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paraissent nous arrivons au règne de la vérité, où nous sommes affranchis de la loi des changements. Ainsi notre âme n'est plus en péril; nos résolutions ne vacillent plus; la mort, ou plutôt la grâce de la persévérance finale, a la force de les fixer; et de même que le testament de JésusChrist par lequel il se donne à nous est confirmé à jamais, suivant le droit des testaments et la doctrine de l'apôtre par la mort de ce divin testateur, ainsi la mort du fidèle fait que ce bienheureux testament, par lequel, de notre côté, nous nous donnons au Sauveur, devient irrévocable. Donc, Messieurs, si je vous fais voir encore une fois Madame aux prises avec la mort, n'appréhendez rien pour elle; quelque cruelle que la mort vous paraisse, elle ne doit servir à cette fois que pour accomplir l'œuvre de la grâce, et sceller en cette princesse le conseil de son éternelle prédestination. Voyons donc ce dernier combat; mais, encore un coup, affermissons-nous, ne mêlons point de faiblesse à une si forte action, et ne déshonorons point par nos larmes une si belle victoire. Voulez-vous voir combien la grâce qui a fait triompher Madame a été puissante? voyez combien la mort a été terrible: Premièrement, elle a plus de prise sur une princesse qui a tant à perdre. Que d'années elle va ravir à cette jeunesse, que de joie elle enlève à cette fortune! que de gloire elle ôte à ce mérite! D'ailleurs peut-elle venir ou plus prompte ou plus cruelle ? C'est ramasser toutes ses forces, c'est unir tout ce qu'elle a de plus redoutable, que de joindre, comme elle fait, aux plus vives douleurs l'attaque la plus imprévue. Mais quoique, sans menacer et sans avertir, elle se fasse sentir tout entière dès le premier coup, elle trouve la princesse prête. La grâce, plus active encore, l'a déjà mise en défense. . . . Comme Dieu ne voulait plus exposer aux illusions du monde les sentiments d'une piété si sincère, il a fait ce que dit le sage, "il s'est hâté." En effet, quelle diligence! en neuf

heures l'ouvrage est accompli, "Il s'est hâté de la tirer du milieu des iniquités." Voilà, dit le grand Saint Ambroise, la merveille de la mort dans les chrétiens, elle ne finit pas leur vie; elle ne finit que leurs péchés, et les périls où ils sont exposés. Nous nous sommes plaints que la mort, ennemie des fruits que nous promettait la princesse, les a ravagés dans la fleur; qu'elle a effacé, pour ainsi dire sous le pinceau même, un tableau qui s'avançait à la perfection avec une incroyable diligence, dont les premiers traits, dont le seul dessin montrait déjà tant de grandeur. Changeons maintenant de langage; ne disons plus que la mort a tout d'un coup arrêté le cours de la plus belle vie du monde et de l'histoire, qui se commençait le plus noblement; disons qu'elle a mis fin aux plus grands périls dont une âme chrétienne puisse être assaillie. [Elle est morte jeune, mais c'est un bonheur quand on meurt dans le Seigneur comme elle.]

Elle a aimé, en mourant, le sauveur Jésus; les bras lui ont manqué plutôt que l'ardeur d'embrasser la croix: j'ai vu sa main défaillante chercher encore, en tombant, de nouvelles forces pour appliquer sur ses lèvres ce bienheureux signe de notre rédemption; n'est-ce-pas mourir entre les bras et dans le baiser du Seigneur? Ah! nous pouvons achever ce saint sacrifice, pour le repos de Madame, avec une pieuse confiance. Ce Jésus en qui elle a espéré, dont elle a porté la croix en son corps par des douleurs si cruelles, lui donnera encore son sang dont elle est déjà toute teinte, toute pénétrée, par la participation à ses sacrements, et par la communion avec ses souffrances.

Mais en priant pour son âme, chrétiens, songeons à nous-mêmes. Qu'attendons-nous pour nous convertir? Et quelle dureté est semblable à la nôtre si un accident si étrange, qui devrait nous pénétrer jusqu'au fond de l'âme, ne fait que nous étourdir pour quelques moments? Attendons-nous que Dieu

ressuscite des morts pour nous instruire? Il n'est point nécessaire que les morts reviennent, ni que quelqu'un sorte du tombeau; ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir. Car, si nous savons nous connaître, nous confesserons, chrétiens, que les vérités de l'éternité sont assez bien établies; nous n'avons rien que de faible à leur opposer; c'est par passion, et non par raison que nous osons les combattre. Si quelque chose les empêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités, c'est que le monde nous occupe, c'est que les sens nous enchantent, c'est que le présent nous entraîne. Faut-il un autre spectacle pour nous détromper et des sens, et du présent, et du monde? La Providence divine pouvait-elle nous mettre en vue, ni de plus près, ni plus fortement, la vanité des choses humaines? et si nos cœurs s'endurcissent après un avertissement si sensible, que lui reste-t-il autre chose, que de nous frapper nous-mêmes sans miséricorde? Prévenons un coup si funeste, et n'attendons pas toujours des miracles de la grâce. Il n'est rien de plus odieux à la souveraine puissance que de la vouloir forcer par des exemples et de lui faire une loi de ses grâces et de ses faveurs. Qu'y a-t-il donc, chrétiens, qui puisse nous empêcher de recevoir, sans différer, ses inspirations? Quoi! le charme de sentir est-il si fort que nous ne puissions rien prévoir? Les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur fortune, quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peut-être à leurs envieux? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour où la mort nous forcera de confesser toutes nos erreurs, pourquoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force? Et quel est notre aveuglement, si, toujours avançant vers notre fin, et plutôt mourants que vivants, nous attendons les derniers

soupirs pour prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devrait inspirer à tous les moments de notre vie? Commencez aujourd'hui à mépriser les faveurs du monde ; et toutes les fois que vous serez dans ces lieux augustes, dans ces superbes palais à qui Madame donnait un éclat que vos yeux recherchent encore; toutes les fois que, regardant cette grande place qu'elle remplissait si bien, vous sentirez qu'elle y manque, songez que cette gloire que vous admiriez faisait son péril en cette vie, et que dans l'autre elle est devenue le sujet d'un examen rigoureux, où rien n'a été capable de la rassurer que cette sincère résignation qu'elle a eue aux ordres de Dieu, et les saintes humiliations de la pénitence.

FÉNELON.

Né au château de Fénelon, dans le Périgord, en 1651; mort en 1715.

Fénelon, comme Bossuet, est une des gloires de l'église en France. C'est aussi, parmi le groupe des grands écrivains du XVIIe siècle, celui dont le caractère a été l'occasion des commentaires les plus divers.

Les critiques du XVIIIe siècle l'ont loué sans réserve. Ils ont exprimé la plus grande admiration pour son caractère et pour ses idées. Des critiques plus récents ne partagent point cette admiration. Ils prétendent que, sous les dehors de la modestie et de la douceur, il cachait un grand esprit de domination, une ambition démesurée. La vérité est sans doute entre ces deux appréciations contraires.

La vocation de Fénelon pour l'église se décida de bonne heure. Il y entra avec un enthousiasme poétique, après de bonnes études bien faites. Il eût voulu être missionnaire au loin. Il le fut en France parmi les Huguenots, avec grand succès. Il avait le don naturel de gagner les cœurs, le talent qu'il faut pour convaincre les esprits. A quelque place qu'il eût été appelé, il l'aurait remplie avec

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