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distinction, en gentilhomme modèle. Il l'était de naissance aussi bien que d'éducation.

Son nom, ses travaux et son mérite le désignèrent au duc de Beauvilliers* comme précepteur du dauphin, petit-fils de Louis XIV. Il fit son éducation comme Bossuet avait fait celle du fils même de Louis XIV, mais avec plus de succès. Il avait éminemment les qualités d'un maître.

Le roi, qui l'aimait peu, mais qui appréciait ses services et son mérite, le récompensa en l'élevant à la dignité d'archevêque de Cambrai.

Fénelon était naturellement porté à une dévotion vive et spirituelle. Il se laissa gagner aux opinions d'une dame pieuse et exaltée, Mme. Guyon. Celleci, écrivant et dogmatisant sur la grâce et le pur amour, réussit à se faire arrêter, interroger et condamner. Bossuet demanda que l'archevêque de Cambrai condamnât lui-même les erreurs d'une femme dont il était l'ami. Fénelon s'y refusa; ses sentiments et son amour-propre furent piqués, et il publia le livre des Maximes des Saints. Ce livre contenait des principes de mysticisme que Bossuet trouvait dangereux. Il les dénonça d'abord à Louis XIV, ensuite au pape, et, à force d'insistance, finit par en obtenir la censure, à laquelle Fénelon se soumit d'aussi bonne grâce que possible.

Peu de temps après un autre incident eut lieu, qui provoqua d'une manière plus grave le mécontentement du roi.

* Le duc de Beauvilliers, gouverneur du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV.

Le livre le plus connu de Fénelon, le TÉLÉMAQUE, espèce d'épopée en prose, destinée à enseigner sous une forme attrayante la science du gouvernment à son royal élève, existait en manuscrit. Fénelon n'avait pas jugé opportun de le faire imprimer, losque tout-à-coup, par l'infidélité d'un copiste, ce livre parut. On voulut y voir des allusions injurieuses au règne de Louis XIV, qui s'en fâcha, et interdit à l'auteur de reparaître à la cour.

Le coup fut pénible. Fénelon alla se fixer dans son diocèse, et se donna tout entier aux devoirs de son ministère. L'affection dont il devint l'objet le consola de sa disgrâce. La renommée s'en répandit au loin, et tel en était le prestige qu'à l'époque de l'invasion de la Flandre les généraux ennemis ne ravagèrent pas le diocèse de Cambrai par respect pour l'illustre prélat.

La douleur qui dut le plus éprouver sa grande âme, ce fut de voir mourir, à la fleur de l'âge, le prince qu'il avait préparé avec tant de soin à honorer le trône de St. Louis.

Ses principaux ouvrages, outre ceux qui ont déjà été cités sont le TRAITÉ SUR L'ÉDUCATION DES FILLES, les DIALOGUES DES MORTS, les DIALOGUES SUR L'ÉLOQUENCE, les DIRECTIONS POUR LA CONSCIENCE d'un ROI, le TRAITÉ SUR L'EXISTENCE DE DIEU, La Lettre SUR LES OCCUPATIONS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Voici le portrait de Fénelon par un de ses contemporains :

"Doué d'une assez haute taille, il était bien fait, maigre et pâle; il avait le nez grand et bien tiré. Le feu et l'esprit sortaient de ses yeux comme

un torrent. Sa physionomie était telle qu'on n'en voyait point qui lui ressemblât. Aussi ne pouvaiton l'oublier dès qu'une fois on l'avait vue. Ses manières répondaient à sa physionomie. C'était une aisance qui en donnait aux autres, un air de bon goût dont il était redevable à l'usage du grand monde et de la meilleure compagnie, et qui se répandait comme de soi-même dans toutes ses conversations, et cela avec une éloquence naturelle, douce, fleurie, une politesse insinuante, mais noble et proportionnée; une élocution facile, nette, agréable; un ton de clarté et de précision pour se faire entendre même en traitant les matières les plus abstraites et les plus embarrassées. Avec cela il ne voulait jamais avoir plus d'esprit que ceux à qui il parlait; il se mettait à portée de chacun sans le faire sentir; il mettait à l'aise, et semblait enchanter de façon qu'on ne pouvait ni le quitter ni s'en défendre, ni ne pas soupirer après le moment de le retrouver."

... Le désir d'obliger était, chez Fénelon, égal à son don de plaire, et il obligeait sans distinction de rang ou de fortune. Un homme pour lui était un homme.

Etant archevêque de Cambrai et en tournée dans son diocèse, il entra une fois dans une chaumière, et trouva la famille affligée par la perte d'une vache unique. Il donna les consolations qu'il put. S'étant remis en route, il trouva sur la lisière d'un bois la bête perdue et la ramena lui-même, malgré la nuit, aux paysans transportés de joie. ...

Au moment, où s'engagea le débat théologique entre lui et Bossuet, son palais de Cambrai, sa bibliothèque, ses papiers furent brûlés. "Il vaut mieux, dit il, que le feu ait pris à ma maison qu'à la chaumière d'un pauvre laboureur."

Un mot pareil atteste dans le cœur d'où il sort une grande puissance de sacrifice et une noblesse de sentiments qu'il est bien difficile d'acquérir.

"J'aime mieux, disait-il aussi, ma famille que moimême; j'aime mieux ma patrie que ma famille, mais j'aime mieux l'humanité que ma patrie."

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Sa lettre sur les occupations de l'Académie, et quelques autres productions de ce genre, le placent au premier rang des critiques. Les bonnes observations, les jugements fins y abondent, ainsi que les traces d'une érudition aussi intelligente que variée. Rarement il se trompe en matière de goût.

Son Traité sur l'éducation des filles contient dans un petit nombre de pages une quantité de choses précieuses, observations, vérités et conseils. Les droits et les devoirs de l'enfant, de la jeune fille et de la femme y sont exposés avec autant de chaleur de sentiment que de pénétration d'esprit. . . . A la maison comme au corps il faut une âme, et l'âme de la maison c'est la femme. C'est d'elle plus encore que de l'homme que dépendent les joies domestiques et les mœurs de la société. Sa bonne éducation est donc de la plus haute importance. . . . Fénelon a rendu aux mères l'inestimable service de leur présenter dans un exposé simple et clair les obligations et les difficultés de leur tâche. . . . Quoique par rapport au droit des femmes il se soit accompli des évolutions que Fénelon n'avait pas prévues, et qu'il n'approuverait peut-être pas, quoique dans certaines parties son livre soit suranné, il n'en reste pas moins un des meilleurs qui ait été écrit sur ce sujet, et au fond il n'a rien perdu de sa valeur, de sa vérité et de son utilité. . .

Le plus populaire des livres de Fénelon est Télémaque. Ille composa pour enseigner d'une manière agréable au duc de Bourgogne quels sont les devoirs des rois, quelles fautes sont les plus fatales, quelles vertus les plus nécessaires dans le gouvernement des hommes. Il prit pour héros un jeune prince d'un caractère assez semblable à celui du

duc de Bourgogne, le plaça sous la garde du sage Mentor, qui n'est qu'un prête-nom pour Fénelon lui-même, et, mêlant délicieusement l'histoire et la fiction, le fit passer à travers une série d'aventures intéressantes, de rencontres avec toute espèce d'hommes, racontées dans une langue élégante et imagée, et destinées à éclairer son esprit et à perfectionner son caractère. C'est un véritable cours de morale politique en action. . . .

En théologie Fénelon se laissait facilement aller à des sentiments exagérés, à des raisonnements subtils, à la poursuite d'une perfection chimérique. Il y avait en lui quelque chose de téméraire, de spéculatif et de décevant. Louis XIV en jugeait ainsi. Un jour qu'il avait eu une conversation avec lui: "Je viens d'entretenir, dit-il, le plus bel esprit et le plus chimérique de mon royaume."

Pourtant, comme directeur spirituel, il ne manque pas plus de bon sens que de piété. Ses conseils sont en général excellents, ses préceptes bons à mettre en pratique.

A un ami il écrit: "Soyons simples, humbles et sincèrement détachés avec les hommes; soyons recueillis, calmes et point raisonneurs avec Dieu.""Soyez sociable, faites honneur à la vertu dans le monde."-"On a besoin d'être sans cesse la faucille en main pour retrancher le superflu des paroles et des occupations." Au duc de Bourgogne: "Pour votre piété si vous voulez lui faire honneur, vous ne sauriez être trop attentif à la rendre douce, simple, commode, sociable." Ailleurs il lui recommande "de chercher au dehors le bien public autant qu'il le pourra, et de retrancher les scrupules sur des choses qui paraissent des minuties."

A tous ces titres à l'estime des honnêtes gens Fénelon en ajoute un antre, celui d'avoir été en politique l'avocat de la justice et d'une sage liberté. Cet homme, qui honora l'église par ses vertus et le pays par ses œuvres, a été celui qui a solennelle

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