Page images
PDF
EPUB

que, dans la maison où s'attache son cœur, il importe qu'il gagne la faveur de tout le monde, et-] Pour n'avoir personne à sa flamme contraire Jusqu'au chien du logis qu'il s'efforce de plaire.

[Comme Bélise, la tante d'Henriette arrive, il se propose de lui déclarer le mystère de son cœur et de gagner sa faveur.

Cette vieille folle, aussi coquette que ridicule, l'interrompt comme si c'était à elle que s'adresse l'amour de Clitandre; en vain il lui jure que c'est pour Henriette qu'il brûle, elle prétend devoir entendre autre chose sous ce nom, et le laisse pestant contre les visions de la folle vieille fille.]

ACTE SECOND.

[Ariste quittant Clitandre lui promet d'appuyer sa demande et de lui porter la réponse au plus tôt.

Son frère Chrysale arrivant, il commence à lui parler de Clitandre que Chrysale tient pour homme d'honneur. Il connut d'ailleurs son père, fort bon gentilhomme, en compagnie de qui il eut mainte aventure galante à Rome, alors qu'ils n'avaient que vingt-huit ans.]

Ariste. Clitandre vous demande Henriette pour

femme.

Ariste pense

[Chrysale y consent de bon cœur. qu'ils devraient aller parler à la femme de son frère pour la rendre favorable à ce projet. Chrysale se fait fort d'obtenir son consentement.

Cependant Martine, la cuisinière, vient annoncer à Chrysale qu'on lui donne son congé! Comme il est content d'elle, il lui dit de demeurer; mais sa femme Philaminte apercevant Martine,]

Quoi! je vous vois, maraude;

Vite sortez, friponne, allons, quittez ces lieux,

Et ne vous présentez jamais devant mes yeux, [Et quoi qu'il veuille, quoi qu'il fasse, Chrysale est obligé de dire: Ainsi soit-il! Mais au moins veutil savoir quel crime impardonnable elle a commis pour quoi on la chasse.

A-t-elle été négligente, infidèle, voleuse?

Ah, c'est bien pis que tout cela; elle a manqué de parler Vaugelas.

Le péché semble petit à Chrysale, mais n'importe; il faut que Martine se retire. Quand elle est partie, Chrysale prétend ne pas voir ce qu'il y a de commun entre Vaugelas et la cuisine.]

Je vis de bonne soupe et non de beau langage, Vaugelas n'apprend point à bien faire un potage, Et Malherbe et Balzac, si savants en beaux mots, En cuisine peut-être auraient été des sots.

[Ce langage blesse les oreilles de sa femme et de sa sœur. Chrysale s'échauffe, et, n'osant s'attaquer directement à la première, il donne de la manière suivante cours à sa colère:]

C'est à vous que je parle, ma sœur. Le moindre solécisme en parlant vous irrite; Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite. Vos livres éternels ne me contentent pas; Et, hors un gros Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout ce meuble inutile, Et laisser la science aux docteurs de la ville, M'ôter, pour faire bien, du grenier de céans Cette longue lunette à faire peur aux gens, Et cent brimborions dont l'aspect importune, Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune, Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous, Où nous voyons aller tout sens dessus dessous. Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de

causes,

Qu'une femme étudie et sache tant de choses. Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants, Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens,

Et régler la dépense avec économie
Doit être son étude et sa philosophie.

Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse

A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausse
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien..
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil, et des aiguilles
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.
Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs.
Elles veulent écrire, et devenir auteurs.

Nulle science n'est pour elles trop profonde,

Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde;
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,
Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir;
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne et Mars, dont je n'ai point affaire,
Et dans ce vain savoir qu'on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot, dont j'ai besoin.
Mes gens à la science aspirent pour vous plaire;
Et tous ne font rien moins que ce qu'ils ont à faire.
Raisonner est l'emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison.

L'un me brûle mon rôt, en lisant quelque histoire;
L'autre rêve à des vers quand je demande à boire;
Enfin je vois par eux votre exemple suivi,
Et j'ai des serviteurs et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m'était restée,
Qui de ce mauvais air n'etait pas infectée,
Et voilà qu'on la chasse avec un grand fracas,
A cause qu'elle manque à parler Vaugelas !*
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse.

[Celle-ci s'en va après lui avoir fait honte de pareils sentiments et d'un tel langage.

*Parler Vaugelas. D'après les règles du grammairien Vaugelas.

Seul avec sa femme, il aborde la question du mariage. Mais, avant qu'il ait eu le temps de nommer le prétendant qu'il s'est chargé de faire agréer, Philaminte lui dit qu'elle a déjà fait choix du futur mari de Henriette.]

La contestation est ici superflue,

Et de tout point chez moi l'affaire est résolue.

[Devant cette attitude déterminée de sa femme il n'ose pas insister, et quand Ariste, impatient, vient demander le résultat de l'entretien il n'a pas grand'chose à dire. Ariste se moque de lui, lui reproche sa faiblesse, l'exhorte à être homme une fois et à ne pas laisser immoler sa fille aux folles visions qui tiennent sa famille.

Chrysale le lui promet: il montrera enfin un cœur plus fort, il parlera et sera le maître.]

C'est souffrir trop longtemps, Et je m'en vais être homme à la barbe des gens.

ACTE TROISIÈME.

[Philaminte, Armande et Bélise, docte comité, sont réunies pour entendre M. Trissotin lire des vers de sa composition.

Elles préludent à la lecture par le plus joli galimatias de fades compliments qui se puisse imaginer. Henriette voudrait se retirer. Elle (Henriette)] Sait peu les beautés de tout ce qu'on écrit, Et ce n'est pas son fait que les choses d'esprit.

[La mère insiste pour qu'elle reste.]

Philaminte. Aussi bien ai-je à vous dire ensuite Un secret dont il faut que vous soyez instruite. Trissotin. Les sciences n'ont rien qui vous puisse enflammer,

Et vous ne vous piquez que de savoir charmer, Henriette. Aussi peu l'un que l'autre, et je n'ai nulle envie.

Bélis. Ah! songeons à l'enfant nouveau-né je vous prie.

Philaminie. Servez-nous promptement votre aima

ble repas.

Trissotin. Pour cette grande faim qu'à mes yeux

on expose

Un plat seul de huit vers me semble peu de chose;
Et je pense qu'ici je ne ferai pas mal

De joindre à l'épigramme, ou bien au madrigal,
Le ragoût d'un sonnet qui, chez une princesse,
A passé pour avoir quelque délicatesse ;

Il est de sel attique assaisonné partout,

Et vous le trouverez, je crois, d'assez bon goût.
Armande. Ah! je n'en doute point.
Philaminte.

Donnons vite audience : Bélise (interrompant Trissotin chaque fois qu'il se dispose à lire). Je sens d'aise mon cœur tressaillir par avance.

J'aime la poésie avec entêtement,

Et surtout quand les vers sont tournés galamment. Philaminte. Si nous parlons toujours il ne pourra

rien dire.

Trissotin. Soit

Bélise à Henriette. Silence, ma nièce.

Armande.

Ah! laissez le donc lire.

Trissotin. Sonnet à la princesse Uranie sur la

fièvre.

Votre prudence est endormie
De traiter magnifiquement
Et de loger superbement
Votre plus cruelle ennemie.

Bélise. Ah! le joli début.
Armande.

Qu'il a le tour galant!

Philaminte. Lui seul des vers aisés possède le

talent.

Armande. A prudence endormie il faut rendre les

armes.

« PreviousContinue »