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A nos malheurs passés mesure tes bienfaits;

O ciel! conserve Égisthe, et que je meure en paix!
Ah! parmi ces soldats ne vois-je point la reine?

SCENE VII. MÉROPE, ISMÉNIE, NARBAS, PEUPLE, SOLDATS.

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(On voit dans le fond du théâtre le corps de Polyphonte couvert d'une robe sanglante.)

MÉROPE.

Guerriers, prêtres, amis, citoyens de Messène,
Au nom des dieux vengeurs, peuples, écoutez-moi.
Je vous le jure encore, Égisthe est votre roi :

Il a puni le crime, il a vengé son père.

Celui que vous voyez traîné sur la poussière,

C'est un monstre ennemi des dieux et des humains:
Dans le sein de Cresphonte il enfonça ses mains.
Cresphonte mon époux, mon appui, votre maître,
Mes deux fils sont tombés sous les coups de ce traître.
Il opprimait Messène, il usurpait mon rang;

Il m'offrait une main fumante de mon sang.

(En courant vers Egisthe, qui arrive la hache à la main.) Celui que vous voyez, vainqueur de Polyphonte,

C'est le fils de vos rois, c'est le sang de Cresphonte;
C'est le mien, c'est le seul qui reste à ma douleur.
Quels témoins voulez-vous plus certains que mon cœur?
Regardez ce vieillard; c'est lui dont la prudence

Aux mains de Polyphonte arracha son enfance.
Les dieux ont fait le reste.

NARBAS.

Oui, j'atteste ces dieux
Que c'est là votre roi qui combattait pour eux.

ÉGISTHE.

Amis, pouvez-vous bien méconnaître une mère?
Un fils qu'elle défend? un fils qui venge un père?
Un roi vengeur du crime?

MÉROPE.

Et si vous en doutez,
Reconnaissez mon fils aux coups qu'il a portés,
A votre délivrance, à son âme intrépide.
Eh! quel autre jamais qu'un descendant d'Alcide,
Nourri dans la misère, à peine en son printemps,
Eût pu venger Messène et punir les tyrans?

:

Il soutiendra son peuple, il vengera la terre.
Écoutez le ciel parle; entendez son tonnerre.
Sa voix qui se déclare et se joint à mes cris,
Sa voix rend témoignage, et dit qu'il est mon fils.

HISTOIRE DE CHARLES XII

Le premier essai historique de Voltaire fut l'Histoire de Charles XII, vive et brillante narration, où tout est mouvement, où les hommes et les faits sont expliqués par le récit. Le style de l'historien s'accorde merveilleusement avec le caractère impétueux du héros; nulle part la langue française n'a plus de prestesse et d'agilité. « Pour les choses sérieuses, dit M. Villemain, les descriptions de pays et de mœurs, les marches, les combats, le tour du récit tient de César bien plus que de Quinte-Curce. Nul détail oiseux, nulle déclamation, nulle parure tout est net, intelligent, précis; tout court au fait, au but. >> Certains contemporains de Voltaire, La Motraye, le Suédois Norberg, chapelain du roi Charles XII, l'accusèrent d'avoir écrit un roman, et non une histoire. Il est très certain que sur quelques points particuliers il a été inexactement informé, et que des documents nouveaux ont permis aux historiens de notre temps de relever dans son livre plus d'une erreur. Mais il est certain aussi qu'il a recueilli soigneusement les témoignages oraux, consulté les mémoires, mis à profit toutes les publications, même celles de ses ennemis, puisé enfin à toutes les sources, et que, s'il n'a pas toujours atteint la vérité, il l'a toujours très sincèrement cherchée.

LIVRE L

GOUVERNEMENT DE LA POLOGNE

Le gouvernement de la Pologne est la plus fidèle image de l'ancien gouvernement celte et gothique, corrigé ou altéré partout ailleurs c'est le seul État qui ait conservé le nom de république avec la dignité royale.

Chaque gentilhomme a le droit de donner sa voix dans l'élection d'un roi, et de pouvoir l'être lui-même. Ce plus beau des droits est joint au plus grand des abus : le trône est presque toujours à l'enchère; et, comme un Polonais est rarement assez riche pour l'acheter, il a été vendu souvent aux étrangers. La noblesse et le clergé défendent leur liberté contre leur roi, et l'òtent au reste de la na

tion. Tout le peuple y est esclave; tant la destinée des hommes est que le plus grand nombre soit partout, de façon ou d'autre, subjugué par le plus petit! Là le paysan ne sème point pour lui, mais pour des seigneurs à qui lui, son champ et le travail de ses mains appartiennent, et qui peuvent le vendre et l'égorger avec le bétail de la terre. Tout ce qui est gentilhomme ne dépend que de soi; il faut, pour les juger dans une affaire criminelle, une assemblée entière de la nation; il ne peut être arrêté qu'après avoir été condamné ainsi il n'est presque jama's puni. Il y en a beaucoup de pauvres; ceux-là se mettent au service des plus puissants, en reçoivent un salaire, font les fonctions les plus basses. Ils aiment mieux servir leurs égaux que de s'enrichir par le commerce; et, en pansant les chevaux de leurs maîtres, ils se donnent le titre d'électeurs des rois, et de destructeurs des tyrans.

Qui verrait un roi de Pologne dans la pompe de sa majesté royale le croirait le prince le plus absolu de l'Europe; c'est cependant celui qui l'est le moins. Les Polonais font réellement avec lui ce contrat, qu'on suppose, chez d'autres nations, entre le souverain et les sujets. Le roi de Pologne, à son sacre même, et en jurant les pacta conventa, dispense ses sujets du serment d'obéissance en cas qu'il viole les lois de la république.

Il nomme à toutes les charges, et confère tous les honneurs. Rien n'est héréditaire en Pologne que les terres et le rang de noble; le fils d'un palatin et celui du roi n'ont nul droit aux dignités de leur père; mais il y a cette grande différence entre le roi et la république, qu'il ne peut ôter aucune charge après l'avoir donnée, et que la république a le droit de lui ôter la couronne s'il transgressait les lois de l'État.

La noblesse, jalouse de sa liberté, vend souvent ses suffrages, et rarement ses affections. A peine ont-ils élu un roi, qu'ils craignent son ambition, et lui opposent leurs cabales. Les grands qu'il a faits, et qu'il ne peut défaire, deviennent souvent ses ennemis, au lieu de rester ses créatures. Ceux qui sout attachés à la cour sont l'objet de la haine du reste de la noblesse: ce qui forme toujours deux partis; division inévitable et même nécessaire dans les pays où l'on veut avoir des rois et conserver sa liberté.

Ce qui concerne la nation est réglé dans les états généraux, qu'on appelle diètes. Ces états sont composés du corps du sénat et de plusieurs gentilshommes : les sénateurs sont les palatins et les évêques; le second ordre est composé des députés des diètes particulières de chaque palatinat. A ces grandes assemblées préside l'archevêque de Gnesne, primat de Pologne, vicaire du royaume dans les interrègnes, et la première personne de l'État après le roi.' Rarement y a-t-il en Pologne un autre cardinal que lui, parce que, la pourpre romaine ne donnant aucune préséance dans le sénat, un évêque qui serait cardinal serait obligé ou de s'asseoir à son rang de sénateur, ou de renoncer aux droits solides de la dignité qu'il a dans sa patrie, pour soutenir les prétentions d'un honneur étranger.

DEMOGEOT.

II. 2

Ces diètes se doivent tenir, par les lois du royaume, alternativement en Pologne et en Lithuanie : les députés y décident souvent leurs affaires le sabre à la main, comme les anciens Sarmates dont ils sont descendus, et quelquefois même au milieu de l'ivresse, vice que les Sarmates ignoraient. Chaque gentilhomme député à ces états généraux jouit du droit qu'avaient à Rome les tribuns du peuple de s'opposer aux lois du sénat; un seul gentilhomme qui dit: Je proteste, arrête par ce mot seul les résolutions unanimes de tout le reste; et s'il part de l'endroit où se tient la diète, il faut alors qu'elle se sépare.

On apporte aux désordres qui naissent de cette loi un remède plus dangereux encore. La Pologne est rarement sans deux factions. L'unanimité dans les diètes étant alors impossible, chaque parti forme des confédérations, dans lesquelles on décide à la pluralité des voix, sans avoir égard aux protestations du plus petit nombre. Ces assemblées, illégitimes selon les lois, mais autorisées par l'usage, se font au nom du roi, quoique souvent contre son consentement et contre ses intérêts; à peu près comme la Ligue se servait en France du nom de Henri III pour l'accabler, et comme en Angleterre le parlement qui fit mourir Charles Ier sur un échafaud, commença par mettre le nom du prince à la tête de toutes les résolutions qu'il prenait pour le perdre. Lorsque les troubles sont finis, alors c'est aux diètes générales à confirmer ou à casser les actes de ces confédérations; une diète même peut changer tout ce qu'a fait la précédente, par la même raison que dans les États monarchiques un roi peut abolir les lois de son prédécesseur et les siennes propres.

LIVRE III

RETRAITE DE SCHULENBOURG 1

Auguste confia pour quelque temps le commandement de son armée au comte Schulenbourg, général très habile, et qui avait besoin de toute son expérience à la tête d'une armée découragée. Il songea plus à conserver les troupes de son maître qu'à vaincre : il faisait la guerre avec adresse, et les deux rois avec vivacité 2. Il leur déroba des marches, occupa des passages avantageux, sacrifia quelque cavalerie pour donner le temps son infanterie de se retirer en sûreté. Il sauva ses troupes par des retraites glorieuses devant un ennemi avec lequel on ne pouvait guère alors acquérir que cette espèce de gloire.

A peine arrivé dans le palatinat de Posnanie, il apprend que les deux rois, qu'il croyait à cinquante lieues de lui, avaient fait ces

1. J.-Mathias, comte de Schulenbourg, né en 1661 près de Magdebourg, avait servi déjà sous Jean Sobieski, quand le roi Auguste le nomma généralissime (1704). 2. Charles XII et Stanislas Leczinski.

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cinquante lieues en neuf jours; il n'avait que huit mille fantassins et mille cavaliers; il fallait se soutenir contre une armée supérieure, contre le nom du roi de Suède et contre la crainte naturelle que tant de défaites inspiraient aux Saxons. Il avait toujours prétendu, malgré l'avis des généraux allemands, que l'infanterie pouvait résister en pleine campagne, même sans chevaux de frise, à la cavalerie i en osa faire ce jour-là l'expérience contre cette cavalerie victorieuse, commandée par deux rois et par l'élite des généraux suédois. Il se posta si avantageusement qu'il ne put être entouré : son premier rang mit le genou en terre; il était armé de piques et de fusils; les soldats, extrêmement serrés, présentaient aux chevaux des ennemis une espèce de rempart hérissé de piques et de baïonnettes; le second rang, un peu courbé sur les épaules du premier, tirait par-dessus; et le troisième, debout, faisait feu en même temps derrière les deux autres. Les Suédois fondirent avec leur impétuosité ordinaire sur les Saxons, qui les attendirent sans s'ébranler les coups de fusil, de pique et de baïonnette effarouchèrent les chevaux, qui se cabraient au lieu d'avancer; par ce moyen, les Suédois n'attaquèrent qu'en désordre, et les Saxons se défendirent en gardant leurs rangs.

Il en fit un bataillon carré long; et, quoique chargé de cinq blessures, il se retira en bon ordre en cette forme, au milieu de la nuit, dans la petite ville de Gurau, à trois lieues du champ de bataille. A peine commençait-il à respirer dans cet endroit, que les deux rois paraissent tout à coup derrière lui.

Au delà de Gurau, en tirant vers le fleuve de l'Cder, était un bois épais, au travers duquel le général saxon sauva son infanterie fatiguée. Les Suédois, sans se rebuter, le poursuivirent par le bois même, avançant avec difficulté dans des routes à peine praticables pour les gens de pied; les Saxons n'eurent traversé le bois que cinq heures avant la cavalerie suédoise. Au sortir de ce bois coule la rivière de Parts, au pied d'un village nommé Rutsen. Schulenbourg avait envoyé en diligence rassembler des bateaux : il fait passer la rivière à sa troupe, qui était déjà diminuée de moitié; Charles arrive dans le temps que Schulenbourg était à l'autre bord: jamais vainqueur n'avait poursuivi si vivement son ennemi. La réputation de Schulenbourg dépendait d'échapper au roi de Suède; le roi, de son côté, croyait sa gloire intéressée à prendre Schulenbourg et le reste de son armée il ne perd point de temps; il fait passer sa cavalerie à un gué. Les Saxons se trouvaient enfermés entre cette rivière de Parts et le grand fleuve de l'Oder, qui prend sa source dans la Silésie, et qui est déjà profond et rapide en cet endroit.

La perte de Schulenbourg paraissait inévitable; cependant, après avoir sacrifié peu de soldats, il passa l'Oder pendant la nuit. Il sauva ainsi son armée; et Charles ne put s'empêcher de dire : Aujourd'hui Schulenbourg nous a vaincus. »

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