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IV

Vous les regrettiez presque en me les envoyant, Ces vers, beaux comme un rêve, et purs comme l'aurore « Ce malheureux garçon, disiez-vous en riant,

Va se croire obligé de me répondre encore. »

Bonjour, ami sonnet, si doux, si bienveillant,
Poésie, amitié, que le vulgaire ignore,

Gentil bouquet de fleurs, de larmes tout brillant
Que dans un noble cœur un soupir fait éclore.

Oui, nous avons ensemble, à peu près, commencé
A songer ce grand songe où le monde est bercé.
J'ai perdu des procès très chers, et j'en appelle.

Mais, en vous écoutant, tout regret a cessé.
Meure mon triste cœur, quand ma pauvre cervelle
Ne saura plus sentir le charme du passé.

LE VERSIFICATEUR

Certes, c'est une vieille et vilaine famille
Que celle des frelons et des imitateurs;
Allumeurs de quinquets, qui voudraient être acteurs.
Aristophane en rit, Horace les étrille;

Mais ce n'est rien auprès des versificateurs.
Le dernier des humains est celui qui cheville.

Est-il, je le demande, un plus triste souci
Que celui d'un niais qui veut dire une chose,
Et qui ne la dit pas, faute d'écrire en prose?
J'ai fait de mauvais vers, c'est vrai; mais, Dieu merci!
Lorsque je les ai faits, je les voulais ainsi,

Et de Wailly ni Boiste, au moins, n'en sont la cause.

Non, je ne connais pas de métier plus honteux,
Plus sot, plus dégradant pour la pensée humaine,
Que de se mettre ainsi la cervelle à la gêne,

Pour écrire trois mots quand il n'en faut que deux,
Traiter son propre cœur comme un chien qu'on enchaîne
Et fausser jusqu'aux pleurs que l'on a dans les yeux.

LE POÈTE

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Impromptu en réponse à cette question Qu'est-ce que la poésie?

Chasser tout souvenir et fixer la pensée,

Sur un bel axe d'or la tenir balancée,

Incertaine, inquiète, immobile pourtant;
Éterniser peut-être un rêve d'un instant;
Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonie;
Écouter dans son cœur l'écho de son génie ;

hanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard;
D'un sourire, d'un mot, d'un soupir, d'un regard
Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme,
Faire une perle d'une larme :

Du poète ici-bas voilà la passion,
Voilà son bien, sa vie et son ambition.

THEOPHILE GAUTIER

Théophile Gautier, né le 31 août 1811 à Tarbes, est mort à Neuilly-sur-Seine le 23 octobre 1872. Il travailla deux ans dans l'atelier du peintre Rioult; en 1828 il abandonna la peinture pour les lettres et devint un des coryphées de l'école romantique; il apporta dans le domaine de la littérature ses goûts et ses habitudes d'artiste et de coloriste fougueux. Ses premières poésies parurent en 1830. Il avait soigneusement étudié les formes de la versification du xvie siècle. Il développa dans ses compositions en vers un talent incontestable et une véritable souplesse de rythme. Il comprit bientôt les exagérations des nouvelles mœurs littéraires et en montra les ridicules dans son roman les Jeune-France. Théophile Gautier a beaucoup publié en prose et en vers; il a écrit dans un grand nombre de revues et de journaux; en 1846 il fut chargé du feuilleton des théâtres au journal la Presse, et en 1854 il rédigea le même feuilleton au Moniteur Universel.

Ses principaux ouvrages sont en prose, les JeuneFrance (1833), Mademoiselle de Maupin (1835), Tra-losMontes (1843), les Grotesques (1844), Nouvelles (1845), Italia (1853), Constantinople (1855), Voyage en Russie (1863), le Capitaine Fracasse (1863), Paris pendant le siège (1871); et en vers, la Comédie de la mort (1838), Poésies complètes (1845), Émaux et Camées (1852).

LE CHATEAU DU BONHEUR

LES FUNÉRAILLES DE BÉELZÉBUTH

Vers le matin, Béelzébuth, en proie à une agitation étrange, quitta le fauteuil où il avait passé la nuit et grimpa péniblement sur le lit. Arrivé là, il heurta de son nez la main de son maître endormi encore, et il essaya un ron-ron qui ressemblait à un râle. Sigognac s'éveilla et vit Béelzébuth le regardant comme s'il implorait un secours humain, et dilatant outre mesure ses grands yeux verts vitrés déjà et à demi éteints. Son poil avait perdu son brillant lustré et se collait comme mouillé par les sueurs de l'agonie; il tremblait et faisait pour se tenir sur ses pattes des efforts extrêmes. Toute son attitude annonçait la vision d'une chose terrible. Enfin il tomba sur le flanc, fut agité de quelques mouvements convulsifs, poussa un sanglot semblable au cri d'un égorgé, et se raidit comme si des mains invisibles lui distendaient les membres. Il était mort. Ce hurlement funèbre interrompit le sommeil de la jeune femme. « Pauvre Béelzébuth, dit-elle en voyant le cadavre du chat, il a supporté la misère de Sigognac, il n'en connaîtra pas la prospérité! »

Beelzebuth, il faut l'avouer, mourait victime de son intempérance. Une indigestion l'avait étouffé. Son estomac famélique n'était pas habitué à de telles frairies. Cette mort toucha Sigognac plus qu'on ne saurait dire. Il ne pensait point que les animaux fussent de pures machines, et il accordait aux bêtes une âme de nature inférieure à l'âme des hommes, mais capable cependant d'intelligence et de sentiment. Cette opinion, d'ailleurs, est celle de tous ceux qui, ayant vécu longtemps dans la solitude en compagnie de quelque chien, chat, ou tout autre animal, ont eu le loisir de l'observer et d'établir avec lui des rapports suivis. Aussi, l'œil humide et le cœur pénétré de tristesse, enveloppa-t-il soigneusement le pauvre Béelzébuth dans un lambeau d'étoffe, pour l'enterrer le soir, action qui eût peutêtre paru ridicule et sacrilège au vulgaire.

Quand la nuit fut tombée, Sigognac prit une bêche, une lanterne, et le corps de Béelzebuth, raide dans son linceul de soie. Il descendit au jardin, et commença à creuser la terre au pied de l'églantier, à la lueur de la lanterne, dont les rayons éveillaient les insectes et attiraient les phalènes qui venaient en battre la corne de leurs ailes poussiéreuses. Le temps était noir. A peine un coin de la lune se devinait-il à travers les crevasses d'un nuage couleur d'encre, et la scène avait plus de solennité que n'en méritaient les funérailles d'un chat. Sigognac bêchait toujours, car il voulait enfouir Béelzėbuth assez profondément pour que les bêtes de proie ne vinssent pas le déterrer. Tout à coup le fer de sa bêche fit feu comme s'il eût rencontré un silex. Le baron pensa que c'était une pierre et redoubla ses coups, mais les coups sonnaient bizarrement et n'avan

çaient pas le travail. Alors Sigognac approcha la lanterne pour reconnaître l'obstacle et vit, non sans surprise, le couvercle d'une espèce de coffre en chêne, tout bardé d'épaisses lames de fer rouillé, mais très solides encore; il dégagea la boîte en creusant la terre alentour, et, se servant de sa bêche comme d'un levier, il parvint à hisser, malgré son poids considérable, le coffret mystérieux jusqu'au bord du trou, et le fit glisser sur la terre ferme. Puis il mit Béelzébuth dans le vide laissé par la boîte et combla la fosse.

Cette besogne terminée, il essaya d'emporter sa trouvaille au château, mais la charge était trop forte pour un seul homme, même vigoureux, et Sigognac alla chercher le fidèle Pierre, pour qu'il lui vint en aide. Le valet et le maître prirent chacun une poignée du coffre et l'emportèrent au château, pliant sous le faix.

Avec une hache, Pierre rompit la serrure, et le couvercle, en sautant, découvrit une masse considérable de pièces d'or onces, quadruples, sequins, génovines, portugaises, ducats, cruzades, angelots et autres monnaies de différents titres et pays, mais dont aucune n'était moderne. D'anciens bijoux enrichis de pierres précieuses étaient mêlés à ces pièces d'or. Au fond du coffre vidé, Sigognac trouva un parchemin scellé aux armes de Sigognac, mais l'humidité en avait effacé l'écriture. Le seing était seul encore un peu visible, et, lettre à lettre, le baron déchiffra ces mots : « Raymond de Sigognac. » Ce nom était celui d'un de ses ancêtres, parti pour une guerre d'où il n'était jamais revenu, laissant le mystère de sa mort ou de sa disparition inexpliqué. Il n'avait qu'un fils, en bas âge, et, au moment de s'embarquer dans une expédition dangereuse, il avait enfoui son trésor, n'en confiant le secret qu'à un homme sûr, surpris sans doute par la mort avant de pouvoir révéler la cachette à l'héritier légitime. A dater de ce Raymond commençait la décadence de la maison de Sigognac, autrefois riche et puissante. Tel fut, du moins, le roman très probable qu'imagina le baron d'après ces faibles indices; mais ce qui n'était pas douteux, c'est que ce trésor lui appartint. Il fit venir Isabelle et lui montra tout cet or étalé.

« Décidément, dit le baron, Beelzebuth était le bon génie des Sigognac. En mourant, il me fait riche, et s'en va quand arrive l'ange. Il n'avait plus rien à faire, puisque vous m'apportez le bonheur. >>

(Le Capitaine Fracasse, édit. F. Polo.)

LA CHANSON DE MIGNON

Italie, Italie!

Si riche et si dorée, oh! comme ils t'ont salie!
Les pieds des nations ont battu tes chemins;
Leur contact a limé tes vieux angles romains:
Les faux dilettanti s'érigeant en artistes,
Les milords ennuyés et les rimeurs touristes,

Les petits lords Byron fondent de toutes parts,
Sur ton cadavre à terre, ô mère des Césars!
Ils s'en vont mesurant la colonne et l'arcade;
L'un se pâme au rocher et l'autre à la cascade;
Ce sont à chaque pas des admirations,
Des yeux levés en l'air et des contorsions;
Au moindre bloc informe et dévoré de mousse,
Au moindre pan de mur où le lentisque pousse,
On pleure d'aise, on tombe en des ravissements
A faire de pitié rire tes monuments.

Chacun te tire aux dents, belle Italie antique,
Afin de remporter un pan de ta tunique!
Restons, car au retour on court risque souvent
De ne retrouver plus son vieux père vivant;

Et votre chien vous mord, ne sachant plus connaître
Dans l'étranger bruni celui qui fut son maître;
Les cœurs qui vous étaient ouverts se sont fermés :
D'autres en ont la clef, et dans vos plus aimés
Il ne reste de vous qu'un vain nom qui s'efface.
Lorsque vous revenez, vous n'avez plus de place.
C'est le monde.

Le cœur de l'homme est plein d'oubli;
C'est une eau qui remue et ne garde aucun pli :
L'herbe pousse moins vite aux pierres de la tombe
Qu'un autre amour dans l'âme; et la larme qui tombe
N'est pas séchée encor que la bouche sourit,

Et qu'aux pages du cœur un autre nom s'écrit.
Restons pour être aimés, et pour qu'on se souvienne
Que nous sommes au monde; il n'est amour qui tienne
Contre une longue absence; oh! malheur aux absents!
Les absents sont des morts, et comme eux impuissants;
Dès qu'aux yeux bien-aimés votre vue est ravie,
Rien ne reste de vous qui prouve votre vie;
Pour qu'on lui soit fidèle, il faut que le ramier
Ne quitte pas le nid et vive au colombier.
Restons au colombier. Après tout, notre France
Vaut bien ton Italie, et, comme dans Florence,
Rome, Naple, ou Venise, on peut trouver ici
De beaux palais à voir et des tableaux aussi.
Nous avons des donjons, de vieilles cathédrales,
Aussi haut que Saint-Pierre élevant leurs spirales,
Notre-Dame tendant ses deux grands bras en croix,
Saint-Séverin dardant sa flèche entre les toits,
Et la Sainte-Chapelle aux minarets mauresques,
Et Saint-Jacques hurlant sous ses monstres grotesques;
Nous avons de grands bois et des oiseaux chanteurs,
Des fleurs embaumant l'air de divines senteurs,
Des ruisseaux babillards dans de belles prairies,
Où l'on peut suivre en paix ses chères rêveries;

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