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et leçons morales; il n'y voit qu'un sujet de tableaux, et tout ce qu'il cherche c'est de les peindre avec éclat. Aussi réussit-il surtout dans le récit, dans les descriptions: il n'y en a pas de plus belles que ses descriptions de batailles.

Son héros favori est le Prince Noir. L'Angleterre s'en souvient: nul écrivain français n'y est plus populaire.

Comme chroniqueur il est clair, méthodique, suffisamment impartial; comme écrivain il est net, animé et brillant. Le Moyen Age chevaleresque n'a pas eu de meilleur peintre que lui, et jamais peut-être la langue n'a fait plus de progrès que de Joinville à Froissart.

La chronique de Froissart est le livre d'or de la noblesse féodale: c'est une illustration en grand de la chevalerie. Ce que celle-ci produisit de plus fameux, ce qu'il y avait de plus brillant dans la vie d'alors, fêtes, tournois, batailles, Froissart l'a peint dans un cadre magnifique. Il ne s'est guère occupé de ce qui ne brille pas. . . . Il n'est pas de ces historiens graves qui s'ensevelissent sous des paperasses, au fond d'un cabinet, qui recherchent, et compulsent, et commentent, et comparent, et discutent, et raisonnent, et expliquent. . . . Son grand soin est de bien relater ce qu'il a appris, d'écrire avec verve et coloris, de faire un livre intéressant, animé, populaire, et cela il l'a fait.

On lui a reproché d'avoir été peu patriotique. Cela est vrai si l'on mesure la patrie par degrés de latitude, si on la resserre dans les étroites bornes d'une géographie nationale. Mais il ne comptait pas ainsi, le grand voyageur. Sa patrie à lui c'est l'Europe chevaleresque. Il est compatriote de tout ce qui est noble et brave, il aime toute fleur de

chevalerie et a de belles paroles pour tous ceux qui font vaillamment.

Froissart a des qualités de l'historien; il arrive à la grandeur par l'exactitude, et aussi par l'imagination, mais presque jamais par le jugement, par cette faculté qui compare les faits et prononce sur leur légitimité, faculté que possédait à un degré assez éminent le florentin Villani contemporain de notre chroniqueur. DUQUESNEL.

V.

PHILIPPE DE COMINES.

Né près de Menin en Flandre en 1445, mort en 1509. Philippe de Comines est le premier écrivain français qui ait traité l'histoire comme elle doit être traitée. Il ne se contente pas de raconter, de peindre, il explique; il dégage de l'étude des évènements et des caractères des vérités utiles, un enseignement.

Il a écrit L'HISTOIRE DU ROI LOUIS XI.

C'était un roi d'une grande finesse politique, habile et rusé. Un de ses bons tours d'habileté fut l'acquisition même de Comines. Il l'enleva à son ennemi le duc de Bourgogne, Charles le Témeraire. Comines se laissa enlever sans croire qu'il manquait à ses devoirs. Il avait peu de goût pour le duc de Bourgogne; le roi de France lui plaisait mieux. Il était de ces hommes qui apprécient les choses en raison de leur utilité et les hommes en proportion de leur habileté à profiter des choses. Sa nature était droite, sa morale peu élevée.

Son histoire se compose de deux parties. Les six premiers livres traitent de Louis XI, les deux

derniers de l'expédition de Charles VIII en Italie. Son style a de la vigueur et de la précision. Il a la force de la réflexion, la puissance de la logique. La langue de Froissart est la langue des faits. Comines a parlé la langue des idées: c'est celle-ci surtout qu'il y a du profit à écouter.

Philippe de Comines est, en date, le premier écrivain vraiment moderne. Les lecteurs même qui ne voudraient pas remonter bien haut, ni se jeter dans la curiosité érudite, ceux qui ne voudraient se composer qu'une petite bibliothèque française toute moderne ne sauraient se dispenser d'y admettre Montaigne et Comines.

Ce sont des hommes qui ont nos idées et qui les ont dans la mesure et dans le sens où il nous serait bon de les avoir, qui entendent le monde, la société, particulièrement l'art d'y vivre et de s'y conduire, comme nous serions trop heureux de l'entendre aujourd'hui; des têtes saines, judicieuses, munies d'un sens fin et sûr, riches d'une expérience moins amère que profitable, et consolante, et comme savoureuse. Ce sont des conseillers et des causeurs bons à écouter après trois ou quatre siècles comme au premier jour: Montaigne sur tous les sujets et à toutes les heures, Comines sur les affaires d'Etat, sur le ressort et le secret des grandes choses, sur ce qu'on nommerait dès lors les intérêts politiques modernes, sur tant de mobiles qui menaient les hommes de son temps et qui n'ont pas cessé de mener ceux du nôtre. SAINTE-BEUVE.

Pour le sentiment du bon et du mal Comines n'est pas au-dessus de son siècle. Ses idées sur les droits des peuples sont également celles de ses contemporains. Mais pour l'intelligence des évènements et des caractères, pour ce mélange de bon sens et de finesse qui démêle si bien la vérité, il est incomparable, c'est là son génie. "Il a autorité et

gravité, comme dit Montaigne, et sent partout son homme de bon lieu, élevé aux grandes affaires." VILLEMAIN.

VII.
POÉSIE.

1. Si c'est en prose qu'ont été écrites les œuvres françaises les plus remarquables du Moyen Age, la poésie n'a pas manqué. Il y eut des poètes dans tous les genres et quelques uns de leurs poëmes ont été très populaires.

De ce nombre sont: les poëmes épiques nationaux, Chansons de geste, dont le plus célèbre est la Chanson de Roland, les poëmes de la Table Ronde, les poëmes du Saint-Graal, le roman de la Rose (poëme allégorique), et le roman du Renard (poëme satirique). Il y eut ensuite des poëmes d'un ordre moins élevé, mais de plus d'intérêt et de charme: ce sont les fabliaux et les contes.

On appelle ainsi des histoires gaies ou mélancoliques, composées sur un rhythme familier et ayant pour sujet les accidents de la vie commune. On y trouve la peinture des mœurs réelles, et les qualités distinctives de l'esprit français, la finesse, la grâce, le don de railler et l'art de conter. Ce qui gâte la plupart de ces poëmes c'est une excessive liberté de langage. Un de ceux qui échappent à ce reproche et un des plus connus est le joli conte de Grisélidis.

2. La poésie dramatique était à l'origine d'un caractère religieux. Les pièces tirées de la légende des saints s'appelaient miracles; celles qu'on tirait

de l'Evangile étaient les mystères. Le plus grand des mystères fut celui de la Passion.

A côté de ce drame grave et édifiant il y eut des pièces légères et amusantes. On les appelait moralités, sotties et farces. Une des plus populaires est la farce de l'avocat Patelin. Arrangée au 18o siècle pour la scène moderne par Bruéis et Palaprat, elle est encore aujourd'hui un modèle d'esprit et de franche gaieté.

3. La poésie lyrique fut d'abord cultivée avec succès par les troubadours, poëtes du midi. Les Français du nord moins vifs, moins expansifs, ne s'y exercèrent qu'après eux. Ils y déployèrent moins de grâce, moins de sensibilité et de coquetterie, mais plus de force et d'esprit.

Les principaux poëtes qui se distinguèrent dans ce genre sont: LE COMTE THIBAUT DE CHAMPAGNE, contemporain de Louis IX; Charles d'ORLÉANS, fait prisonnier à la bataille d'Azincourt et moins illustre comme poëte que comme père du bon roi Louis XII; VILLON, qui avait en lui l'étoffe d'un vrai poëte, mais qui gâta son talent au contact de la misère et du vice. Une de ses ballades est fort connue et fort jolie: Les Dames du temps jadis. En voici deux stances:

Dictes-moy où, n'en quel pays

Est Flora, la belle Romaine;

Archipiada, ne Thaïs,

Qui fut sa cousine germaine;

Echo, parlant, quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan,

Qui beauté eut trop plus qu'humaine? . .
Mais où sont les neiges d'antan* ?

* D'antan, de l'année dernière, du latin ante, annus.

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