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En tête du convoi qui passe,
Comme un parent.

Au bord de la fosse avec peine,
Blessé de juillet, il se traîne
Tout en boitant,

Et la gloire y jette son maître,
Sans le nommer, sans le connaître;
Ils étaient tant!

Gardien du tertre funéraire,
Nul plaisir ne le peut distraire
De son ennui;

Et fuyant la main qui l'attire,
Avec tristesse il semble dire:
« Ce n'est pas lui. »

Quand sur ces touffes d'immortelles
Brillent d'humides étincelles
Au point du jour,

Son œil se ranime, il se dresse,
Pour que son maître le caresse,
A son retour.

Au vent des nuits, quand la couronne
Sur la croix du tombeau frissonne,
Perdant l'espoir,

Il veut que son maître l'entende;
Il gronde, il pleure, et lui demande
L'adieu du soir.

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C'est là qu'il attend d'heure en heure,
Qu'il aime, qu'il souffre, qu'il pleure,
Et qu'il mourra!

Quel fut son nom? C'est un mystère :
Jamais la voix qui lui fut chère
Ne le dira.

Passant, que ton front se découvre :
Là plus d'un brave est endormi;
Des fleurs pour le martyr du Louvre!
Un peu de pain pour son ami.

(Édit. Firmin Didot.)

GUIRAUD

Alexandre Guiraud, membre de l'Académie française (1826), né à Limoux le 25 décembre 1788, est mort à Paris le 24 février 1847. D'abord lauréat, comme Victor Hugo, mais bien avant lui, de l'Académie des Jeux Floraux de Toulouse dans plusieurs concours poétiques, il vint à Paris et publia divers recueils de poésies qui furent remarqués. Son poème le Petit Savoyard eut un grand succès; et il le méritait par la naïveté touchante du sujet, par l'honnêteté des sentiments, par l'élégance simple et pure de la versification.

Guiraud a composé plusieurs tragédies : les Macchabées, le Comte Julien, Pélage; il a écrit aussi un roman philosophique dans le sens de l'école catholique libérale, Flavien ou Rome au désert, Paris, 1835, 2 vol. in-8.

Ses œuvres ont été réunies en 6 vol. in-8, Paris, 1845.

LE PETIT SAVOYARD

LE DÉPART

Pauvre petit, pars pour la France.

Que te sert mon amour? je ne possède rien.
On vit heureux, ailleurs; ici, dans la souffrance.
Pars, mon enfant, c'est pour ton bien.

Tant que mon lait put te suffire.

Tant qu'un travail utile à mes bras fut permis,

Heureuse et délassée en te voyant sourire,
Jamais on n'eût osé me dire :

Renonce aux baisers de ton fils.

Mais je suis veuve; on perd sa force avec la joie.
Triste et malade, où recourir ici?

Où mendier pour toi? chez des pauvres aussi !
Laisse ta pauvre mère, enfant de la Savoie;
Va, mon enfant, où Dieu t'envoie.

Mais, si loin que tu sois, pense au foyer absent,
Avant de le quitter, viens, qu'il nous réunisse.
Une mère bénit son fils en l'embrassant :
Mon fils, qu'un baiser te bénisse.

Vois-tu ce grand chêne, là-bas?

Je pourrai jusque-là t'accompagner, j'espère.
Quatre ans déjà passés, j'y conduisis ton père;
Mais lui, mon fils, ne revint pas.

Encor, s'il était là pour guider ton enfance,
Il m'en coûterait moins de t'éloigner de moi;
Mais tu n'as pas dix ans, et tu pars sans défense:
Que je vais prier Dieu pour toi!...

Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde?
Seul, parmi les méchants (car il en est au monde),
Sans ta mère, du moins, pour t'apprendre à souffrir...
Oh! que n'ai-je du pain, mon fils pour te nourrir!

Mais Dieu le veut ainsi : nous devons nous soumettre.
Ne pleure pas en me quittant.

Porte au seuil des palais un visage content,
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être....
Pour distraire le riche, il faut chanter pourtant.

Chante, tant que la vie est pour toi moins amère;
Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau;
Répète, en cheminant, les chansons de ta mère,
Quand ta mère chantait autour de ton berceau.

Si ma force première encor m'était donnée,
J'irais, te conduisant moi-même par la main;
Mais je n'atteindrais pas la troisième journée;
Il faudrait me laisser bientôt sur ton chemin.
Et moi je veux mourir aux lieux où je suis née.

Maintenant de ta mère entends le dernier vœu :
Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne,
Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui donne.
DEMOGEOT,

II. 17

Prie, et demande au riche: il donne au nom de Dieu
Ton père le disait; sois plus heureux: adieu.

Mais le soleil tombait des montagnes prochaines,
Et la mère avait dit : « Il faut nous séparer »;
Et l'enfant s'en allait à travers les grands chênes,
Se tournant quelquefois et n'osant pas pleurer.

LE RETOUR

Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles,
Par un soleil d'été, que les Alpes sont belles!

Tout dans leurs frais vallons sert à nous enchanter,
La verdure, les eaux, les bois, les fleurs nouvelles.
Heureux qui sur ces bords peut longtemps s'arrêter!
Heureux qui les revoit, s'il a pu les quitter!

Quel est ce voyageur que l'été leur renvoie,

Seul, loin dans la vallée, un bâton à la main?
C'est un enfant; il marche, il suit le long chemin
Qui va de France à la Savoie.

Bientôt de la colline il prend l'étroit sentier.
Il a mis, ce matin, la bure du dimanche,

Et dans son sac de toile blanche

Est un pain de froment qu'il garde tout entier.

Pourquoi tant se hâter, à sa course dernière?
C'est que le pauvre enfant veut gravir le coteau,
Et ne point s'arrêter qu'il n'ait vu son hameau
Et n'ait reconnu sa chaumière.

Les voilà... Tels encore qu'il les a vus toujours,
Ces grands bois, ce ruisseau qui fuit sous le feuillage;
Il ne se souvient plus qu'il a marché dix jours;
Il est si près de son village!

Tout joyeux il arrive et regarde..... Mais quoi!
Personne ne l'attend! sa chaumière est fermée!
Pourtant du toit aigu sort un peu de fumée.
Et l'enfant plein de trouble : « Ouvrez, dit-il, c'est moi. "

La porte cède; il entre; et sa mère attendrie,
Sa mère, qu'un long mal près du foyer retient,
Se relève à moitié, tend les bras et s'écrie:
« N'est-ce pas mon fils qui revient? »

Son fils est dans ses bras, qui pleure et qui l'appelle
« Je suis infirme, hélas! Dieu m'afflige, dit-elle;

Et depuis quelques jours je te l'ai fait savoir,
Car je ne voulais pas mourir sans te revoir. »

Mais lui « De votre enfant vous étiez éloignée,
Le voilà qui revient; ayez des jours contents;
Vivez je suis grandi, vous serez bien soignée;

Nous sommes riches pour longtemps.

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Et les mains de l'enfant, des siennes détachées,
Jetaient sur ses genoux tout ce qu'il possédait,
Les trois pièces d'argent dans sa veste cachées,
Et le pain de froment que pour elle il gardait.

Sa mère l'embrassait et respirait à peine;
Et son œil se fixait, de larmes obscurci,
Sur un grand crucifix de chêne

Suspendu devant elle et par le temps noirci.

« C'est lui, je le savais, le Dieu des pauvres mères
Et des petits enfants, qui du mien a pris soin;
Lui, qui me consolait quand mes plaintes amères
Appelaient mon fils de si loin.

C'est le Christ du foyer, que les mères implorent,
Qui sauve nos enfants du froid et de la faim.

Nous gardons nos agneaux, et nos loups les dévorent;
Nos fils s'en vont tout seuls et reviennent enfin.

Toi, mon fils, maintenant me seras-tu fidèle?

Ta pauvre mère infirme a besoin de secours;

Elle mourrait sans toi. » L'enfant, à ce discours,

Grave et joignant ses mains, tombe à genoux près d'elle,
Disant : « Que le bon Dieu vous fasse de longs jours! »
(Poèmes et chants élégiaques, édit. Amyot.)

BÉRANGER

Jean-Pierre de Béranger est né le 19 août 1780 à Paris où il est mort le 16 juillet 1857. D'abord compositeur dans une imprimerie à Péronne, il voulut écrire et s'essaya sans succès dans divers genres. Le prince Lucien Bonaparte vint à son aide en 1803; puis il entra dans les bureaux de l'Université et put se consacrer avec plus de loisir et de tranquillité d'esprit à ses travaux littéraires. Vers 1813 il se

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