Page images
PDF
EPUB

Sur les rayons du soir, sur les ailes du vent,
Elle s'élève à Dieu comme un parfum vivant.
Et, donnant un langage à toute créature,
Prête, pour l'adorer, mon âme à la nature.
Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de l'Éternel;
Et celui qui, du sein de sa gloire infinie,
Des sphères qu'il ordonne écoute l'harmonie,
Écoute aussi la voix de mon humble raison,
Qui contemple sa gloire et murmure son nom.

Salut, principe et fin de toi-même et du monde!
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde,
Ame de l'univers, Dieu, père, créateur,

Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur;
Et sans avoir besoin d'entendre ta parole;

Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur;
La terre, ta bonté; les astres, ta splendeur.
Tu t'es produit toi-même en ton brillant ouvrage!
L'univers tout entier réfléchit ton image,
Et mon âme à son tour réfléchit l'univers.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de soi te découvre et t'adore,
Se contemple soi-même et t'y découvre encore :
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,
Se réfléchit dans l'onde et se peint à mes yeux.

C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême!
Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime!
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour,
Qui, du foyer divin détaché pour un jour,
De désirs dévorants loin de toi consumée,
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi!
Ce monde qui te cache est transparent pour moi;
C'est toi que je découvre au fond de la nature,
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m'approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts.
Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs,
Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore,
Et sème sur les monts les perles de l'aurore,
Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour,
S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour.
Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière,
M'inonde de chaleur, de vie et de lumière,
Dans ses puissants rayons qui raniment mes sens,
Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle que je sens.

Et quand la nuit, guidant son cortège d'étoiles,
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles,
Seul, au sein du désert et de l'obscurité,
Méditant de la nuit la douce majesté,

Enveloppé de calme et d'ombre et de silence,
Mon âme de plus près adore ta présence;
D'un jour intérieur je me sens éclairer,
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.

Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence:
Partout à pleines mains prodiguant l'existence,
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts.
Je te vois en tous lieux conserver et produire :
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté,
J'attends le jour sans fin de l'immortalité.
La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres,
Ma raison voit le jour à travers les ténèbres;
C'est le dernier degré qui m'approche de toi,
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore,
Ou, si dans tes secrets tu le retiens encore,
Entends du haut du ciel le cri de mes besoins!
L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins :
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence,
Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance;
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens.
Et, comme le soleil aspire la rosée,
Dans ton sein à jamais absorbe ma pensée!

NOUVELLES MÉDITATIONS POÉTIQUES

LE CRUCIFIX

Toi que j'ai recueilli sur sa bouche expirante
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d'une main mourante,
Image de mon Dieu,

Que de pleurs ont coulé sur tes pieds que j'adore,
Depuis l'heure sacrée où du sein d'un martyr,
Dans mes tremblantes mains tu passas tiède encore
De son dernier soupir!

Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme;
Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l'enfant qui s'endort.

De son pieux espoir son front gardait la trace,
Et sur ses traits, frappés d'une auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.

Le vent qui caressait sa tête échevelée

Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits,
Comme l'on voit flotter sur un blanc mausolée
L'ombre des noirs cyprès.

Un de ses bras pendait de la funèbre couche;
L'autre, languissamment replié sur son cœur,
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche
L'image du Sauveur.

Ses lèvres s'entr'ouvraient pour l'embrasser encore;
Mais son âme avait fui dans ce divin baiser,
Comme un léger parfum que la flamme dévore
Avant de l'embraser.

Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée,
Le souffle se taisait dans son sein endormi,
Et sur l'œil sans regard la paupière affaissée
Retombait à demi.

Et moi, debout, saisi d'une terreur secrète,
Je n'osais m'approcher de ce reste adoré,
Comme si du trépas la majesté muette
L'eût déjà consacré.

Je n'osais.... Mais le prêtre entendit mon silence.
Et de ses doigts glacés prenant le crucifix:
« Voilà le souvenir, et voilà l'espérance;

Emportez-les, mon fils! >>

Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage!
Sept fois, depuis ce jour, l'arbre que j'ai planté
Sur sa tombe sans nom a changé de feuillage:
Tu ne m'as pas quitté.

Placé près de ce cœur, hélas! où tout s'efface,
Tu l'as contre le temps défendu de l'oubli,
Et mes yeux goutte à goutte ont imprimé leur trace
Sur l'ivoire amolli.

O dernier confident de l'âme qui s'envole,

Viens, reste sur mon cœur! parle encore, et dis-moi
Ce qu'elle te disait quand sa faible parole
N'arrivait plus qu'à toi;

A cette heure douteuse où l'âme recueillie,
Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux,

Hors de nos sens glacés pas à pas se replie,
Sourde aux derniers adieux;

Alors qu'entre la vie et la mort incertaine,
Comme un fruit par son poids détaché du rameau,
Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine
Sur la nuit du tombeau;

Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie
N'éveille déjà plus notre esprit endormi;
Aux lèvres des mourants collé dans l'agonie,
Comme un dernier ami;

Pour éclaircir l'horreur de cet étroit passage,
Pour relever vers Dieu leur regard abattu,
Divin consolateur dont nous baisons l'image,
Réponds, que leur dis-tu?

Tu sais, tu sais mourir! et tes larmes divines,
Dans cette nuit horrible où tu prias en vain,
De l'olivier sacré baignèrent les racines

Du soir jusqu'au matin.

De la croix où ton œil sonda ce grand mystère,
Tu vis ta Mère en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!

Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir :
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!

Je chercherai la place où sa bouche expirante
Exhala sur tes pieds l'irrévocable adieu,
Et son âme viendra guider mon âme errante
Au sein du même Dieu.

Ah! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche,
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L'héritage sacré !

Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure;
Et, gage consacré d'espérance et d'amour,

De celui qui s'éloigne à celui qui demeure
Passe ainsi tour à tour;

Jusqu'au jour où, des morts perçant la voûte sombre,
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble éveillera ceux qui dorment à l'ombre
De l'éternelle croix!

VICTOR HUGO

M. Victor Hugo, né à Besançon le 26 février 1802, avait vingt ans quand il publia son premier volume d'Odes (1822) et vingt-deux quand parurent les Odes et Ballades (1824), où s'annonçait un talent hors ligne. La préface de son drame de Cromwell (1827) fut le manifeste de l'école romantique: elle joua le même rôle qu'avait rempli, en 1549, la Défense et Illustration de la langue française par Du Bellay. La situation n'était pas sans analogie, et le Cénacle avait plus d'un rapport avec la Pléiade: comme elle, il renfermait des hommes du plus grand talent; il voulait, comme elle, renouveler la forme d'une littérature vieillie. L'école classique de l'Empire avait porté trop loin les dédains de son goût. Elle s'était fait un idéal traditionnel et trop étroit, qui excluait sans raison de vraies beautés. Le romantisme élargit les portes de l'art, et y fit entrer ce que l'école pseudo-classique avait eu le tort d'en exclure, l'histoire, c'est-à-dire l'homme plus vrai et souvent plus beau que les pâles abstractions qu'elle lui substituait. Il en finit par le ridicule avec toute règle arbitraire, et revendiqua pour l'écrivain la liberté de s'isoler, de vivre à sa fantaisie, le tout à ses risques et périls. M. Victor Hugo l'a très bien défini le libéralisme en littérature. La première ivresse de la liberté littéraire dégénéra trop souvent en licence; on songea à frapper fort plutôt que juste. Mais au milieu des exagérations, qu'une réaction quelconque entraîne toujours à sa suite, on vit s'élever des œuvres qui ne doivent point périr.

L'année qui suivit le manifeste romantique, M. Victor Hugo composait les Orientales, la plus magnifique efflorescence de son imagination. Ici la poésie lyrique prenait un caractère nouveau et analogue aux doctrines de la jeune école. Ce n'était plus ni l'élan des passions politiques, ni les poétiques douleurs d'une âme repliée sur elle-même; c'était du rythme, de la lumière, d'étincelantes couleurs,

DEMOGEOT.

11. 19

« PreviousContinue »