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anthères jaunes des fleurs, suspendues sur des filets blancs, leur présentent de doubles solives d'or en équilibre sur des colonnes plus belles que l'ivoire; les corolles, des voûtes de rubis et de topaze, d'une grandeur incommensurable, les nectaires, des fleuves de sucre; les autres parties de la floraison, des coupes, des urnes, des pavillons, des dômes, que l'architecture et l'orfèvrerie des hommes n'ont pas encore imités.

Je ne dis point ceci par conjecture; car un jour, ayant examiné au microscope des fleurs de thym, j'y distinguai, avec la plus grande surprise, de superbes amphores à long col, d'une matière semblable à l'améthyste, du goulot desquelles semblaient sortir des lingots d'or fondu. Je n'ai jamais observé la simple corolle de la plus petite fleur, que je ne l'aie vue composée d'une matière admirable, demi-transparente, parsemée de brillants, et teinte des plus vives couleurs. Les êtres qui vivent sous leurs riches reflets doivent avoir d'autres idées que nous de la lumière et des autres phé nomènes de la nature. Une goutte de rosée, qui filtre dans les tuyaux capillaires et diaphanes d'une plante, leur présente des milliers de jets d'eau; fixée en boule à l'extrémité d'un de ses poils, un océan sans rivage; évaporée dans l'air, une mer aérienne. Ils doivent donc voir les fluides monter au lieu de descendre, se mettre en rond au lieu de se mettre de niveau, et s'élever en l'air au lieu de tomber. Leur ignorance doit être aussi merveilleuse que leur science. Comme ils ne connaissent à fond que l'harmonie des plus petits objets, celle des grands doit leur échapper. Ils ignorent sans doute qu'il y a des hommes, et, parmi les hommes, des savants qui connaissent tout, qui expliquent tout; qui, passagers comme eux, s'élancent dans un infini en grand, où ils ne peuvent atteindre; tandis qu'eux, à la faveur de leur petitesse, en connaissent un autre dans les dernières divisions de la matière et du temps. Parmi ces êtres éphémères, se doivent voir des jeunesses d'un matin et des décrépitudes d'un jour. S'ils ont des histoires, ils ont des mois, des années, des siècles, des époques proportionnées à la durée d'une fleur. Ils ont une autre chronologie que la nôtre, comme ils ont une autre hydraulique et une autre optique. Ainsi, à mesure que l'homme s'approche des éléments de la nature, les principes de sa science s'évanouissent.

LA CHAUMIÈRE INDIENNE

LE PARIA

Le docteur sauta en bas de son palanquin; et, prenant sous son bras son livre de questions avec son sac de nuit, et à la main ses pistolets et sa pique, il s'en vint tout seul à la porte de la cabane. A peine il y eut frappé, qu'un homme à la physionomie fort douce vint lui ouvrir la porte, et s'éloigna de lui aussitôt, en lui disant : «Seigneur, je ne suis qu'un pauvre paria, qui ne suis pas digne

de vous recevoir mais si vous jugez à propos de vous mettre à l'abri chez moi, vous m'honorerez beaucoup. Mon frère, lui répondit l'Anglais, j'accepte de bon cœur votre hospitalité. » Cependant le paria sortit avec une torche à la main, une charge de bois sec sur son dos, et un panier plein de cocos et de bananes sous son bras; il s'approcha des gens de la suite du docteur, qui étaient à quelque distance de là sous un arbre, et leur dit . « Puisque vous ne voulez pas me faire l'honneur d'entrer chez moi, voilà des fruits enveloppés de leurs écorces que vous pouvez manger sans être souillés, et voilà du feu pour vous sécher et vous préserver des tigres. Que Dieu vous conserve! » Il rentra aussitôt dans sa cabane, et dit au docteur : « Seigneur, je vous le répète, je ne suis qu'un malheureux paria; mais comme à votre teint blanc et à vos habits je vois que vous n'êtes pas Indien, j'espère que vous n'aurez pas de répugnance pour les aliments que vous présentera votre pauvre serviteur. » En même temps il mit à terre, sur une natte, des mangues, des pommes de crème, des ignames, des patates cuites sous la cendre, des bananes grillées, et un pot de riz accommodé au suc et au lait de coco; après quoi il se retira sur sa natte, auprès de sa femme et de son enfant endormi près d'elle dans un berceau. « Homme vertueux, lui dit l'Anglais, vous valez beaucoup mieux que moi, puisque vous faites du bien à ceux qui vous méprisent. Si vous ne m'honorez pas de votre présence sur cette même natte, je croirai que vous me prenez moi-même pour un homme méchant, et je sors à l'instant de votre cabane, dussé-je être noyé par la pluie, ou dévoré par les tigres. »

Le paria vint s'asseoir sur la même natte que son hôte, et ils se mirent tous deux à manger. Cependant le docteur jouissait du plaisir d'être en sûreté au milieu de la tempête. La cabane était inébranlable outre qu'elle était dans le plus étroit du vallon, elle était bâtie sous un arbre de war ou figuier des banians, dont les branches, qui poussent des paquets de racines à leurs extrémités, forment autant d'arcades qui appuient le tronc principal. Le feuillage de cet arbre était si épais, qu'il n'y passait pas une goutte de pluie; et quoique l'ouragan fit entendre ses terribles rugissements entremêlés des éclats de la foudre, la fumée du foyer qui sortait par le milieu du toit, et la lumière de la lampe, n'étaient pas même agitées. Le docteur admirait autour de lui le calme de l'Indien et de sa femme, encore plus profond que celui des éléments. Leur enfant, noir et poli comme l'ébène, dormait dans son berceau; sa mère le berçait avec son pied, tandis qu'elle s'amusait à lui faire un collier avec des pois d'angole rouges et noirs. Le père jetait alternativement sur l'un et sur l'autre des regards pleins de tendresse. Enfin, jusqu'au chien qui prenait part au bonheur commun, couché avec un chat auprès du feu, il entr'ouvrait de temps en temps les yeux, et soupirait en regardant son maître.

MIRABEAU

Gabriel-Honoré Riquetti, comte de Mirabeau, né en 1749 au Bignon, près de Nemours, député du Tiers état de la ville d'Aix aux États généraux de 1789, y conquit rapidement, par l'ascendant de son génie, une position dominante, et devint le chef reconnu du Tiers état. Son éloquence, dans laquelle la fougue et l'emportement de la jeunesse s'alliaient à l'intelligence politique de l'âge mûr, lui valut le surnom de Démosthènes français. On admire surtout son Adresse au roi pour le renvoi des troupes campées à Versailles, ses discours sur la Banqueroute, sur la Constitution civile du clergé, sur le Droit de paix et de guerre, sur la Sanction royale. Il s'était rapproché de la royauté, et sa popularité commençait à être ébranlée, quand il mourut, à Paris, le 2 avril 1791.

Les OEuvres de Mirabeau ont été publiées par Mérilhou, Paris, Brissot-Thivar, 1825-1827, 9 vol. in-8.

Les Mémoires biographiques, rédigés par Lucas de Montigny, ont paru à Paris, 1832-1835, 8 vol. in-8

Consulter M. de Loménie, les Mirabeau, études sur la société française au XVIIIe siècle, 1870, 2 vol. in-8, et Vermorel, Mirabeau, sa vie, ses opinions, ses discours, 1864, 5 vol, in-32 (Bibliothèque Nationale).

PÉRORAISON DU DISCOURS CONTRE LA BANQUEROUTE

Deux siècles de déprédations et de brigandages ont creusé le gouffre où le royaume est près de s'engloutir. Il faut le combler, ce gouffre effroyable! eh bien! voici la liste des propriétaires français. Choisissez parmi les plus riches, afin de sacrifier moins de citoyens; mais choisissez; car ne faut-il pas qu'un petit nombre périsse pour sauver la masse du peuple? Allons, ces deux mille notables possèdent de quoi combler le déficit. Ramenez l'ordre dans vos finances, la paix et la prospérité dans le royaume.... Frappez, immolez sans pitié ces tristes victimes! précipitez-les dans l'abîme! il va se refermer.... vous reculez d'horreur.... Hommes inconséquents! hommes pusillanimes! Eh! ne voyez-vous donc pa

qu'en décrétant la banqueroute, ou, ce qui est plus odieux encore en la rendant inévitable sans la décréter, vous vous souillez d'un acte mille fois plus criminel, et, chose inconcevable, gratuitement criminel, car enfin cet horrible sacrifice ferait du moins disparaître le déficit. Mais croyez-vous, parce que vous n'avez pas payé, que vous ne devrez plus rien? Croyez-vous que les milliers, les millions d'hommes qui perdront en un instant, par l'explosion terrible ou par ses contre-coups, tout ce qui faisait la consolation de leur vie, et peut-être leur unique moyen de la substanter, vous laisseront paisiblement jouir de votre crime?

Contemplateurs stoïques des maux incalculables que cette catastrophe vomira sur la France, impassibles égoïstes qui pensez que ces convulsions du désespoir et de la misère passeront comme tant d'autres, et d'autant plus rapidement qu'elles seront plus violentes, êtes-vous bien sûrs que tant d'hommes sans pain vous laisseront tranquillement savourer les mets dont vous n'aurez voulu diminuer ni le nombre ni la délicatesse?... Non, vous périrez, et dans la conflagration universelle que vous ne frémissez pas d'allumer, la perte de votre honneur ne sauvera pas une seule de vos détestables jouis

sances.

Voilà où nous marchons... J'entends parler de patriotisme, d'élans de patriotisme, d'évocation de patriotisme. Ah! ne prostituez pas ces mots de patrie et de patriotisme. Il est donc bien magnanime l'effort de donner une portion de son revenu pour sauver tout ce qu'on possède! Eh! messieurs, ce n'est là que de la simple arithmétique, et celui qui hésitera ne peut désarmer l'indignation que par le mépris que doit inspirer sa stupidité. Oui, messieurs, c'est la prudence la plus ordinaire, la sagesse la plus triviale, c'est votre intérêt le plus grossier que j'invoque. Je ne vous dis plus, comm autrefois donnerez-vous les premiers aux nations le spectacle d'un peuple assemblé pour manquer à la foi publique? Je ne vous dis plus eh! quels titres avez-vous à la liberté, quels moyens vous resteront pour la maintenir si, dès votre premier pas, vous surpassez les turpitudes des gouvernements les plus corrompus, si le besoin de votre concours et de votre surveillance n'est pas le garant de votre Constitution? Je vous dis Vous serez tous entraînés dans la ruine universelle, et les premiers intéressés au sacrifice que le gouvernement vous demande, c'est vous-mêmes.

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Votez donc ce subside extraordinaire, et puisse-t-il être suffisant! Votez-le, parce que, si vous avez des doutes sur les moyens (doutes vagues et non éclairés), vous n'en avez pas sur sa nécessité et sur notre impuissance à le remplacer, immédiatement du moins. Votezle, parce que les circonstances publiques ne souffrent aucun retard et que nous serions comptables de tout délai. Gardez-vous de demander du temps; le malheur n'en accorde jamais.... Ah! messieurs, à propos d'une ridicule motion du Palais-Royal, d'une risible insurrection qui n'eut jamais d'importance que dans les imaginations faibles ou les desseins pervers de quelques hommes de mauvaise

foi, vous avez entendu naguère ces mots forcenés: Catilina est aux portes de Rome et l'on délibère! Et certes, il n'y avait autour de nous ni Catilina, ni périls, ni factions, ni Rome.... Mais aujourd'hui la banqueroute, la hideuse banqueroute est là; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur, et vous délibérez!....

ANDRÉ CHÉNIER

André Chénier, né à Constantinople le 29 octobre 1762, était l'aîné des deux fils du consul général de France dans cette ville. Leur mère, jeune Grecque pleine d'esprit et de beauté, se chargea de leur première éducation et leur inspira l'amour de l'art et de la simplicité antiques. MarieJoseph, entraîné dans le tourbillon de la littérature contemporaine par un amour prématuré de la gloire, perdit bientôt cette originalité native. Il fit comme tout le monde, mais avec plus de talent que la plupart, des tragédies classiques, pleines d'allusions philosophiques et de tirades à effet. André, fidèle au culte de la Grèce, s'efforça d'introduire le génie antique, le génie grec, dans la poésie française, avec moins d'exclusion, avec moins de dédaigneuse réserve que les grands poètes du dix-septième siècle. Racine avait moissonné les plus hauts et les plus riches épis: André voulait glaner modestement au fond des sillons négligés, sûr d'y trouver mille choses naïves et charmantes. Il voulait trouver par étude et par système ce que La Fontaine avait parfois deviné par l'heureux instinct de sa nature: il essayait en vers ce que P.-L. Courier tenta plus tard pour la prose. André n'est pas du tout de son siècle : il est à la fois plus ancien et plus moderne : c'est un païen fervent, un adorateur de Palès et des Muses. La plus belle de ses odes, celle qu'il composa à la Conciergerie, dans l'attente de l'appel fatal qui devait l'envoyer à l'échafaud, la Jeune Captive, ne contient pas une pensée qu'Horace ou Tibulle n'eussent pu produire. L'amour qu'il conçoit n'est autre chose que l'amour antique et païen.

Ce point de vue toutefois, et surtout ce style, étaient un

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