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c'est une consolation bien misérable, puisqu'elle va non pas à guérir le mal, mais à le cacher simplement pour un peu de temps, et qu'en le cachant elle fait qu'on ne pense pas à le guérir véritable

ment.

Ainsi par un étrange renversement de la nature de l'homme, il se trouve que l'ennui, qui est son mal le plus sensible, est en quelque sorte son plus grand bien, parce qu'il peut contribuer plus que toutes choses à lui faire chercher sa véritable guérison; et que le divertissement, qu'il regarde comme son plus grand bien, est en effet son plus grand mal, parce qu'il l'éloigne plus que toutes choses de chercher le remède à ses maux; et l'un et l'autre sont une preuve admirable de la misère et de la corruption de l'homme, et en même temps de sa grandeur, puisque l'homme ne s'ennuie de tout et ne cherche cette multitude d'occupations, que parce qu'il a l'idée du bonheur qu'il a perdu, lequel ne trouvant point en soi, il le cherche inutilement dans les choses extérieures, sans pouvoir jamais se contenter, parce qu'il n'est ni dans nous, ni dans les créatures, mais en Dieu seul.

PENSÉES DIVERSES.

I.

On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de meilleure maison.

II.

D'où vient qu'un boîteux ne nous irrite pas, et qu'un esprit boîteux nous irrite? C'est à cause qu'un boiteux reconnait que nous allons droit, et qu'un esprit boîteux dit que c'est nous qui boîtons:

sans cela nous en aurions plus de pitié que de colère.

III.

Pourquoi me tuez-vouz? Eh quoi, ne demeurezvous pas de l'autre côté de l'eau? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais, puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste.

IV.

Je n'admire point un homme qui possède une vertu dans toute sa perfection, s'il ne possède en même temps dans un pareil degré la vertu opposée, tel qu'était Epaminondas qui avait l'extrême valeur jointe à l'extrême bénignité. On ne montre pas sa grandeur pour être en une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois, et remplissant tout l'entre deux.

...

V.

La vertu d'un homme ne doit pas se mesurer par ses efforts, mais par ce qu'il fait d'ordinaire.

VI.

Les grands et les petits ont mêmes accidents, mêmes fâcheries, et mêmes passions, mais les uns sont au haut de la roue, et les autres près du centre, et ainsi moins agités par les mêmes mouvements.

VII.

Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants; c'est là ma place au soleil; voilà le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre.

VIII.

Voulez-vous qu'on dise du bien de vous? N'en dites point.

IX.

L'homme n'est ni ange, ni bête; et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.

X.

Se moquer de la philosophie, c'est vraiment philosopher.

XI.

Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l'on veut aller.

XII.

Le dessein de Dieu est plus de perfectionner la volonté que l'esprit. Or la clarté parfaite ne servirait qu'à l'esprit, et nuirait à la volonté. S'il n'y avait point d'obscurité, l'homme ne sentirait pas sa corruption; s'il n'y avait pas de lumière, l'homme n'espérerait point de remède. Ainsi il est non seulement juste mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie et découvert en partie, puisqu'il est également dangereux à l'homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu.

XIII.

Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger.

XIV.

L'homme est visiblement fait pour penser, c'est toute sa dignité et tout son mérite. Tout son

devoir est de penser comme il faut, et l'ordre de la pensée est de commencer par soi, par son auteur et sa fin.

Cependant à quoi pense-t-on dans le monde? Jamais à cela, mais à se divertir, à devenir riche, à acquérir de la réputation, à se faire roi, sans penser à ce que c'est que d'être roi et d'être homme.

XV.

Le dernier acte est toujours sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

MOLIÈRE.

Né à Paris en 1622, mort en 1673.

Corneille avait renouvelé la scène tragique. La scène comique, à laquelle il avait donné le Menteur, attendait le génie qui continuât et accomplît les réformes indiquées. Ce génie se rencontra dans un homme à jamais célèbre sous le nom de Molière. Molière n'était pas son vrai nom. Il le prit quand il se fit acteur, cette profession dans les préjugés de l'époque n'étant pas considérée comme honora. ble. Son nom de famille était Jean Baptiste Poquelin. Son père était valet de chambre tapissier du roi. Il aurait bien voulu que son fils lui succédât dans cette charge. Mais celui-ci avait une autre vocation. Son goût et son talent l'appelaient au théâtre. Il y alla, et conquit la première place parmi les auteurs comiques du monde.

La première comédie qui l'éleva incontestablement au dessus de tous ses émules est la comédie des PRÉCIEUSES RIDICULES. Elle fut suivie de toute une série de chefs-d'œuvre en prose et en vers. Les plus remarquables en prose sont: L'AVARE, le BOURGEOIS Gentilhomme, le MALADE IMAGINAIRE; en vers, le MISANTHROPE, TARTUFE et les FEMMES SAVANTES.

En passant en revue les mœurs, les modes, les

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