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N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai: J'étais là; telle chose m'avint;

Vous y croirez être vous-même.
A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne: et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de
pluie,

Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès; cela lui donne envie.
Il y vole, il est pris; ce blé convrait d'un lacs
Les menteurs et traîtres appâts.

Le lacs était usé, si bien que de son aile,
De ses pieds, de som bec, l'oiseau le rompt enfin ;
Quelque plume y périt, et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour, à la serre cruelle,
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.

Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiraient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et d'un coup tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pied,.
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna;
Que bien, que mal elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.

(Livre IX, Fable 2.)

LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES.

Un octogénaire plantait.

Passe encore de bâtir; mais planter à cet âge ! Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage; Assurément il radotait.

Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir. A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées;
Quittez le long espoir et les vastes pensées;
Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-mêmes,
Repartit le vieillard. Tout établissement
Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d'un second seulement?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage;
Eh bien, défendez vous au sage

De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ? Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui; J'en puis jouir demain et quelques jours encore; Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux. Le vieillard eut raison: l'un des trois jouvenceaux Se noya dès le port, allant à l'Amérique*; L'autre, afin de monter aux grandes dignités, Dans les emplois de Mars servant la république, Par un coup imprévu vit ses jours emportés; Le troisième tomba d'un arbre

*Aujourd'hui l'on dirait en Amérique.

Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter.

(Livre XI, Fable 8.)

VERS DÉTACHÉS, SENTENCIEUX ET POPULAIRES DE LA FONTAINE,

Mauvaise graine est tôt venue.

(L'Hirondelle et les petits Oiseaux.)

La louange chatouille et gagne les esprits.

(Simonide préservé par les Dieux.)

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le

regrette.

Laissez-leur prendre un pied chez vous,

Ils en auront bientôt pris quatre.

(La Lice et sa compagne.)

Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

(Le Lion et le Rat.)

Où la guêpe a passé le moucheron demeure. (Le Corbeau voulant imiter l'Aigle.)

Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli.

(La chatte métamorphosée en femme.)

En toute chose il faut considérer la fin.

(Le Renard et le Bouc.)

Amour, amour! quand tu nous tiens
On peut bien dire: Adieu prudence!

Un sou quand il est assuré

(Le Lion Amoureux.)

Vaut mieux que cinq en espérance.

(Le Berger et la Mer.)

Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté.

(Le Cheval s'etant voulu venger du Cerf.)

Deux sûretés valent mieux qu'une,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

(Le Loup, la Chèvre, et le Chevreau.)

Chacun se dit ami, mais fou qui s'y repose.

Rien n'est plus commun que le nom,
Rien n'est plus rare que la chose.

(Parole de Socrate.)

Toute puissance est faible à moins que d'être unie. (Le Vieillard et ses Enfants.)

Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire. (Le Bûcheron et Mercure.)

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.

(La Poule aux Eufs d'or.)

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

(Le Lion s'en allant en Guerre.)

Il ne faut jamais

Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre. (L'Ours et les deux Compagnons.)

Plus fait douceur que violence.

(Phébus et Borée.)

Rien ne sert de courir, il faut partir à point.

(Le Lièvre et la Tortue.)

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La mort ne surprend point le sage;

Il est toujours prêt à partir.

(La Mort et le Mourant.)

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