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PHILIBERTE.

A parler franchement, je n'en fais pas grand cas:
C'est l'amitié qu'on montre aux gens qu'on n'aime pas.
C'est l'esprit seul qui bat cette fausse monnaie,

Je le sais; mais la fausse altère enfin la vraie,
Et l'esprit, empruntant au cœur son noble coin,
Le lui rend émoussé quand il en a besoin.

D'OLLIVON.

Mon Dieu! le cœur sans doute est une belle chose,
Mais il ne peut servir tous les jours, je suppose...

PHILIBERTE.

Et pourquoi donc? qui peut l'obliger à chômer?
Quelles solennités lui faut-il pour aimer?
La source de tendresse est-elle en nos entrailles
Comme les grandes eaux des jardins de Versailles,
Pour jouer seulement dans les jours d'apparat?
Ne peut-elle pas être un ruisseau sans éclat
Qui coule incessamment sur ses pentes fleuries,
Versant autour de lui la fraîcheur aux prairies?
Le cœur ne peut servir tous les jours, dites-vous?
N'a-t-on pas tous les jours sa mère, son époux,
Sa sœur, le Dieu clément qui nous fit la nature,
Le ciel bleu, le soleil, et l'ombre, et la verdure?
Que vous faut-il de plus? La patrie en danger,
Pour que votre grand cœur daigne se déranger?
D'OLLIVON

Il me faut épouser votre sœur.

JULIE.

Philiberte,

La réponse est galante.

PHILIBERTE.

Elle me déconcerté.

JULIE.

Il n'importe, cher comte; avouez-vous vaincu.

D'OLLIVON.

Vaincu, je le veux bien; mais non pas convaincu.
Ma défaite, au surplus, n'a rien de bien étrange,
Car c'était le combat de Jacob avec l'ange.

PHILIBERTE.

Devant ce dernier mot, je sens que je faiblis,
Et me rends au parti charmant des gens polis.

CEINTURE DORÉE

LE CHOIX D'UN MARI

ACTE I, SCÈNE III. - CALISTE, AMÉLIE.

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Eh bien! ma chère, je le suis horriblement, je m'en aperçois de jour en jour. Je croyais être la demoiselle la plus facile du monde à marier; mon idéal me semblait des plus modestes. Pas du tout; je suis forcée de reconnaître qu'il est presque írréalisable; je dis presque par un dernier égard envers le genre humain.

Te moques-tu de moi?

AMÉLIE.

CALISTE

Nullement. Ne me suis-je pas mis en tête de n'épouser qu'un honnête homme?

AMÉLIE.

Oh! oh! nous sommes dans nos jours de misanthropie, à ce qu'il paraît.

CALISTE.

Non; je constate un fait il est évident que l'honnêteté a sa maladie comme la vigne.

AMÉLIE.

Bah! il y a plus d'honnêtes gens qu'on ne pense, et sans aller bien loin, mon mari....

CALISTE.

C'est juste, oui; tu as rencontré un homme pour qui le mariage n'était pas une spéculation. Il cherchait une compagne, et non une bailleuse de fonds; il s'est inquiété de te connaître, il a étudié ton caractère, et il t'a fait la cour un an avant de se déclarer. Mes prétendus, à moi, se déclarent tout de suite.

AMÉLIE.

C'est que tu leur plais tout de suite.

CALISTE.

Moi ou ma dot. Ah! maudit million! Sans lui on prendrait peutêtre la peine de faire attention à ma personne. Quel malheur pour une statue d'être en or, et non en marbre! Tu es un objet d'art, toi! Moi, je suis une pièce d'orfèvrerie; je ne vaux pas ma dot; la matière surpasse le travail; et mes petites perfections, qui m'auraient peut-être valu une place dans la maison d'un homme de goût, ne m'empêcheront pas d'aller à l'hôtel des monnaies. Soyez donc une

honnête fille, rendez-vous digne d'un galant homme, pour vous voir estimée au poids de l'or comme un lingot!

AMÉLIE.

Que tu es singulière! si tu étais pauvre, ne trouverais-tu pas tout simple et tout charmant qu'on s'amourachât de toi à première vue?

CALISTE.

Sans doute, parce que je serais bien obligée de croire à la sincérité de mon admirateur.

AMÉLIE

Eh bien, es-tu moins jolie pour être riche? moins bonne? moins spirituelle? et ton idéal d'honnête homme doit-il te faire un crime de tá fortune?

CALISTE.

Non, je consens même qu'il m'en fasse une vertu; je suis raisonnable, comme tu vois. Mais je ne veux pas qu'à ses yeux cette vertulà me dispense des autres.

Mais n'as-tu pas les autres?

AMÉLIE.

CALISTE.

Que je les aie ou non, ces messieurs n'en savent rien; et s'ils ne daignent pas s'en informer, ils ne me méritent pas; je suis fière et ne veux pas être prise au hasard. Quoi donc! vous demandez des renseignements sur un domestique que vous pouvez chasser dans huit jours, et vous n'en demandez pas sur votre femme? Quelle place lui réservez-vous dans votre cœur et dans votre maison, que la première venue la puisse remplir? Ce qui doit faire toute ma vie, à moi, ne compte donc pas dans la vôtre? Et puis, si vous confiez votre honneur à une inconnue, parce qu'elle est riche, de quoi n'êtes-vous pas capable pour de l'argent?... Est-ce vrai, ce que je dis là?

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Tu en auras.... Aies-en, ma petite Amélie! je t'en demande un pour moi..... un joli poupon frisé, avec des yeux bleus; je te laisse carte blanche pour le reste.

Tu ne tiens pas au sexe.

AMÉLIE

CALISTE.

Si fait! je veux un garçon. Les filles sont trop malheureuses. Et puis, je l'élèverai moi-même; il nous fera honneur, tu verras, il sera très beau, très brave, et surtout il ne saura pas l'arithmétique. Est-ce convenu?

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Veux-tu être bien gentille? reviens dîner ici. Nous avons M. Gandard; ce sera très ennuyeux.

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Henri vicomte de Bornier, poète, et surtout connu comme poète dramatique, est né à Lunel (Hérault) le 25 décembre 1825. Il vint à Paris suivre les cours de la Faculté de droit et publia en 1845 un volume de vers, les Premières Feuilles, qui donnèrent à son nom quelque notoriété et le firent attacher par le ministre M. de Salvandy à la bibliothèque de l'Arsenal, dont il est aujourd'hui conservateur. Son œuvre capitale est la Fille de Roland, 1875, où brillent de véritables beautés de conception dramatique, d'élan et de patriotisme. La grandeur de plusieurs scènes enthousiasma les spectateurs, et le succès de l'œuvre fut complet

et durable. La même année, l'Académie française décerna à ce drame en vers un de ses grands prix.

M. de Bornier a publié :

Poésies les Premières Feuilles, 1845, in-18; la Guerre d'Orient, 1858; la Sœur de charité, 1859.

Théâtre le Monde renversé, 1853, in-8; Dante et Béatrix, 1853; la Muse de Corneille, 1854; la Muse de Molière, 1860; Agamemnon, 1868; la Fille de Roland, 1875; Un Cousin de passage, 1865.

Ouvrages divers Eloge de Chateaubriand, discours, 1864, in-8; le Fils de la terre, roman, 1864, in-8.

LA FILLE DE ROLAND

Roland, neveu de Charlemagne, est mort à Roncevaux, accablé par la foule des Sarrasins et victime de la jalousie du traître Ganelon. L'empereur a recueilli à sa cour Berthe, la fille de Roland, qu'il traite comme sa propre fille; mais il n'a pu recueillir également l'autre trésor du héros, son épée, la glorieuse Durandal. C'est un Sarrasin, Noéthold, qui la possède, et vient insolemment à Aix-la-Chapelle l'offrir comme prix d'un combat singulier à quiconque pourra le vaincre. Chaque jour un paladin français tente la chance du combat et succombe; l'orgueilleux infidèle va repartir et remporter l'épée non reconquise, quand la cloche d'argent résonne un jeune chevalier se présente au combat; c'est Gérald, le fils du comte Amaury, le fiancé de Berthe. Il lutte, il est vainqueur, il va recueillir le double prix de sa vaillance, la main de Berthe et l'épée glorieuse. Mais son père, inconnu depuis longtemps à la cour, s'y montre enfin sur l'invitation, sur l'ordre de l'empereur. L'œil perçant de Charlemagne ne s'y trompe point. Amaury n'est autre que le traître Ganelon. Dès qu'il apprend ce terrible secret, Gérald renonce à toutes ses espérances, quitte la cour de Charlemagne et va ensevelir dans de nouveaux dangers la honte de sa naissance, la gloire de ses exploits et la douleur d'un impossible amour.

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