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mis, Zénobie, la dernière main, quelqu'un de ces pâtres qui habitent les sables voisins de Palmyre, devenu riche par les péages de vos rivières, achètera un jour à deniers comptants cette royale maison, pour l'embellir et la rendre plus digne de lui et de sa fortune..

...

DE LA COUR.

La cour ne rend pas content; elle empêche qu'on ne le soit ailleurs.

La cour est comme un édifice bâti de marbre; je veux dire qu'elle est composée d'hommes fort durs, mais fort polis.

Je crois pouvoir dire d'un poste éminent et déiicat, qu'on y monte plus aisément qu'on ne s'y

conserve.

L'on voit des hommes tomber d'une haute fortune par les mêmes défauts qui les y avaient fait

monter.

L'on dit à la cour du bien de quelqu'un pour deux raisons: la première, afin qu'il apprenne que nous disons du bien de lui; la seconde, afin qu'il en dise de nous.

Vous êtes homme de bien, vous ne songez ni à plaire ni à déplaire aux favoris, uniquement attaché à votre maître et à votre devoir: vous êtes perdu.

C'est rusticité que de donner de mauvaise grâce: le plus fort et le plus pénible est de donner; que coûte-t-il d'y ajouter un sourire.

Dans cent ans le monde subsistera encore en son entier: ce sera le même théâtre et les mêmes décorations; ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grâce reçue, ou ce qui s'attriste et se désespère sur un refus, tout aura disparu de dessus la scène. Il s'avance déjà sur le théâtre d'autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les mêmes rôles; ils s'évanouiront à leur tour; et ceux qui ne sont pas encore, un jour

ne seront plus; de nouveaux acteurs ont pris leur place: quel fond à faire sur un personnage de comédie.

Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite.

DU SOUVERAIN OU DE LA RÉpublique.

La guerre a pour elle l'antiquité; elle a été dans tous les siècles: on l'a toujours vue remplir le monde de veuves et d'orphelins, épuiser les familles d'héritiers, et faire périr les frères à une même bataille. Jeune Soyecour,* je regrette ta vertu, ta pudeur, ton esprit déjà mûr, pénétrant, élevé, sociable; je plains cette mort prématurée, qui te joint à ton intrépide frère, et t'enlève à une cour où tu n'as fait que te montrer: malheur déplorable, mais ordinaire! De tout temps les hommes, pour quelque morceau de terre de plus ou de moins, sont convenus entre eux de se dépouiller, se brûler, se tuer, s'égorger les uns les autres; et, pour le faire plus ingénieusement, et avec plus de sûreté, ils ont inventé de belles règles qu'on appelle l'art militaire: ils ont attaché à la pratique de ces règles la gloire, ou la plus solide réputation; et ils ont depuis enchéri de siècle en siècle sur la manière de se détruire réciproquement. De l'injustice des premiers hommes, comme de son unique source, est venue la guerre, ainsi que la nécessité où ils se sont trouvés de se donner des maîtres qui fixassent leurs droits et leurs prétentions. Si content du sien, on eût pu s'abstenir du bien de ses voisins, on avait pour toujours la paix et la liberté. . . .

* Le chevalier de Soyecour, dont le frère avait été tué à la bataille de Fleurus. 1690, et qui mourut trois jours après lui des blessures qu'il avait reçues à cette même bataille.

DE L'HOMME.

Il n'y a rien que les hommes aiment mieux à conserver, et qu'ils ménagent moins, que leur propre vie.

La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie: il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir.

L'on craint la vieillesse, qu'on n'est pas sûr de pouvoir atteindre.

Une longue maladie semble être placée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui

restent.

Il n'y a pour l'homme que trois évènements, naître, vivre, et mourir: il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre.

Un homme vain trouve son compte à dire du bien ou du mal de soi: un homme modeste ne parle point de soi. . . .

Une grande âme est au-dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie; et elle serait invulnérable, si elle ne souffrait par la compassion.

Un homme haut et robuste, qui a une poitrine large et de larges épaules, porte légèrement et de bonne grâce un lourd fardeau: il lui reste encore un bras de libre; un nain serait écrasé de la moitié de sa charge: ainsi les postes éminents rendent les grands hommes encore plus grands, et les petits beaucoup plus petits.

La plupart des hommes emploient la première partie de leur vie à rendre l'autre misérable. . . . Il n'y a pour l'homme qu'un vrai malheur, qui est de se trouver en faute, et d'avoir quelque chose à se reprocher.

DES JUGEMENTS.

Ceux qui, sans nous connaître assez, pensent mal de nous, ne nous font pas de tort: ce n'est pas nous qu'ils attaquent, c'est le fantôme de leur imagination.

Rien ne nous venge mieux des mauvais jugements que les hommes font de notre esprit, de nos mœurs et de nos manières, que l'indignité et le mauvais caractère de ceux qu'ils approuvent.

Une circonstance essentielle à la justice que l'on doit aux autres, c'est de la faire promptement et sans différer: la faire attendre, c'est injustice.

Ceux qui emploient mal leur temps sont les premiers à se plaindre de sa brièveté. Comme ils le consument à s'habiller, à manger, à dormir, à de sots discours, à se résoudre sur ce qu'ils doivent faire, et souvent à ne rien faire, ils en manquent pour leurs affaires ou pour leurs plaisirs: ceux au contraire qui en font un meilleur usage en ont de reste.

Il y a des créatures de Dieu, qu'on appelle des hommes qui ont une âme qui est esprit, dont toute la vie est occupée et toute l'attention est réunie à scier du marbre: cela est bien simple, c'est bien peu de chose. Il y en a d'autres qui s'en étonnent, mais qui sont entièrement inutiles, et qui passent le jour à ne rien faire: c'est encore moins que de scier du marbre.

DE LA MODE.

La vertu a cela d'heureux qu'elle se suffit à ellemême, et qu'elle sait se passer d'admirateurs, de partisans et de protecteurs: le manque d'appui et d'approbation non seulement ne lui nuit pas, mais il la conserve, l'épure, et la rend parfaite: qu'elle soit à la mode, qu'elle n'y soit plus, elle demeure

vertu.

DE QUELQUES USAGES.

Si la noblesse est vertu, elle se perd par tout ce qui n'est pas vertueux; et si elle n'est pas vertu, c'est peu de chose.

DES ESPRITS FORTS.

Les esprits forts savent-ils qu'on les appelle ainsi par ironie? Quelle plus grande faiblesse que d'être incertain quel est le principe de son être, de sa vie, de ses sens, de ses connaissances, et quelle en doit être la fin? Quel découragement plus grand que de douter si son âme n'est point matière comme la pierre et le reptile, et si elle n'est point corruptible comme ces viles créatures? N'y a-t-il pas plus de force et de grandeur à recevoir dans notre esprit l'idée d'un être supérieur à tous les êtres, qui les a tous faits, et à qui tous se doivent rapporter, d'un être souverainement parfait, qui est pur, qui n'a point commencé et qui ne peut finir, dont notre âme est l'image, et, si j'ose dire, une portion comme esprit et comme immortelle.

...

Je sens qu'il y a un Dieu, et je ne sens pas qu'il n'y en ait point; cela me suffit, tout le raisonnement au monde m'est inutile; je conclus que Dieu existe. Cette conclusion est dans ma nature; j'en ai reçu les principes trop aisément, dans mon enfance, et je les ai conservés depuis trop naturellement dans un âge plus avancé, pour les soupçonner de fausseté: mais il y a des esprits qui se défont de ces principes; c'est une grande question s'il s'en trouve de tels; et quand il serait ainsi, cela prouve seulement qu'il y a des monstres.

Il y a deux mondes: l'un où l'on séjourne peu, et dont l'on doit sortir pour n'y plus rentrer; l'autre où l'on doit bientôt entrer pour n'en jamais sortir. La faveur, l'autorité, les amis, la haute réputation,

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