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Les divers caractères des perceptions se trouvent dans les divers points de vue suivant lesquels on les considère.

Or, on peut considérer les perceptions: 1° en ellesmêmes; 2° dans leur objet ; 3° dans leur rapport avec leur objet.

1° Quand on considère les perceptions ou connaissances en elles-mêmes on trouve que toute connaissance prend successivement deux caractères. Lorsque, par un résultat naturel de la manière dont nous sommes faits, nous recevons, selon les circonstances, la connaissance d'un objet accessible à notre intelligence, cette perception est dite spontanée : elle est toujours à ce moment plus ou moins obscure et confuse. Mais lorsqu'un travail d'attention ou de réflexion est venu distinguer et éclairer tout ce qui se trouve dans cette confusion et ces ténèbres, cette perception claire et distincte est dite réfléchie.

2o Considérées dans leur objet, les perceptions sont dites intérieures ou extérieures, et quelquefois, mais moins souvent, spirituelles ou sensibles, suivant que leur objet est perçu hors de nous par le moyen des sens, ou en nous par la conscience; simples, quand l'objet est rigoureusement un, complexes dans le cas contraire, abstraites, quand l'objet conçu isolément n'existe nulle part ainsi, concrètes, quand l'objet est conçu tel qu'il est ou peut être en réalité; individuelles, si l'objet est un individu, particulières ou générales, si l'objet connu est commun à un plus ou moins grand nombre d'individus, ou à tous les individus d'une même espèce.

3o Considérées dans leur rapport avec leur objet, les perceptions sont dites vraies et complètes, quand l'objet existe réellement tel que nous nous le représentons, ou fausses et incomplètes, dans le cas contraire.

22. N. B. L'idée et le jugement n'étant que des éléments ou des circonstances du fait total, la perception, on devra trouver autant d'espèces d'idées et de jugements qu'il y aura d'espèces de percep

tions, et autant de caractères dans l'un et dans l'autre qu'il y en aura dans la perception.

De sorte que si la perception est claire ou confuse, individuelle ou générale, etc. etc., l'idée et le jugement seront dits individuels ou généraux, etc.

PREMIÈRE PARTIE.

FORMATION DE LA SCIENCE.

23. La connaissance ou perception est un fait intellectuel isolé. La science est un ensemble de connaissances générales sur un objet déterminé, rigoureusement enchaînées les unes aux autres et soumises à une unité systématique. Or, l'être intelligent ne s'arrête pas aux connaissances isolées, il aspire à la science pour laquelle il se sent fait, et la Logique, ou l'étude des faits intellectuels, doit nous apprendre par quelles modifications successives passe le fait intellectuel depuis sa simple apparition jusqu'à la science. C'est là l'objet véritable et l'utilité de la Logique, qui ne serait qu'une étude vaine, si si elle ne nous apprenait à atteindre le but dernier de l'intelligence.

Pour réaliser cette étude nous suivrons l'exercice de l'intelligence depuis l'apparition du fait intellectuel isolé, jusqu'à la formation de la science dans son ensemble.

CHAPITRE PREMIER.

De la perception primitive.

24. Lorsqu'un objet évident se trouve pour la première fois à la portée de nos moyens de connaître, de la conscience ou des sens, alors vient en nous une connaissance qu'en cet état nous appelons perception primitive. Et par là nous n'enten

dons point seulement les connaissances que nous acquérons dans les premiers temps de l'enfance, mais nous entendons les premières connaissances que nous avons d'un objet quelconque à un âge quelconque de la vie.

Or, quels caractères ont ces premières connaissances au moment où elles viennent de se produire en nous?

1o Et d'abord en quel état est l'être intelligent lorsque pour la première fois il perçoit un objet de connaissance? Un moment auparavant il l'ignorait, il ne savait pas qu'il fût, il n'en soupconnait pas l'existence, il ne s'attendait pas à le voir, ne se tenait pas prêt à y réfléchir, ne faisait en rien acte d'attention, et tout d'un coup il l'a vu, connu, par l'effet seul de l'évidence qui a paru et l'a frappé. Les perceptions qui lui viennent alors ne sont pas telles qu'il les a, lorsqu'à leur production il mêle sa réflexion ou qu'il provoque leur apparition: elles ne sont que ce que les font les choses, ce qui se fait sentir il le sent, tout ce qui se fait voir il le voit ; et il reçoit la vérité telle qu'elle se montre d'elle-même ( sponte suâ). Que cette disposition ne soit pas de longue durée, que bientôt il s'y joigne un commencement de libre réflexion, rien de plus vrai, mais elle n'en a pas moins son moment, et c'est dans ce moment que nous la prenons. Toute espèce de perception primitive et naissante a donc ce premier caractère d'être spontanée et irréfléchie (*).

2o Or, par cela même que ces perceptions se forment dans l'être intelligent comme d'elles-mêmes, ou du moins sans autre mobile que la réalité qui apparaît, vraies comme la vérité dont elles reproduisent tous les traits, elles n'ont rien de cette fausseté qui trop souvent est le défaut de perceptions plus réfléchies et plus distinctes. Ici il n'y a pas lieu à erreur ; tout se passe entre la vérité qui se montre dans toute sa pureté à l'être intelligent qu'elle modifie, et l'être intelligent qui, surpris, dominé et docile se laisse faire par la vérité. Il est

(*) DAMIRON, Psych., p. 66 et suiv.

impossible qu'en cet état la perception ne s'accorde pas parfaitement avec les objets auxquels elle se rapporte, d'où vient que toute perception primitive a encore pour caractère d'être vraie.

3o Mais comme les objets dans leur réalité se montrent dans leur tout et avec leur pleine existence, qu'ils sont entiers, concrets, composés, les perceptions qui leur répondent, fidèles expressions de tels modèles, ne sont nullement abstraites ni analytiques, mais composées et concrètes.

4o Et comme c'est l'unité totale de l'objet qui frappe l'être intelligent et que dans la nature aucun objet n'existe isolé, mais tient à mille choses et présente mille rapports, le moi, en voyant cet objet tel qu'il est, entrevoit ces autres choses et ces rapports, et en conséquence ne peut recevoir qu'une perception indéterminée, vague et confuse.

D'où, en résumé, cette loi :

Toute perception primitive et naissante a pour caractères principaux d'être, 1° spontanée et irréfléchie, 2o vraie, 3o concrète, 4o vague et confuse.

25. Quelles sont maintenant les règles de la perception primitive? Une règle se réduit à une loi formulée en précepte. Or si la loi de la perception primitive est d'être spontanée, c'està-dire, de n'être point le résultat de notre libre action, il semble qu'il n'y a pas de règles possibles pour un fait dont la production ne dépend pas de nous. Et en effet, il n'y a pas de règles à poser pour la perception primitive, si on ne la considère que dans son étroite liaison avec l'action des objets qui la déterminent (*).

Mais cette action des objets sur nous est-elle également nécessitée ? N'avons-nous aucun moyen de l'atteindre et de la modifier, et de modifier par là même la connaissance qui en est la suite? Si telle est notre condition, il n'y a point de règles à prescrire, point de règles à observer; il n'y a rien à faire, il n'y a qu'à se laisser faire. Mais l'expérience nous ap

(*) DAMIRON, Log., p. 54.

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