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Johannot qui vient de mourir, laissant à peine de quoi payer la pompe austère et chétive de ses funérailles, ont fait mille efforts pour retrouver exactement le costume et l'ornement de la comédie.... il était si simple, en ceci comme en toute chose, de s'en rapporter à Molière !

De sa comédie il avait tout prévu; il suffit de l'étudier avec soin pour y retrouver toutes choses, à commencer par le costume de ses acteurs. S'est-on disputé sur le costume des divers comédiens qui jouent le Misantrope ou le Bourgeois gentilhomme! A-t-on bataillé pour savoir à quelle époque appartiennent ces robes, ces habits, ces armes, ces parures... et que de scènes et de paroles les faiseurs de dissertations se fussent épargnées, s'ils eussent consulté tout simplement, Molière :

M. JOURDAIN.

« Ah! vous voilà, j'allais me mettre en colère.

LE MAITRE TAILLEUR.

« Je n'ai pu venir plus tôt et j'ai mis vingt garçons après votre << habit.

M. JOURDAIN.

« Vous m'avez envoyé des bas de soie si étroits que j'ai eu << toutes les peines du monde à les mettre, et il y a deux mailles « de rompues.

LE MAITRE TAILLEUR.

<< Ils ne s'élargiront que trop.

M. JOURDAIN.

<«< Vous m'avez aussi fait faire des souliers qui me blessent «< furieusement.

LE MAITRE TAILLEUR.

<< Tenez, voilà le plus bel habit de la cour et le mieux assorti. « C'est un chef-d'œuvre que d'avoir inventé un habit sérieux qui << ne fût pas noir, et je le donne, en six coups, aux faiseurs les << plus éclairés.

M. JOURDAIN.

<< Croyez-vous que l'habit m'aille bien?

LE MAITRE TAILLEUR.

<< Belle demande! Je défie un peintre avec son pinceau de faire «< rien de plus juste. J'ai chez moi un garçon qui, pour monter

<< une rheingrave, est le plus grand génie de monde, et un autre «< qui, pour assembler un pourpoint, est le génie de notre temps.

M. JOURDAIN.

<< La perruque et les plumes sont-elles comme il faut?

<< Tout est bien.

LE MAITRE TAILLEUR.

Les habits du temps? Molière lui-même les décrit en cent endroits de ses comédies; rappelez-vous d'abord les vers de Sganarelle dans l'École des maris, quand Sganarelle dit à son

frère :

Voulez-vous des muguets m'inspirer les manières,
M'obliger à porter de ces petits chapeaux

Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux ;
Et de ces blonds cheveux de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure;

De ces petits pourpoints sous les bras se perdants,
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendants;
De ces manches qu'à table on voit tâter les sauces,
Et de ces cotillons qu'on nomme haut-de-chausses;
De ces souliers mignons de rubans revêtus
Qui vous font ressembler à des pigeons pattus,
Et de ces grands canons où, comme en des entraves,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galants
Marcher écarquillés ainsi que des volants?

J'avoue que pour ma part je n'ai guère compris ces dissertations sur la forme ou sur la figure d'un chapeau! A quoi bon l'habit? L'habit ne fait pas le moine, il ne fait pas les comédiens ! Les comédiens du Théâtre-Français n'auraient pas seulement besoin qu'on leur rendit les habits de la cour de Louis XIV, il faudrait encore leur rendre la taille, le visage, le pied, les mains, la jambe, la démarche de ces beaux petits messieurs qui posaient complaisamment devant Molière. Il faudrait leur donner aussi l'esprit, la grâce, l'abandon, la politesse de ces belles époques; hélas! nous ne les connaissons plus que par ouï-dire; alors seulement et une fois au grand complet, il leur sera permis de s'ha biller à leur guise et dans toute la vérité du costume. En attendant, pour être plus scrupuleusement vêtus, ils ne sont qu'un peu plus ridicules, et il me semble que j'entends d'ici se récrier ce bonhomme, dans le Festin de Pierre :

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<< Il faut que ce soit quelque gros monsieu, car il a du d'or à <<< son habit, tout depuis le haut jusqu'en bas.......... Quien Charlotte, << ils avont des cheveux qui ne tenont point à leurs têtes, et ils << boutont cela, après tout, comme un gros paquet de filasse. Ils << ont des chemises qui ont des manches où t'entrerions tout << brandis toi et moi. En glieu d'haut-de-chausse, ils portont une << garde-robe aussi large que d'ici à Pâques; en glieu de pour<< point, de petites brassières qui ne leur vont pas jusqu'au bri«< chet; et en glieu de rabat, un grand mouchoir de cou à résiau <«< aveuc quatre grosses houppes de linge qui leur pendont sur <«< l'estomaque. Ils avont itou d'autres petits rabats au bout des «< bras, et de grands entonnoirs de passement aux jambes; et << parmi tout ça tant de rubans, tant de rubans que ça c'est une << vraie piquiè; ignia pas jusqu'aux souliers qui n'en soyont << farcis.... >>

Et si Nicole les voyait ainsi affublés les uns et les autres, que dirait-elle?

« Hi, hi, hi, hi

hi!

M. JOURDAIN.

« Que veut dire cette coquine-là?

NICOLE.

« Vous êtes tout à fait drôle comme cela! Hi, hi, hi! » Et madame Jourdain, que dirait-elle dans son gros bon sens? « Ah! ah! voici une nouvelle histoire! Qu'est-ce que c'est << donc, mon mari, que cet équipage-là? Vous moquez-vous du << monde de vous être fait enharnacher de la sorte, et avez-vous « envie qu'on se raille partout de vous?

M. JOURDAIN.

<< Il n'y a que des sots et des sottes, ma femme, qui se riront << de moi. >>

Et celui-là aussi, il peut dire ce que disait, si justement de luimême, le grand Corneille :

Je ne dois, qu'à moi seul, toute ma renommée !

Il n'a rien dû à personne, pas même au faiseur de décorations. Le faiseur de décorations n'était pas inventé du temps de Molière, et le poëte, maître chez lui, eût violemment chassé le barbouilleur qui se fût mêlé de sa comédie!

Il ne devait rien, non plus, au metteur en scène, aux accessoires, aux comparses, aux claqueurs... Toutes ces belles choses lui eussent fait pitié ! Il était lui-même, son metteur en scène; pour tout accessoire il avait un bâton, un sac, un miroir, une cassette grisrouge, un diamant d'Alençon. - Pour chef de claque et pour claqueurs, il avait Louis XIV et les courtisans de Versailles. Mais revenons à l'Amphitryon.

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Amphitryon. La plus charmante plaisanterie que l'antiquité nous ait laissée! A coup sûr c'est la comédie la plus latine de Plaute, ce vieux latin qui représenterait, au besoin, toute la langue vulgaire de l'ancienne Rome. Après le Misantrope, Amphitryon est la comédie que Molière ait écrite avec le plus de soin, de zèle et d'attention sur lui-même! Un jour, au cabaret, Boileau, qui venait de lire des vers, priait Molière d'en lire à son tour: « Ah! dit Molière, je me sauve; je n'ai pas le temps de si bien écrire... » Molière a pris son temps dans Amphitryon; il a été un poëte tout à son aise, et même le prologue, en guise d'invocation au jeune Roi, qui venait d'ajouter la Franche-Comté à la France, atteste un grand soin poétique :

Mais nos chansons, grand roi, ne sont pas sitôt faites,
Et tu mets moins de temps à faire tes conquêtes
Qu'il n'en faut pour les bien louer.

Quant au prologue, c'est un chef-d'œuvre de goût, d'atticisme et d'élégance; la plaisanterie est vive et légère, le sourire est fin et railleur ; on dirait, au ton soutenu de ce passage, de Quinault, on dirait des vers de La Fontaine :

Que vos chevaux par vous au petit pas réduits,
Pour satisfaire aux vœux de son âme amoureuse,
D'une nuit si délicieuse

Fassent la plus longue des nuits!

du

vers même

On devait parler ainsi, à Versailles, chez le roi Louis XIV, à Chantilly chez le prince de Condé, à qui la pièce est dédiée, « bien qu'il

«< fût plus simple, Monseigneur, de mettre votre nom à la tête d'une «< armée qu'à la tête d'un livre. » Le prologue latin, au contraire, s'inquiète assez peu de ces précautions et de ces élégances.

Plaute, en pareille aventure au moment du prologue, s'adresse uniquement au peuple romain; il ne veut pas d'autre client, d'autre protecteur. Venu dix-huit ans après Térence, ce digne enfant de Ménandre, Térence, un Athénien sous l'enveloppe romaine, l'ami, le commensal, quelques-uns ajoutent le collaborateur des plus grands seigneurs de la république, Plaute se dit à lui-même qu'il réussirait surtout en s'adressant aux passions populaires, en parlant à son auditoire aviné et sans frein (potus et exlex) la langue courante des lieux suspects, des tavernes, des carrefours, des boutiques; que lui importent les applaudissements délicats de Scipion, de Lælius, de Sulpicius Gallus?

Plaute en veut à l'admiration et au contentement de la foule immense; il faut que son public s'amuse à tout prix, que sa gaieté soit affranchie de toute gêne, et, tant pis pour les délicats, s'ils s'offensent de cette verve hardie à tout dire. Plaute, qui est en même temps comédien, poëte comique et entrepreneur de spectacles (tout comme Molière !), ne veut pas hasarder, tout à la fois, sa renommée et sa fortune, en renonçant aux libertés, disons mieux, aux licences de la comédie romaine; plus sa comédie sera extravagante, folle, amoureuse, libertine, comique et en pointe de vin, plus le grand peuple sera content.

Voilà, en effet, par quels moyens il a réussi, ce vif représentant des passions et des mœurs de la Rome bourgeoise... Ce qu'il faut admirer dans l'œuvre de Molière, c'est justement la réunion de tant de qualités opposées qui ont fait, de ce grand maître, Plaute et Térence tout ensemble, l'ami du peuple et l'ami du maître, le favori des halles et le favori des petits appartements, d'un côté Sganarelle, de l'autre côté les Femmes savantes. — Le prologue d'Amphitryon, et la comédie d'Amphitryon devant les mêmes spectateurs, et le même jour!

Le parallèle a été fait souvent entre la comédie du poëte français et la comédie du poëte latin; au bout de ce travail, qui est des plus faciles, il est évident, pour tout homme d'un goût exercé, que Molière a raison, mais que Plaute n'a pas tort.

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