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Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson:
Et comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,
Je n'ai vu luire encor que les feux du matin,
Je veux achever ma journée.

O Mort! tu peux attendre; éloigne, éloigne-toi!
Va consoler les cœurs que la honte, l'effroi,
Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès encore a des asiles verts,
Les Amours des baisers, les Muses des concerts;
Je ne veux pas mourir encore. »

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S'éveillait écoutant ces plaintes, cette voix,
Ces vœux d'une jeune captive 1;

Et secouant le joug de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliais les accents
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison, témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours,
Ceux qui les passeront près d'elle.

NAPOLÉON

PROCLAMATION

A L'ARMÉE APRÈS LA VICTOIRE DE MILLESIMO ET LA DESTRUCTION
DE L'ARMÉE PIÉMONTAISE

Soldats!

(Avril 1796)

Vous avez remporté en quinze jours six victoires, pris vingt et un drapeaux, cinquante-cinq pièces de canon, plusieurs places fortes, et conquis la partie la plus riche du Piémont; vous avez fait 15 000

1. Mademoiselle de Coigny.

prisonniers, tué ou blessé plus de 10 000 hommes. Vous vous étiez jusques ici battus pour des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie; vous égalez, aujourd'hui, par vos services, l'armée de Hollande et celle du Rhin. Dénués de tout, vous avez suppléé à tout. Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie, et souvent sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert. Grâces vous en soient rendues, soldats! La patrie reconnaissante vous devra sa prospérité, et si, vainqueurs de Toulon, vous présageâtes l'immortelle campagne de 1793, vos victoires actuelles en présagent une plus belle encore. Les deux armées qui naguère vous attaquaient avec audace fuient épouvantées devant vous; les hommes pervers qui riaient de votre misère et se réjouissaient dans leur pensée des triomphes de vos ennemis, sont confondus et tremblants. Mais, soldats, il ne faut pas vous le dissimuler, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous reste à faire. Ni Turin ni Milan ne sont à vous; les cendres des vainqueurs de Tarquin sont encore foulées par les assassins de Basseville!..... En est-il d'entre vous dont le courage s'amollisse? En est-il qui préféreraient retourner sur les sommets de l'Apennin et des Alpes?.... Non, il n'en est pas parmi les vainqueurs de Montenotte, de Millesimo, de Dego, de Mondovi; tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français !.....

PROCLAMATION A LA GRANDE ARMÉE

Soldats!

Au quartier impérial de Posen, le 1er décembre 1806.

Il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, vous étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons russes, épouvantés, fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient leurs armes aux vainqueurs. Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix: mais elles étaient trompeuses. A peine échappés, par l'effet d'une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième. Mais l'allié sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance n'est déjà plus. Ses places fortes, sa capitale, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha, les déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment. Vous avez tout bravé, tout surmonté, tout a fui à votre approche. C'est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne, l'aigle française plane sur la Vistule. Le brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de Sobieski, de retour de leur mèmorable expédition.

Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale

n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis sur l'Elbe et l'Oder, Pondichéry, nos Établissements des Indes, le cap de Bonne-Espérance et les colonies espagnoles. Qui donnerait le droit de faire espérer aux Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous pas les soldats d'Austerlitz?

NAPOLÉON.

PROCLAMATION

Au golfe Juan, le 1er mars 1815.

NAPOLÉON PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS DE L'EMPIRE EMPEREUR DES FRANÇAIS, ETC. ETC.

Soldats!

A l'armée

Nous n'avons pas été vaincus! Deux hommes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur prince, leur bienfaiteur...... Ceux que nous avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis; qui ont passé leur vie à combattre contre nous dans les rangs des armées étrangères en maudissant notre belle France, prétendraient-ils commander et enchaîner nos aigles, eux qui n'ont jamais pu en soutenir les regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de nos glorieux travaux? qu'ils s'emparent de nos honneurs, de nos biens; qu'ils calomnient notre gloire? Si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces immortelles journées !

Avec quel acharnement ils les dénaturent et cherchent à empoisonner ce que le monde admire! S'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur le champ de bataille.

Soldats! dans mon exil j'ai entendu votre voix. Je suis arrivé à travers tous les obstacles et tous les périls.

Votre général, appelé au trône par le choix du peuple et élevé sur vos pavois, vous est rendu venez le joindre.

Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites et qui, pendant vingt-cinq ans, servirent de ralliement à tous les ennemis de la France. Arborez cette cocarde tricolore; vous la portiez dans nos grandes journées.

Nous devons oublier que nous avons été les maîtres des nations; mais nous ne devons pas souffrir qu'aucune se mêle de nos affaires. Qui prétendrait être le maître chez nous? Qui en aurait la pensée? Reprenez ces aigles que veus aviez à Ulm, à Austerlitz, à Iéna, à Eylau, à Friedland, à Tudela, à Eckmühl, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moskova, à Lutzen, à Varthen, à Montmirail. Pensezvous que cette poignée de Français aujourd'hui si arrogante puisse

en soutenir la vue? Ils retourneront d'où ils viennent, et là, s'ils le veulent, ils régneront comme ils prétendent avoir régné depuis dixneuf ans.

Vos biens, vos rangs, votre gloire, les biens, les rangs et la gloire de vos enfants n'ont pas de plus grands ennemis que ces princes que les étrangers nous ont imposés; ils sont les ennemis de votre gloire, puisque le récit de tant d'actions héroïques qui ont illustré le peuple français, combattant contre eux pour se soustraire à leur joug, est leur condamnation.

Les vétérans des armées de Sambre-et-Meuse, du Rhin, d'Italie, d'Égypte, de l'Ouest, de la Grande Armée sont humiliés; leurs honorables cicatrices sont flétries: leurs succès seraient des crimes, ces braves seraient des rebelles, si, comme le prétendent les ennemis du peuple, des souverains légitimes étaient au milieu des armées étrangères. Les honneurs, les récompenses, les affections sont pour ceux qui les ont servis contre la patrie et nous.

Soldats! venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la vôtre; ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres; son intérêt, son honneur, sa gloire ne sont autres que votre intérêt, votre honneur, votre gloire. La victoire marchera au pas de charge: l'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame: alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices; alors vous pourrez vous vanter de ce que vous avez fait, vous serez les libérateurs de la patrie.

:

Dans votre vieillesse, entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos hauts faits. Vous pourrez dire avec orgueil Et moi aussi je faisais partie de cette Grande Armée qui est entrée deux fois dans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, qui a délivré Paris de la souillure que la trahison et la présence de l'ennemi y ont empreinte. Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie: et honte éternelle aux Français criminels, dans quelque rang que la fortune les ait fait naître, qui combattirent vingt-cinq ans avec l'étranger pour déchirer le sein de la patrie.

NAPOLÉON.

CHATEAUBRIAND

François-René, vicomte de Chateaubriand, né le 4 septembre 1768, à Saint-Malo, d'une famille de vieille noblesse, était capitaine au régiment de Navarre, lorsque éclata la Révolution. Il quitta la France en 1791, et s'embarqua pour le Nouveau Monde, où il passa une année à parcourir

les solitudes de l'Amérique du Nord, ébauchant sur les lieux son poème des Natchez. En 1792, il revint en Europe et alla rejoindre à Coblentz l'armée des émigrés. Blessé au siège de Thionville et transporté en Angleterre, où il vécut quelques années dans le dénûment, il publia à Londres, en 1797, son premier ouvrage, l'Essai sur les Révolutions. Rentré en France en 1800, il publia l'année suivante, dans le Mercure, Atala, qui fut accueilli avec un sentiment presque universel d'admiration. René ajouta à l'enthousiasme. En 1802 parut le Génie du christianisme, dont Atala et René n'étaient que des épisodes. Remarqué par le premier consul, Chateaubriand fut chargé en 1803 de fonctions diplomatiques dont il se démit en 1804, après l'exécution du duc d'Enghien. En 1806, il visita la Grèce, l'Asie Mineure, la Palestine et l'Égypte, qu'il devait peindre dans son épopée des Martyrs (1809). Ses notes et ses souvenirs de voyage formèrent la matière de l'Itinéraire de Paris à Jérusalem, publié en 1811. Il fut élu la même année membre de l'Institut à la place de Chénier; mais il ne put prendre possession de son siège qu'après la Restauration. Au retour des Bourbons, Chateaubriand fut nommé ambassadeur de France en Suède. Il accompagna Louis XVIII à Gand, et devint un de ses conseillers. A la seconde restauration, il fut nommé ministre d'État et pair de France. Disgracié en 1816, il rentra en faveur en 1820, fut de nouveau congédié en 1824, et rappelé au pouvoir en 1828. Après la révolution de 1830, il se retira des affaires et revint à ses travaux littéraires. En 1831, il donna ses Études ou Discours historiques. Il acheva dans la retraite des mémoires sur sa propre vie, commencés dès 1811, et qui ne parurent qu'après sa mort, les Mémoires d'outre-tombe. Il mourut à Paris le 4 juillet 1848.

OEuvres complètes: Paris, Ladvocat, 1826, 31 vol. in-8; Paris, Lefèvre, 1829-1831, 20 vol. in-8; Paris, Pourrat, 1834-1838, 32 vol. gr. in-8; Paris, Didot, 5 vol. gr. in-8; Paris, Furne, 1842, 25 vol. in-8; Paris, Penaud, 1849, 12 vol. gr. in-8; et Paris, Krabbe, 1851, 16 vol. gr. in-8, Les Mémoires d'outre-tombe ont été publiés : Paris, 1849-1850, 12 vol. in-8. Parmi les nombreuses éditions

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