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on attendait quelque secours des princes de Bade; il n'en vint pas, et le peuple perdit du temps à briser leurs statues. Le dimanche 24 août, pendant que Dinant combattait encore, les magistrats de Liège reçurent deux lettres, et le peuple décida que le 26 il se mettrait en route. Il n'y avait qu'une difficulté, c'est qu'il ne sortait jamais qu'avec l'étendard de Saint-Lambert, que le chapitre lui confiait; le chapitre était dispersé. Les autres églises, consultées sur ce point, répondirent que la chose ne les regardait point. Telle à peu près fut la réponse de Guillaume de la Marche, que l'on priait de porter l'étendard. Tout cela traîna et fit remettre le départ au 28. Mais Dinant ne pouvait attendre. Dès le 22, les bourgeois avaient demandé grâce, éperdus qu'ils étaient dans cet enfer de bruit et de fumée, dans l'horrible canonnade qui foudroyait la ville. Mêmes prières le 24, et mieux écoutées; le duc venait d'apprendre que les Liégeois devaient se mettre en mouvement; il se montrait moins dur. L'espoir rentrant dans les cœurs, tous voulant se livrer, un homme réclama, l'ancien bourgmestre Guérin; il offrit, si l'on voulait combattre encore, de porter l'étendard de la ville : « Je ne me fie à la pitié de personne; donnez-moi l'étendard, je vivrai ou mourrai avec vous. Mais, si vous vous livrez, personne ne me trouvera, je vous le garantis! ». La foule n'écoutait plus, tous criaient : « Le duc est un bon Seigneur; il a bon cœur, il nous fera miséricorde ». Pouvait-il ne pas faire grâce, dans un jour comme celui du lendemain? c'était la fête de son aïeul, du bon roi saint Louis (25 août 1466).

Ceux qui ne voulaient pas de grâce s'enfuirent la nuit; les bourgeois et batteurs en cuivre, débarrassés de leurs défenseurs, purent enfin se livrer. Les troupes commencèrent à occuper la ville le lundi à cinq heures du soir, et, le lendemain à midi, le comte fit son entrée. Il entra, précédé des tambours, des trompettes, et (conformément à l'usage antique) des fols et farceurs d'office, qui jouaient leur rôle aux actes les plus graves, traités, prises de possession.

Le plus grand ordre était nécessaire. Quelques obstinés occupaient encore de grosses tours où l'on ne pouvait les forcer. Le comte défendit de faire aucune violence, de rien prendre, même de rien recevoir, excepté les vivres. Quelques-uns ayant violé sa défense, il prit trois des coupables, les fit passer trois fois à travers le camp, puis mettre au gibet.

Le soldat se contint assez tout le mardi, le mercredi matin Les pauvres habitants commençaient à se rassurer. Le mercredi 27, l'occupation de la ville étant assurée, rien ne venant du côté de Liège, le duc examina en conseil à Bouvignes ce qu'il fallait faire de Dinant. Il fut décidé que, tout devant être donné à la justice et à la vengeance, à la majesté outragée de la maison de Bourgogne, on ne tirerait rien de la ville, qu'elle serait pillée le jeudi et le vendredi, brûlée le samedi (30 août), démolie, dispersée, effacée.

Cet ordre dans le désordre ne fut pas respecté, à la grande indignation du vieux duc. On avait trop irrité l'impatience du soldat

par une si longue attente. Le 27 même, après le dîner, chacun se levant de table, mit la main sur son hôte, sur la famille avec laquelle il vivait depuis deux jours : « Montre-moi ton argent, ta cachette, et je te sauverai. »

Quelques-uns, plus barbares, pour s'assurer des pères, saisissaient les enfants.

Dans le premier moment de violence et de fureur, les pillards tiraient l'épée les uns contre les autres. Puis ils firent la paix; chacun s'en tint à piller son logis, et la chose prit l'ignoble aspect d'un déménagement; ce n'étaient que charrettes, que brouettes, qui roulaient hors la ville. Quelques-uns (des seigneurs et non des moindres) imaginèrent de piller les pillards, se postant sur la brèche et leur tirant ce qu'ils avaient de bon.

Le comte prit pour lui ce qu'il appelait sa justice : des hommes à noyer, à pendre. Il fit tout d'abord, au plus haut, sur la montagne qui domine l'église, mettre au gibet le bombardier de la ville, pour avoir osé tirer contre lui. Ensuite on interrogea les gens de Bouvignes, les vieux ennemis de Dinant, on leur fit désigner ceux qui avaient prononcé les blasphèmes contre le duc, la duchesse et le comte. Ils en montrèrent, dans leur haine acharnée, huit cents, qui furent liés deux à deux et jetés à la Meuse. Mais cela ne suffit pas aux gens de justice qui suivaient l'enquête; ils firent cette chose odieuse, impie, de prendre les femmes et, par force ou terreur, de les faire témoigner contre les hommes, contre leurs maris ou leurs pères.

La ville était condamnée à être brûlée le samedi 30. Mais on savait que les Liégeois devaient tous, en corps de peuple, de quinze ans à soixante, partir le jeudi 28 août; ils seraient arrivés le 30. Il fallait, pour être en état de les recevoir, tirer le soldat de la ville, l'arracher à sa proie subitement, le remettre, après un tel désordre, en armes et sous drapeaux. Cela était difficile, dangereux peut-être, si l'on voulait user de contrainte. Des gens ivres de pillage n'auraient connu personne.

Le vendredi 29, à une heure de nuit, le feu prend au logis du neveu du duc, Adolphe de Clèves, et de là court avec furie. Si, comme tout porte à le croire, le comte de Charolais ordonna le feu, il n'avait pas prévu qu'il serait si rapide. Il gagna en un moment les lieux où l'on avait entassé les trésors des églises. On essaya en vain d'arrêter la flamme. Elle pénétra dans la maison de ville, où étaient les poudres. Elle atteignit aux combles, à la forêt de l'église Notre-Dame, où l'on avait enfermé, entre autres choses précieuses, de riches prisonniers pour les rançonner. Hommes et biens, tout brûla. Avec les tours brûlèrent les vaillants qui y tenaient encore. Avant que la flamme enveloppât toute la ville, on avait fait sortir les prêtres, les femmes et les enfants. On les menait vers Liège pour y servir de témoignage à cette terrible justice, pour y être un vivant exemple... Quand ces pauvres malheureux sortirent, ils se retournèrent pour voir encore une fois la ville où ils laissaient leur

âme, et alors ils poussèrent deux ou trois cris sculement, mais si lamentables, qu'il n'y eut pas de cœur d'ennemi qui n'en fût saisi de pitié, d'horreur.

Le feu brûla, dévora tout, en long, en large et profondément. Puis, la cendre se refroidissant peu à peu, on appela les voisins, les envieux de la ville, à la joyeuse besogne de démolir les murs noircis, d'emporter et disperser les pierres.

On les payait par jour; ils l'auraient fait pour rien.

Quelques malheureuses femmes s'obstinaient à revenir. Elles cherchaient. Mais il n'y avait guère de vestiges. Elles ne pouvaient pas même reconnaître où avaient été leurs maisons.

L'OISEAU

L'HIRONDELLE

L'hirondelle s'est, sans façon, emparée de nos demeures; elle loge sous nos fenêtres, sous nos toits, dans nos cheminées. Elle n'a point du tout peur de nous. On dira qu'elle se fie à son aile incomparable; mais non elle met aussi son nid, ses enfants, à notre portée. Voilà pourquoi elle est devenue la maîtresse de la maison. Elle n'a pas pris seulement la maison, mais notre cœur.

Dans un logis de campagne où mon beau-père faisait l'éducation de ses enfants, l'été il leur tenait la classe dans une serre où les hirondelles nichaient, sans s'inquiéter du mouvement de la famille, libres dans leurs allures, tout occupées de leur couvée, sortant par la fenêtre et rentrant par le toit, jasant avec les leurs très haut, et plus haut que le maître, lui faisant dire, comme disait saint François : « Sœurs hirondelles, ne pourriez-vous vous taire? »

Le foyer est à elles. Où la mère a niché, nichent la fille et la petite-fille. Elles y reviennent chaque année; leurs générations s'y succèdent plus régulièrement que les nôtres. La famille s'éteint, se disperse; la maison passe à d'autres mains; l'hirondelle y revient toujours; elle y maintient son droit d'occupation.

C'est ainsi que cette voyageuse s'est trouvée le symbole de la fixité du foyer. Elle y tient tellement que la maison réparée, démolie en partie, longtemps troublée par les maçons, n'en est pas moins souvent reprise et occupée par ces oiseaux fidèles, de persévérant souvenir.

C'est l'oiseau du retour. Si je l'appelle ainsi, ce n'est pas seulement pour la régularité du retour annuel, mais pour son allure même, et la direction de son vol, si varié, mais pourtant circulaire, et qui revient toujours sur lui.

Elle tourne et vire sans cesse, elle plane infatigablement autour du même espace et sur le même lieu, décrivant une infinité de courbes gracieuses qui varient, mais sans s'éloigner. Est-ce pour suivre sa proie, le moucheron qui danse et flotte en l'air? Est-ce pour exercer sa puissance, son aile infatigable, sans s'éloigner du

nid? N'importe, ce vol circulaire, ce mouvement éternel de retour, nous a toujours pris les yeux et le cœur, nous jetant dans le rêve, dans un monde de pensées.

HENRI MARTIN

Henri Martin, né à Saint-Quentin le 20 février 1810, est mort à Paris en 1884. Il commença sa carrière littéraire en écrivant des romans avec son ami Félix Davin. Puis avec MM. H. Lister et Paul Lacroix (Bibliophile Jacob) il se voua aux études historiques, qui désormais furent le but capital de sa vie. Il remania trois fois son grand ouvrage, l'Histoire de France (1834-1846, 1838-1853, 1855-1860, 15 et 17 vol. in-8). Ce livre important, « qui allie heureusement au besoin d'exactitude dans les faits un sentiment philosophique très élevé, est demeuré une des œuvres les plus consciencieuses du siècle ». En 1858, l'Académie française lui accorda le second prix Gobert, même du vivant d'Augustin Thierry, dont la mort en 1856 permit à l'Académie de décerner à H. Martin le premier prix de cette fondation célèbre. En 1869 l'Institut désigna cet ouvrage pour le prix biennal de 20 000 francs.

En 1847, H. Martin avait résumé la philosophie de l'histoire de France dans son livre: De la France, de son génie et de ses destinées, in-12. Il avait été reçu membre de l'Académie française en 1878.

Le style de H. Martin a la simplicité et la sobriété qui conviennent à l'historien, mais la chaleur du récit l'élève parfois à l'éloquence sincère qu'inspirent les grandes choses. Il devient aisément énergique et vigoureux quand le cœur de l'écrivain est remué pour l'honneur de la France, par toutes les nobles idées qu'éveillent en lui le patriotisme, l'ardente passion du progrès et l'amour de la liberté.

Citons aussi de H. Martin Vercingétorix, drame héroïque, 1865, in-18.

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HISTOIRE DE FRANCE

L'ART ITALIEN AU XVIe SIÈCLE

Malgré les calamités qui avaient frappé depuis vingt ans la péninsule et les calamités plus grandes qui la menaçaient, l'épanouissement de l'art italien était encore plus magnifique à l'époque de la conférence de Bologne qu'au temps de l'invasion de Charles VIII. L'art italien, qui, dès la fin du siècle précédent, paraissait avoir atteint les dernières limites du possible, avait continué sa marche, avait gravi sur des sommets où jamais le pied de l'homme ne s'était posé tandis que le vieux Léonard de Vinci achevait majestueusement sa carrière comme un astre qui descend avec lenteur vers l'occident, sans avoir rien perdu de ses rayons, tandis que Giorgion, mourant avant l'âge, léguait l'école de Venise à ses éclatants émules, Titien et Véronèse, qui semblaient tremper leurs pinceaux l'un dans les flots d'or du soleil couchant, l'autre dans la lumière argentée des brillantes nuits du midi, tandis que le Corrège cachait dans une petite ville de Lombardie un talent qu'eût adoré Athènes aux jours les plus doux du règne des Grâces, on avait vu se lever dans Florence et dans Rome deux génies surhumains qui défient toute comparaison et tout jugement, deux de ces hommes qui dépassent tellement les proportions humaines et qui s'élèvent si près des archetypes éternels, que l'antiquité rêverait dans leurs pareils des incarnations de la divinité. Tout historien, de quelque nation européenne qu'il raconte les fastes, doit s'incliner en passant devant ces deux colosses, qui dominent et domineront durant de longs âges l'art moderne tout entier; Michel-Ange et Raphaël appartiennent à l'Europe et à l'univers. On a voulu voir dans Michel-Ange l'expression du XVIe siècle, la conclusion et le résumé du moyen âge et spécialement du génie florentin sans doute il procède de Dante et des peintres du Campo-Santo, il procède même de plus loin, d'Homère et de la Bible; mais il n'est pas là tout entier, il part de la Divine Comédie, de l'Iliade et de la Genèse pour s'élancer dans des abîmes inconnus : il y a en lui autant de l'avenir que.du passé, seulement l'avenir qu'il annonce est plein de mystères comme ces prophètes impénétrables et terribles qu'il a évoqués du fond des antiques traditions; le Christ du Jugement dernier n'est pas plus le Jésus des artistes du moyen âge que le Jupiter olym pien; c'est un Dieu inconnu qui juge l'ancien monde et ouvre le nouveau. Tout Michel-Ange est dans un mot, le mot suprême des formules magiques de l'Orient, PUISSANCE.

Michel-Ange est l'ange des ténèbres divines, des nuages du Sinal; Raphaël est l'esprit de lumière, d'harmonie et d'amour, la blanche vision du Thabor. Le sculpteur du Moïse et le peintre de la Transt guration ont donné chacun leur propre symbole dans ces deux ou vrages; leur caractère, leur figure et leur vie répondirent a leur

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