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chaleur toute nouvelle, et ces passages, les moins poétiques de leur nature, sont les plus neufs et les plus excellents du livre,

CHANT VI

LES ÉTATS DE LA LIGUE

(Après la mort de Henri III, les États de la Ligue s'assemblent pour choisir un roi.)

La Ligue audacieuse, inquiète, aveuglée,
Ose de ces états ordonner l'assemblée,
Et croit avoir acquis par un assassinat

Le droit d'élire un maître et de changer l'État.
Ils pensaient, à l'abri d'un trône imaginaire,

Mieux repousser Bourbon, mieux tromper le vulgaire.
Ils croyaient qu'un monarque unirait leurs desseins;
Que sous ce nom sacré leurs droits seraient plus saints:
Qu'injustement élu, c'était beaucoup de l'être;

Et qu'enfin, quel qu'il soit, le Français veut un maître.
Bientôt à ce conseil accourent à grand bruit
Tous ces chefs obstinés qu'un fol orgueil conduit:
Les Lorrains, les Nemours, des prêtres en furie,
L'ambassadeur de Rome, et celui d'Ibérie.

Ils marchent vers le Louvre, où, par un nouveau choix,
Ils allaient insulter aux mânes de nos rois.
Le luxe, toujours né des misères publiques,
Prépare avec éclat ces états tyranniques.

Là ne parurent point ces princes, ces seigneurs,
De nos antiques pairs augustes successeurs,

Qui, près des rois assis, nés juges de la France,

Du pouvoir qu'ils n'ont plus, ont encore l'apparence.
Là de nos parlements les sages députés

Ne défendirent point nos faibles libertés;
On n'y vit point des lis l'appareil ordinaire :
Le Louvre est étonné de sa pompe étrangère.
Là le légat de Rome est d'un siège honoré;
Près de lui, pour Mayenne, un dais est préparé.
Sous ce dais on lisait ces mots épouvantables :
« Rois qui jugez la terre, et dont les mains coupables
Osent tout entreprendre et ne rien épargner,
Que la mort de Valois vous apprenne à régner!».

On s'assemble; et déjà les partis, les cabales,
Font retentir ces lieux de leurs voix infernales.
Le bandeau de l'erreur aveugle tous les yeux,
L'un, des faveurs de Rome esclave ambitieux,

S'adresse au légat seul, et devant lui déclare
Qu'il est temps que les lis rampent sous la tiare;
Qu'on érige à Paris ce sanglant tribunal,

Ce monument affreux du pouvoir monacal 1
Que l'Espagne a reçu, mais qu'elle-même abhorre,
Qui venge les autels et qui les déshonore,
Qui, tout couvert de sang, de flammes entouré,
Égorge les mortels avec un fer sacré 2.

Comme si nous vivions dans ces temps déplorables
Où la terre adorait des dieux impitoyables,

Que des prêtres menteurs, encor plus inhumains,
Se vantaient d'apaiser par le sang des humains!
Celui-ci, corrompu par l'or de l'Ibérie,

A l'Espagnol qu'il hait veut vendre sa patrie.
Mais un parti puissant, d'une commune voix,
Plaçait déjà Mayenne au trône de nos rois.
Ce rang manquait encore à sa vaste puissance;
Et de ses vœux hardis l'orgueilleuse espérance
Dévorait en secret, dans le fond de son cœur,
De ce grand nom de roi le dangereux honneur.
Soudain Potier 3 se lève et demande audience.
Sa rigide vertu faisait son éloquence.

Dans ce temps malheureux, par le crime infecté,
Potier fut toujours juste, et pourtant respecté.
Souvent on l'avait vu, par sa mâle constance,
De leurs emportements réprimer la licence,
Et, conservant sur eux sa vieille autorité,
Leur montrer la justice avec impunité.

Il élève sa voix; on murmure, on s'empresse,
On l'entoure, on l'écoute et le tumulte cesse.
Ainsi, dans un vaisseau qu'ont agité les flots,
Quand l'air n'est plus frappé des cris des matelots,
On n'entend que le bruit de la proue écumante,
Qui fend, d'un cours heureux, la mer obéissante.
Tel paraissait Potier dictant ses justes lois;

Et la confusion se taisait à sa voix.

« Vous destinez, dit-il, Mayenne au rang suprême : Je conçois votre erreur, je l'excuse moi-même.

1. L'Inquisition, que les ducs de Guise voulurent établir en France. (V@ taire.) 2. Réminiscence. Molière avait dit des hypocrites :

D'autant plus dangereux dans leur âpre colère,
Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on révère,
Et que leur passion, dont on leur sait bon gré,
Veut nous assassiner avec un fer sacré.

(Tartuffe, acte I, sc. vI.)

3. Potier de Blancménil, président du parlement,

Mayenne a des vertus qu'on ne peut trop chérir;
Et je le choisirais, si je pouvais choisir.

Mais nous avons nos lois, et ce héros insigne,
S'il prétend à l'empire, en est dès lors indigne. »
Comme il disait ces mots, Mayenne entre soudain
Avec tout l'appareil qui suit un souverain.

Potier le voit entrer sans changer de visage :

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Oui, prince, poursuit-il d'un ton plein de courage,
Je vous estime assez pour oser contre vous

Vous adresser ma voix pour la France et pour nous.
En vain nous prétendons le droit d'élire un maître :
La France a des Bourbons; et Dieu vous a fait naître
Près de l'auguste rang qu'ils doivent occuper,
Pour soutenir leur trône, et non pour l'usurper.
Guise, du sein des morts, n'a plus rien à prétendre;
Le sang d'un souverain doit suffire à sa cendre:
S'il mourut par un crime, un crime l'a vengé.
Changez avec l'État, que le ciel a changé :
Périsse avec Valois votre juste colère!
Bourbon n'a point versé le sang de votre frère.
Le ciel, ce juste ciel, qui vous chérit tous deux,
Pour vous rendre ennemis vous fit trop vertueux.
Mais j'entends le murmure et la clameur publique;
J'entends ces noms affreux de relaps, d'hérétique :
Je vois d'un zèle faux nos prêtres emportés,
Qui, le fer à la main... Malheureux, arrêtez!
Quelle loi, quel exemple, ou plutôt quelle rage
Peut à l'oint du Seigneur arracher votre hommage.
Le fils de saint Louis, parjure à ses serments,
Vient-il de nos autels briser les fondements?
Au pied de ces autels il demande à s'instruire;
Il aime, il suit les lois dont vous bravez l'empire;
Il sait dans toute secte honorer les vertus,
Respecter votre culte et même vos abus.

Il laisse au Dieu vivant, qui voit ce que nous sommes,
Le soin que vous prenez de condamner les hommes.
Comme un roi, comme un père, il vient vous gouverner,
Et, plus chrétien que vous, il vient vous pardonner.
Tout est libre avec lui; lui seul ne peut-il l'être?
Quel droit vous a rendus juges de votre maître?
Infidèles pasteurs, indignes citoyens,

Que vous ressemblez mal à ces premiers chrétiens
Qui, bravant tous ces dieux de métal ou de plâtre,
Marchaient sans murmurer sous un maître idolâtre,
Expiraient sans se plaindre, et sur les échafauds,
Sanglants, percés de coups, bénissaient leurs bourreaux
Eux seuls étaient chrétiens, je n'en connais point d'autres,
Ils mouraient pour leurs rois, vous massacrez les vôtres

Et Dieu, que vous peignez implacable et jaloux,
S'il aime à se venger, barbares, c'est de vous. »
A ce hardi discours aucun n'osait répondre;
Par des traits trop puissants ils se sentaient confondre;
Ils repoussaient en vain de leur cœur irrité

Cet effroi qu'aux méchants donne la vérité;
Le dépit et la crainte agitaient leurs pensées;
Quand soudain mille voix jusqu'au ciel élancées
Font partout retentir avec un bruit confus :

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« Aux armes, citoyens, ou nous sommes perdus!

C'était du grand Henri la redoutable armée,

Qui, lasse du repos, et de sang affamée,

Faisait entendre au loin ses formidables cris,
Remplissait la campagne, et marchait vers Paris.

Au bruit inopiné des assauts qu'il prépare,
Des états consternés le conseil se sépare.

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Mayenne au même instant court au haut des remparts;
Le soldat rassemblé vole à ses étendards:

Il insulte à grands cris le héros qui s'avance.

Tout est prêt pour l'attaque, et tout pour la défense........

THÉATRE DE VOLTAIRE

Au moment où Voltaire entra dans le monde, la gloire littéraire était au théâtre. Il dirigea donc d'abord ses efforts vers ce qu'on appelait le premier des genres. Plein de ses souvenirs de collège, il ouvre sa carrière en imitant Sophocle, et en luttant contre le vieux Corneille (ŒEdipe). En Angleterre, il entend avec ravissement les accents d'un drame plus mále: à son retour il essaye de mettre sur la scène, non point Shakspeare, qu'il n'a ni bien compris ni bien goûté, mais l'esprit de la liberté anglaise, dont son âme s'est sentie exaltée (Brutus, la Mort de César). Enfin, attaquant le public dans les sentiments les plus profonds de notre nature, la tendresse maternelle, l'amour héroïque, malheureux, jaloux, désespéré, frappant fort plutôt que juste, précipitant les situations, les coups de théâtre, les scènes pathétiques, il émeut, il ébranle, il arrache les applaudissements et les larmes (Alzire, Mérope, Tancrède, et avant tout Zaïre).

Toutefois, comme on doit s'y attendre, l'influence de la

philosophie contemporaine domine sur le théâtre de Voltaire; non seulement elle y jette ces tirades déclamatoires, ces vers à effet, applaudis au XVIIIe siècle et froids aujourd'hui comme des brûlots éteints, mais encore elle le pousse de plus en plus sur la pente où glissait déjà la tragédie française, elle le précipite dans l'abstraction. L'histoire, la couleur locale, les caractères individuels, s'effacent de plus en plus et laissent la scène à une intrigue idéale qui s'agite dans le vide. L'abstraction, qui est le vice de la philosophie et de la politique du XVIIIe siècle, éclate également dans son théâtre. Ses personnages sont des situations, tout au plus des caractères, presque jamais des hommes.

ZAIRE'

PLAINTES DE LUSIGNAN.

ACTE II, SCÈNE III. Lusignan, prince du sang des rois de Jérusalem, prisonnier du Soudan depuis vingt ans, est rendu à la liberté par Orosmane. Il reconnaît son fils dans un chevalier chrétien, Nérestan, venu de France pour racheter les captifs, et sa fille dans une jeune esclave, Zaïre, qui, tombée dès son enfance au pouvoir des musulmans, a été élevée dans le mahométisme, et va épouser Orosmane.

LUSIGNAN.

De vos bras, mes enfants, je ne puis m'arracher.
Je vous revois enfin, chère et triste famille,

Mon fils, digne héritier.... vous.... hélas! vous, ma fille'
Dissipez mes soupçons, ôtez-moi cette horreur,
Ce trouble qui m'accable au comble du bonheur.
Toi qui seul as conduit sa fortune et la mienne,
Mon Dieu qui me la rends, me la rends-tu chrétienne
Tu pleures, malheureuse, et tu baisses les yeux!
Tu te tais! je t'entends! O crime! ô justes cieux.

ZAÏRE.

Je ne puis vous tromper: sous les lois d'Orosmane....
Punissez votre fille.... elle était musulmane.

LUSIGNAN

Que la foudre en éclats ne tombe que sur moi!
Ah! mon fils, à ces mots j'eusse expiré sans toi.

1. M. Villemain, dans son Tableau de la littérature au XVIII° siècle a rapproché Zaïre de l'Othello de Shakspeare.

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