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chercher le prêtre serait heureusement remplacée par le mot le cher seigneur.

M. de la Villemarqué connaissait, comme nous tous, la charité légendaire de Malo, l'ermite de la Motte; et pourtant il ne s'est pas mépris. Pour lui, Malo n'est pas le héros de l'élégie; M. de la Villemarqué ne nomme pas ce héros; mais il le désigne suffisamment quand il nous le présente comme l'aïeul du marquis de Guérande, fils de Claudine de Névet. L'indication est inexacte, soit! Jean de Névet était seulement oncle du marquis, fils de sa sœur et non de sa fille nommée aussi Claudine; mais cette indication nous. reporte à la première moitié du dix-septième siècle et cela. suffit.

Vers cette époque, aucun autre Névet n'a pu être le sujet de l'élégie: ni Jacques, père de Jean, assassiné à Rennes, en 1616; ni Claude, son aïeul, mourant calviniste, vers 1597; ni René, frère aîné de Claude mort sans enfants, en 1585; ni Jacques, leur père, mari de Claude de Guengat, mort calviniste. Je crois qu'il est inutile de remonter plus loin.

Par malheur, M. de la Villemarqué ne savait pas à ce moment ce que nous révèlent un aveu de 1644 et la pierre tombale de Locronan, que Jean de Névet était mort à trentequatre ans. Si cette circonstance avait été connue de l'éminent traducteur, n'aurait-il pas pris sur lui, de remplacer le mot Koz par le mot Kez? Et il aurait bien fait ! Après cette substitution, plus de doute possible.

Ajouterai-je que Jean de Névet, mort le 11 décembre 1646, est mort un mardi, et que ses funérailles ont pu se faire le jeudi, jour de la semaine indiqué par l'élégie. En 1646, comme l'année où nous entrons, le dimanche de Pâques était le 1er avril, et le 11 décembre tombait le mardi.

Ainsi, Monsieur, il ne s'agit que de remplacer Koz par Kez, que de changer un o en e. Faisons bien vite ce changement, j'ose l'espérer, nous serons d'accord.

Si je vous ai converti, Monsieur, et si vous reportez la date

A

de l'élégie de 1721 à 1646, il faudra renoncer à mettre Guy de Carné, seigneur de Kerliver, parmi les personnages nommés dans l'élégie. Le seigneur de Kerliver habitant son manoir en la paroisse de Hanvec était d'ailleurs un peu loin pour venir à cheval, en habit de bal, dans le voisinage des Névet. Hanvec est à onze bonnes lieues de Locronan, et par quelles routes au dernier siècle! Mais vous n'aurez pas de peine à trouver dans votre longue généalogie un autre gentilhomme de votre nom, peut-être même habitant La Cornouaille, qui a pu assister aux obsèques du baron de Névet, en 1646.

Au commencement du dix-septième siècle, de 1614 à 1634, Quimper a eu deux gouverneurs du nom de Carné, barons de Blaison. Le second, fils du premier, mort en 1634, a laissé, entr'autres enfants, René, ce gentilhomme accompli, ce brillant cavalier, distingué par le roi Louis XIII, et chevalier de Saint-Michel à vingt-cinq ans. Ildevait mieux que personne manier un beau cheval; et mieux que personne aussi, il aurait porté l'habit de velours rouge galonné d'argent, auquel le chercheur de pain Malgan, et après lui M. de la Villemarqué ont assuré une renommée immortelle.

Si, comme je le crois, Monsieur, vous vous êtes mépris, consolez-vous vos lecteurs vous remercient et se félicitent de cette heureuse erreur, puisqu'elle leur a valu votre intéressante biographie de Malo de Névet.

J. TRÉVÉDY,

Ancien président du tribunal de Quimper. Vice-président de la Société archéologique du Finistère.

RÉPONSE A LA QUESTION DE M. TRÉVÉDY

Sur l'Élégie de Monsieur de Névet.

Paris, le 22 février 1888.

MONSIEUR,

Avant de les donner au public, vous avez bien voulu me communiquer les observations que vous a suggérées la lecture de mon étude sur l'Elégie de Monsieur de Névet; j'en ai pris connaissance avec un bien vif intérêt.

Vous avez même réuni contre ma thèse une série d'arguments si habilement présentés, qu'ils auraient peut-être pu me convaincre, si les preuves assemblées en faveur de la vôtre avaient également toutes été de nature à me persuader.

Je ne veux pas anticiper; mais vous avez en particulier rencontré sur votre route une objection qui devait nécessairement se dresser devant vous, qui ne pouvait manquer de s'imposer à votre examen, que vous avez essayé de renverser, mais qui subsiste encore, j'espère le démontrer, et qui apporte une contradiction bien gênante à l'opinion que vous soutenez.

Je veux parler de la difficulté de concilier le personnage de Jean de Névet, qui est mort à trente-quatre ans, avec ces mots de vieux seigneur » que le poëte populaire applique, à deux reprises différentes, au héros de l'élégie.

Je reviendrai tout à l'heure sur la solution proposée par vous à cette difficulté; mais, comme cette solution, permettezmoi de le dire, ne m'a en rien satisfait, j'ai regardé d'un peu plus près les arguments que vous avez développés contre mon opinion, et c'est ce résultat de mes observations que j'aurai d'abord l'honneur de vous présenter.

J'examinerai ensuite les différentes raisons que vous faites valoir en faveur de l'avis auquel vous vous êtes rangé; en un mot, je défendrai ma thèse, avant de combattre la vôtre, animé du désir sincère, en cette seconde partie de ma tâche, d'imiter votre exemple, en ayant recours au seul emploi de ces armes courtoises que vous savez si bien manier.

I

Vous avez tiré, Monsieur, votre premier argument de cette constatation, fort ingénieuse d'ailleurs, que Malo de Névet était marquis et que la chanson ne fait nulle mention de ce titre.

Jusqu'à sept fois, elle appelle son héros Monsieur de Névet ou seigneur de Névet; pas une seule fois, elle ne l'appelle marquis. Donc il faut nécessairement le chercher à une époque antérieure à celle de Malo, puisque ce titre entra dans la famille en la personne de son frère aîné. Si le héros de l'élégie avait été marquis, le chanteur populaire n'eût pas manqué de lui donner son titre.

Je pourrais, Monsieur, vous renvoyer le raisonnement et vous dire Jean de Névet n'était point marquis, mais il était baron'. Donc ce n'est pas lui qui est visé dans l'élégie, puisque, pas une seule fois, elle ne contient ce mot de baron.

Mais je préfère retenir l'argument; car, au lieu d'y trouver une raison qui affaiblisse ma thèse, j'y trouve, au contraire, après un instant de réflexion, une raison qui la fortifie.

En effet, Malo de Névet recueillit ce titre de marquis dans la succession de son neveu Henry-Anne. Il le prit et le porta

Il figure avec ce titre de baron dans plusieurs actes des registres paroissiaux ou des archives de Locronan. En voici un seul exemple : « Sont les << noms de ceux qui ont faict faire des services à l'intention de l'âme du deffunct seigneur baron de Névet, puis son enterrement en l'esglise princi

<< palle de Monsieur Sainct-René du Bois, le 12° jour de décembre mil six centz << quarente et six » (Arch. de l'église de Locronan.)

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dans les actes et dans le monde; mais sous quel nom avait-il conquis cette haute réputation de charité et de bonté qui fit de ses funérailles un triomphe magnifique? Sous le nom de Monsieur de Névet; et croit-on qu'il ait cessé d'être connu, auprès des humbles, sous ce nom mille fois béni et répété par eux, parce qu'il devint marquis, à plus de cinquante-quatre ans?

Ce n'était point le marquis, c'était Monsieur de Névet qui, pendant tant d'années, avait nourri les pauvres et soigné les malades, qui avait accueilli les pèlerins à l'ermitage de Locronan; et, pour les paysans de Cornouaille, il eut beau devenir marquis, ce fut toujours Monsieur de Névet, exactement, comme au dix-septième siècle, toutes proportions gardées, saint Vincent de Paul était Monsieur Vincent.

Tel est le motif pour lequel on ne rencontre pas une seule fois le mot de marquis dans la chanson; et, si Malgan, qui en fut l'auteur, ne le place pas plus sur les lèvres du prêtre que dans la bouche du gentilhomme, c'est que lui-même n'était qu'un de ces mendiants qui n'auraient jamais pu cesser d'appeler leur bienfaiteur de ce nom de Monsieur de Névet, parce que la gratitude en avait trop rempli leur âme, pour leur permettre de l'oublier.

Les trois mots qui le composent deviennent ainsi comme une sorte de formule, dont l'intérêt jaillit en traits de lumière, de votre observation; et, si je l'osais, je proposerais même à l'éminent auteur du Barzaz-Breiz de remplacer partout, dans sa belle traduction, le mot de seigneur, devant le nom de Névet, par le mot de Monsieur qui ajoute quelque chose de plus au caractère de cette chanson.

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II

Votre second argument, Monsieur, est tiré d'une objection très sérieuse et que je me suis faite à moi-même. D'après le poëte populaire, le héros de l'élégie laissait

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