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tude par la mort de son frère aîné, qui fut enlevé à trentequatre ans, en 1676.

Depuis le commencement du siècle, il semblait que la mauvaise fortune s'acharnât sur les représentants de sa maison. Aucun n'atteignait la vieillesse. Son grand-père était tombé tout jeune encore sous le coup d'épée de M. de Guémadeuc. Son père était mort à trente-sept ans; son frère venait de disparaître à trente-quatre ans.

Mais il ne fut pas longtemps à se remettre. Dieu n'avait pas voulu que ce dernier malheur fût sans compensations. Le marquis avait laissé un fils; et Malo de Névet s'empressa de reporter toutes ses espérances sur la tête de cet enfant de cinq ans.

Il est même possible qu'il ait vu dans l'existence de son neveu une manifestation providentielle, en même temps qu'une confirmation de la vocation impérieuse qui l'appelait décidément à se séparer du monde; et il pénétra plus avant dans les douceurs et les méditations sans fin de la vie contemplative.

VI

L'ERMITE DE LOCRONAN

Pendant ces heures interminables d'oraison, il est à supposer qu'il attacha souvent et longuement sa pensée sur les exemples et la vie de saint Ronan.

C'était le saint de son pays, le saint de ses plus chers souvenirs, le saint des processions grandioses et des belles fêtes de son enfance. L'histoire de son culte solennel était de plus étroitement liée à celle de la maison de Névet.

N'était-ce point, en effet, aux ancêtres de Malo que l'on devait la fondation au XIIe siècle, de cette chapelle qui indiquait sur la montagne la place où le saint avait vécu dans son petit ermitage, et, au XV, pour remplacer ce modeste

édifice, la construction de la très belle église de Locronan? Un jour, il ne suffit plus à Malo de méditer sur les vertus de son saint de prédilection. Il résolut d'imiter strictement son modèle ; et il prit une détermination qui peint tout ce qu'il y avait d'étrange en son caractère.

Parmi les seigneuries qu'il avait reçues dans son partage, se trouvait la terre de la Motte-Névet, en Locronan. Ce nom de la Motte-Névet m'a engagé à me demander si un souvenir de famille ne s'était pas ajouté à d'autres pieuses considérations, dans l'esprit de Malo, et ne l'avait pas amené à arrêter son choix sur ladite seigneurie pour exécuter ses projets.

Je croirais volontiers que cette terre de la Motte avait été le premier établissement des Névet en Bretagne, et que cette motte rappelait l'emplacement féodal sur lequel leur château était assis, lorsqu'une querelle avec l'évêque de Quimper les conduisit à se transporter en Plounevez-Portzay.

Quoi qu'il en soit de ces suppositions, Malo, imitant saint Ronan qui avait vécu sur une hauteur, fit élection d'un monticule qui se voyait à la Motte-Névet, dans l'épaisseur d'un bois, et se prépara à y installer son nouveau domicile.

Mais une maison ordinaire ne pouvait lui convenir; il est probable que la tradition plaçait la retraite du saint dans une caverne ou sous la terre; car il fit creuser le sol de son élévation et construire dans cette cavité une maison souterraine. Il en défendit l'entrée au moyen d'un mur circulaire; et, prenant possession de ce réduit obscur, il cessa de compter au nombre des vivants.

Lorsqu'il fut seul dans la nature et devant Dieu, il se proposa pour modèle la vie des Pères du désert qu'avait menée saint Ronan; et, adoptant un habit en rapport avec son nouvel état, il se transforma en ermite, dans toute la force du terme.

Il travaillait sept heures par jour dans le bois, gagnant sa frugale nourriture à la sueur de son front et accompagnant ce travail manuel de prières courtes et ferventes. Il consacrait 2 IV" ANNÉE, 1" LIV.

T. V.

NOTICES.

sept heures à l'adoration, à la lecture et à l'étude, trois heures à la récréation; et enfin il donnait au sommeil les sept heures qui restaient.

Cependant, en fuyant les humains, il n'avait pas voulu se dispenser vis-à-vis d'eux, de tout devoir de charité. Il avait toujours eu un cœur sensible à leurs souffrances; et quand il avait arrêté le plan de son ermitage, il n'avait pas perdu de vue l'obligation de les soulager.

A côté de son mur circulaire, s'élevait un bâtiment plus vaste et plus confortable que sa propre maison. Malo de Névet l'avait fait construire pour y recevoir les pèlerins pauvres et malades et leur donner ses soins.

A la fin du XVIIe siècle, le mouvement religieux suscité en Bretagne par les Le Nobletz et les Maunoir se faisait encore sentir pour précipiter les foules vers les sanctuaires vénérés. Le tombeau de saint Ronan attirait un très grand nombre de pèlerins, dans la paroisse des seigneurs de Névet. Les événements miraculeux de Keranna, la création d'un pèlerinage, en l'honneur de sainte Anne, dans la paroisse de Pluneret, avaient rendu plus célèbre encore le sanctuaire très ancien qui existait, sous le même vocable, en Plounevez-Portzay, sur les bords de la mer.

Beaucoup de pauvres gens, confiants en la puissance des saints, se mettaient en route, sans s'effrayer de la rigueur de l'hiver ou de la longueur du chemin.

Ils arrivaient au tombeau de saint Ronan ou à Ste-Anne de la-Palud, exténués de fatigues ou accablés de maladies. On les dirigeait alors sur l'ermitage de M. de Névet; et là ils recevaient de douces paroles et de bons soins.

De retour à leur village, ils racontaient ce qu'ils avaient vu, en exaltant la charité du pieux ermite; et je ne doute pas que l'on ne doive faire remonter à cette époque les débuts de ce renom de bienfaisance exceptionnelle qui attira les foules aux obsèques de M. de Névet et transforma ses funérailles en une grande manifestation de la reconnaissance populaire.

Au milieu d'occupations si absorbantes et si réglées, le temps s'écoulait vite; les événements du monde se succédaient avec rapidité; mais aucun bruit n'en parvenait aux oreilles de M. de Névet. Il ne recevait du dehors que l'écho des faveurs obtenues par sainte Anne ou par saint Ronan et les confidences sans cesse renouvelées de la souffrance humaine.

VII

SON MARIAGE

Cependant un jour, une nouvelle tomba comme un coup de foudre en l'atmosphère tranquille de l'ermitage de Locronan.

C'était au mois de décembre de l'année 1699. Henri-Anne de Névet, le brillant colonel du régiment de Royal-Vaisseaux, le seul espoir de la famille, venait de mourir, en son château de Beaubois, à vingt-neuf ans, et sans alliance.

A l'annonce de ce triste événement, se joignaient pour Malo des missives pressantes de la part de ses sœurs. Sur les six filles du baron de Névet, quatre s'étaient mariées: Claude avait épousé M. le Voyer de Trégomar; Bonaventure, M. du Breil de Pontbriand; Marie, M. le Rouge de Trolin; Charlotte-Anne, M. du Bois-Halbran; et les deux autres étaient entrées à la Visitation de St-Melaine de Rennes.

Elles s'unissaient pour rappeler à leur frère que tout espoir n'était point perdu, puisqu'il était encore là, et pour le supplier de sauver la situation. Autrefois il pouvait à son gré disposer de sa vie; aujourd'hui il n'en était plus de même. Des devoirs nouveaux s'imposaient à lui.

Ce qui s'expliquait de la part du chevalier de Névet, ne se comprendrait plus de la part du marquis. Il devenait chef de nom et d'armes, colonel du ban et de l'arrière-ban et gardecostes général de l'évêché de Cornouaille. Il avait d'immenses

terres en Locronan, en Plougonnec, en Plounevez-Portzay, en Bourseul, en Callac, en Duault; il était à la tête de 35 000 livres de rente.

Un combat très violent dut se livrer en cette âme; mais on avait touché le seul point par lequel elle ne fût pas entièrement morte aux choses d'ici-bas, l'avenir du nom de Névet; et d'ailleurs, aucun vœu ne retenait Malo dans sa vie solitaire. Il sortit donc de sa retraite; et la noblesse de la province qui l'avait oublié, apprit bientôt avec surprise qu'il avait non-seulement reparu sur la scène de ce monde, mais qu'il allait se marier, à plus de cinquante-cinq ans.

Les terres de Trouangle et de Kermabilo qu'il tenait de sa mère lui avaient autrefois créé des relations dans le pays de Carhaix. Ce fut dans cette région qu'il se choisit une femme, la fille d'un gentilhomme des environs de cette petite ville, Marie-Corentine de Gouzillon.

Cependant les événements ne répondirent pas tout de suite à son attente; mais il ne s'inquiéta pas d'abord outre mesure; il savait bien qu'il n'était plus de première jeunesse; mais il était loin d'avoir atteint cet âge où il faut perdre espoir de donner des héritiers à son nom.

Pour tromper son impatience, il reprit ses bonnes œuvres; et, ne voulant pas laisser, sans les utiliser, les bâtiments de son ermitage, il y installa un certain nombre de pauvres pour les nourrir et d'orphelins, pour les faire instruire à ses frais.

Lorsqu'il atteignit soixante ans, sans que l'enfant tant attendu fût arrivé, il commença à s'étonner. Il est évident qu'il éprouva alors un mouvement de regret pour la douce solitude à laquelle il avait vainement renoncé. Il ne pouvait mettre en doute que cet état d'ermite ne fût rempli de séductions pour ses contemporains.

Aussi, dans un premier testament qu'il fit, en mars 1705, il dicta tout un règlement de vie, dans le cas où il plairait à quelque ermite ou quelque solitaire d'imiter son exemple,

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