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Qu'il sied bien d'y veiller pour le maintien des lois.
Tu dois là tous tes soins au bien de ta patrie;
Tu ne t'en peux bannir que l'orphelin ne crie;
Que l'oppresseur ne montre un front audacieux,
Et Thémis pour voir clair a besoin de tes yeux.
Mais pour moi, de Paris citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un rêveur inutile,
Il me faut du repos, des prés et des forêts.
Laisse-moi donc ici, sous leurs ombrages frais,
Attendre que septembre ait ramené l'automne,
Et que Cérès contente ait fait place à Pomone."
Quand Bacchus comblera de ses nouveaux bien-
faits

Le vendangeur ravi de ployer sous le faix,
Aussitôt ton ami, redoutant moins la ville,
T'ira joindre à Paris pour s'enfuir à Bâville.f
Là dans le seul loisir, que Thémis t'a laissé,
Tu me verras souvent, à te suivre empressé,
Pour monter à cheval rappelant mon audace,
Apprenti cavalier galoper sur ta trace.
Tantôt sur l'herbe assis, au pied de ces coteaux
Où Polycrènet épand ses libérales eaux,
Lamoignon, nous irons, libres d'inquiétude,
Discourir des vertus dont tu fais ton étude;
Chercher quels sont les biens véritables ou faux;
Si l'honnête homme en soi doit souffrir des défauts;
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide,
Õu la vaste science ou la vertu solide.

C'est ainsi que chez toi tu sauras m'attacher.
Heureux si les fâcheux prompts à nous y chercher
N'y viennent point semer l'ennuyeuse tristesse!
Car, dans ce grand concours d'hommes de toute
espèce,

* Figure poétique pour dire “quand l'été aura fait place à l'automne.

+ Bâville, maison de campagne de M. de Lamoignon près de Paris.

Polycrène. fontaine près de Bâville, nommée ainsi par M. de Lamoignon à cause de l'abondance de ses eaux.

Au lieu de quatre amis qu'on attendait le soir,
Quelquefois de fâcheux* arrivent trois volées f
Qui du parc à l'instant assiègent les allées.
Alors, sauve qui peut; et quatre fois heureux
Qui sait pour s'échapper quelque antre ignoré
d'eux !

ART POÉTIQUE.

Chant Premier.

Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou
sublime,

Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime!
L'un l'autre vainement ils semblent se haïr,
La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.
Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue,
L'esprit à la trouver aisément s'habitue;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit;
Mais lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle,
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez donc la raison: que toujours vos écrits
Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.
La plupart, emportés d'une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur
pensée;

Ils croiraient s'abaisser, dans leurs vers monstrueux,
S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme

eux.

Evitons ces excès; laissons à l'Italie

De tous ces faux brillants l'éclatante folie.

Tout doit tendre au bon sens; mais pour y parvenir

* Fâcheux, pris substantivement, désigne des gens importuns, qui font tout mal à propos et déplaisent même en cherchant à être agréables.

† Volées, compagnies arrivant tumultueusement et en grand nombre, comme des bandes d'oiseaux.

Le chemin est glissant et pénible à tenir;

Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noie. La raison pour marcher n'a souvent qu'une voie.

Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un
pire :

Un vers était trop faible, et vous le rendez dur;
J'évite d'être long, et je deviens obscur;

L'un n'est point trop fardé, mais sa muse est trop

nue;

L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours?
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal, et toujours uniforme,

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.
On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Heureux qui, dans ses vers, sait d'une voix
légère

Passer du grave au doux, du plaisant au sévère!
Son livre, aimé du ciel et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin* entouré d'acheteurs.

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse: Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.

Sublime sans orgueil,

Soyez simple avec art, agréable sans fard.

N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire.

Ayez pour la cadence une oreille sévère:

Que toujours dans vos vers le sens coupant les

mots

Suspende l'hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée
Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.

* Barbir libraire du Palais.

Il est un heureux choix de mots har-
monieux.

Fuyez des mauvais sons le concours odieux;
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée
Ne peut plaire à l'esprit, quand l'oreille est blessée.

Il est certains esprits dont les sombres
pensées

Sont d'un nuage épais toujours embarrassées:
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure
L'expression la suit, ou moins nette ou plus pure,
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.

En vain vous me frappez d'un son mélodieux
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux.
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,*
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme. †
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous
presse,

Et ne vous piquez point d'une folle vitesse;
Un style si rapide et qui court en rimant
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.

* Barbarisme, faute de langue qui consiste, soit à se servir de mots forgés, soit à donner aux mots un sens différent de celui qu'ils ont reçu de l'usage, soit à violer quelque règle fondamentale de la grammaire.

Solécisme, faute grossière contre la syntaxe; du nom de Soles, endroit où l'on parlait mal le Grec.

Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Polissez-le sans cesse et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

VERS SENTENCIEUX ET POPULAIRES DE BOILEAU.

J'appelle chat un chat, et Rolet un fripon.

Le seul art en vogue est l'art de bien voler.

(Sat. I.)

Passer tranquillement, sans souci, sans affaire,
La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire.

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puisse dire,

lire.

Un marchand pour les vendre et des sots pour les (Sat. II.) Aimez-vous la muscade? On en a mis partout.

(Sat. III.)

En ce monde il n'est point de parfaite sagesse. Tous les hommes sont fous; et malgré tous les soins

Ne diffèrent entre eux que du plus ou du moins.

Chacun veut en sagesse ériger sa folie.

Le plus sage est celui qui ne pense point l'être.

Souvent de tous nos maux la raison est le pire. (Sat. IV.)

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