de sa situation; il est morne, triste, silencieux, il n'est pas heureux. Le municipal aperçoit cette contenance réciproque, il en redoute les effets et nous défend de regarder le peuple. Jary, cet inflexible républicain, qui osa des premiers braver, au jeu de paume, la fureur du despote en 1789, n'entend pas l'ordre et continue à fixer le public; soudain il reçoit un coup de sabre de la part d'un brutal satellite. Je rapporte ce fait parce que l'insulte d'un scélérat honore celui qui la reçoit'..... »

L'anecdote doit être exacte: car je trouve le coup de sabre consigné de la même façon dans les mémoires de Fleury qui n'ont pas été publiés. Les députés arrivèrent aux Magdelonnettes, après une marche très pénible à travers Paris, trouvèrent la prison pleine, ce qui n'empêcha pas qu'on ne les enferma tous, au nombre de près de quatre-vingt, dans le corridor du rez-de-chaussée.

« Les corridors de cette maison, continue Blanqui, sont d'une infection insupportable à cause des latrines qui sont situées au fond de chaque corridor; mais celui-là est le plus infect de tous parce qu'il est plus près du centre d'infection et plus loin de l'air. Une heure s'était écoulée et nous étions toujours entassés dans cette sépulture. C'était au plus fort de la chaleur, et plusieurs de nous allaient succomber, lorsqu'à nos cris, on vint nous délivrer. Il était alors l'heure du diner; nous n'avions ni pain, ni vin, ni autre comestible, et quand nous en demandâmes, on nous répondit brusquement: allez vous faire f.....

» Le soir arrive; il fallait nous loger et il n'y avait point de place; on nous propose de coucher dons les corridors; le méphitisme qui y régnait nous effraie. Nous demandons au concierge la faculté de

'L'agonie de dix mois, etc, p, 21 et 23.

des frais de garde que cela pourrait occasionner. Déjà le concierge y consentait, lorsqu'un guichetier ivre, d'une voix sépulcrale, dit qu'il ne fallait pas faire tant de façons pour des députés; dès lors, tout projet s'écroule et nous sommes forcés de dresser nos lits dans les corridors, les passages et les escaliers. Le lendemain, un administrateur arrive; le concierge lui demande des logements pour les députés. Il n'y a qu'à les mettre aux pailleux, répond-il froidement, c'est assez bon pour des députés. Les pailleux sont ceux qui, ne pouvant se procurer le nécessaire pour se loger à leurs frais, le sont à ceux de la nation. Ce sont des prévenus de vol, d'assassinat et semblables délits. Il n'est pas besoin de dire que ce sont toujours les plus mal logés. Nous fùmes donc forcés de faire déblayer, à nos frais, les chambres des pailleux, les faire nettoyer, et payer même des sommes considérables pour nous faire céder deux ou trois chambres en totalité. Une vingtaine d'entre nous se logèrent dans ces chambres remplies de vermine, le reste demeura par les corridors et les passages.»1

Je n'ai pas le loisir de suivre Jary et tous ses compagnons au milieu de leurs intolérables souffrances. On pense bien qu'elles ne devaient pas les attendrir plus tard sur le sort des suppôts de la Montague.

Quel était pourtant leur crime, sinon d'avoir protesté contre la violation de l'Assemblée par les sections et réclamé la liberté de leurs votes, lorsque le mot Liberté était inscrit sur tous les murs? L'appel aux armes n'avait-il pas tout d'abord été proféré par les Montagnards?.... Et n'était-ce pas en travestissant odieusement la vérité, que le Jacobin Amar avait pu demander leur arrestation le 3 octobre 1793?.. Lorsqu'ils rentrèrent à la Convention, le 19 frimaire an III, Dussaulx prononça en leur nom, un discours de pardon et d'oubli, dont je détacherai quelques fragments:

<< Citoyens collègues, ce jour, ce grand jour de la justice nationale précédé de tant d'autres non moins consolateurs, nous rappelant à nos fonctions, remplit enfin le vœu du peuple et nos vœux les plus ardents. Il nous rend la liberté que, vous le savez, nous n'aurions jamais dù perdre, et l'honneur que l'on avait tenté vainement de nous

1 Ibid, p. 23,25.

ravir; mais la vérité, tôt ou tard, surmonte l'imposture, démasque l'intrigue, remet tout à sa place, les choses et les hommes. En effet, notre patriotisme constant et même antérieur à la Révolution, notre vigilance dans ces convulsions désastreuses dont la France gémit encore, suivie d'un dévouement dont l'histoire parlera, n'ont-ils pas été reconnus et avérés dès que la Convention a triomphé de ses tyrans? Gloire, honneur et respect à la Convention Nationale? Tel est le cri des vrais patriotes: tous, dans les conjonctures actuelles, la regardent comme l'ancre sacrée, la dernière ancre du vaisseau de la République, à peine sorti de la tourmente.

» On n'osera donc plus dans cet auguste sanctuaire, devenu la terreur du crime et l'asile des opprimés, attenter sans remords et sans pudeur à la représentation Nationale! On n'osera plus, du haut de cette tribune, qui perd ceux qui la souillent, renouveler contre les ennemis déclarés de la violence et de l'anarchie, tant d'accusations vagues, contradictoires et manifestement calomnieuses; accusations de jour en jour démenties par les faits; car enfin que voulions-nous avant notre brusque détention, longtemps avant?... tout ce que nous avions tant désiré.

» Mais nous voulons encore vous prouver, ainsi qu'à l'univers entier, que si nos corps se sont affaiblis et presque usés dans les réduits fétides, dans les tombeaux de cette abominable et récente tyrannie que vous avez foudroyée le 10 thermidor, nos âmes retrempées par le malheur, y ont repris une nouvelle énergie. D'ailleurs, c'est là que nous avons appris à compatir aux maux de nos semblables, à n'opposer à nos ennemis que la patience au lieu d'injures et d'inutiles représailles. Ainsi, vous nous revoyez prêts à seconder fraternellement, de tout notre zèle, de toutes nos forces, et vos travaux immenses et vos généreuses intentions..... »

La nouvelle émeute de prairial et la seconde invasion de l'Assemblée par les sections, l'assassinat de Féraud et les dangers couruspar Boissy d'Anglas, montrèrent bientôt à l'orateur combien il gardait encore d'illusions après l'expérience si tristement acquise par les événements antérieurs mais Jary n'assista pas à ces scènes révoltantes renouvelées du 31 mai il avait reçu mission d'aller se joindre à ses collègues chargés de la pacification des provinces de l'Ouest et je trouve 4 IV ANNÉE, 1o LIV.

T.

NOTICES.

son nom à côté de ceux de Chaillon, Lanjuinais, Defermon, Guezno, etc., au bas du traité de la Mabilais', conclu près de Rennes entre le général Hoche et les chouans de Bretagne.

A la dissolution de la Convention, Jary passa au Conseil des Cinq-Cents, où l'on rencontre aussi un autre Jarry, député du département de la Loire et qu'on a quelquefois confondu avec lui. Il en sortit en 1798, et il m'a été impossible de découvrir ce qu'il est ensuite devenu.

Ce que je puis affirmer, c'est qu'il n'est pas mort à Nantes. On a un joli portrait de lui dans la collection Quenedey; mais il ne figure pas dans la collection Dejabin'.

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Kerangal (DE). Voy. Le Guen de Kerangal.

Kerangon (DE). - Voy. Prudhomme DE KERangon.

* Kerincuff (DE). Voy. Le Guillou de Kerincuff.

45. PIERRE-MARIE Daniel de Kerinou.

Procureur du roi à Lannion

Député suppléant de la sénéchaussée de Lannion.
(Perros-Guirec, 4 octobre 1748. - Lannion, 4 avril 1826).

(N'a pas siégé.)

J'ai mal placé cet honorable magistrat qui aurait dû figurer à la lettre D et non à la lettre K : mais j'avais pris le nom de

1 Du Chatellier, Hist. de la Révol, en Bret. IV, 423, etc,

Je ne connais de notice biographique sur Jary que les quelques lignes de la Biographie moderne (Breslau, 1806, in-8° II, 470), de la Petite biog. conventionnelle p. 150; et de la Biog. nouv. des contemp. (1723) au tome IX, qui le dit, par erreur, député de la sénéchaussée de Mantes. Il ne figure, bien qu'il ait fait partie de trois des assemblées législatives de la Révolution, ni dans la Biog. univ. de Michaud, ni dans la Nouv. biog. gén. de Hoefer, ni dans la Biog. bretonne.

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