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Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même.
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous

Ce qu'il faut faire? Il faut qu'avec notre famille
Nous prenions dès demain chacun une faucille;
C'est là notre plus court; et nous achèverons
Notre moisson quand nous pourrons.
Dès lors que ce dessein fut su de l'alouette,
C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants.
Et les petits en même temps
Voletants, se culebutants,
Délogèrent tous sans trompette.

(Livre IV, Fable 22.)

LE LABOUREUR ET SES ENFANTS.

Travaillez, prenez de la peine;

C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur sentant sa fin prochaine
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents;
Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver; vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût*
Creusez, fouillez, bêchez; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deça, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,
Que le travail est un trésor.

(Livre V, Fable 9.)

* Dès qu'on aura fait l'oût, dès qu'on aura fait la moisson, au mois d'août.

LA POULE AUX ŒUFS d'or.

L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,

Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un œuf d'or.

Il crut que dans son corps elle avait un trésor;
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches.

Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus,
Pour vouloir trop tôt être riches!

(Livre V, Fable 13.)

LE SERPENT ET LA LIME.

On conte qu'un serpent voisin d'un horloger
(C'etait pour l'horloger un mauvais voisinage)
Entra dans sa boutique, et, cherchant à manger,
N'y rencontra pour tout potage
Q'une lime d'acier, qu'il se mit à ronger.
Cette lime lui dit sans se mettre en colère:

Pauvre ignorant! eh, que prétends-tu faire?
Tu te prends à plus dur que toi,
Petit serpent à tête folle;
Plutôt que d'emporter de moi
Seulement le quart d'une obole,
Tu te romprais toutes les dents.
Je ne crains que celles du temps.

Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui, n'étant bons à rien, cherchez surtout à mordre;
Vous vous tourmentez vainement.

Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages?

Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

(Livre V, Fable 16.)

L'ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION.

De la peau du lion l'âne s'étant vêtu,
Etait craint partout à la ronde;
Et, bien qu'animal sans vertu,

Il faisait trembler tout le monde.
Un petit bout d'oreille, échappé par malheur,
Découvrit la fourbe et l'erreur;
Martin fit alors son office.

Ceux qui ne savaient pas la ruse et la malice
S'étonnaient de voir que Martin*
Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France

Par qui cet apologue est rendu familier.
Un épuipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

(Livre V, Fable 21.)

LE MULET SE VANTANT DE SA GÉNÉALOGIE.

Le mulet d'un prélat se piquait de noblesse,
Et ne parlait incessamment
Que de sa mère la jument,
Dont il contait mainte prouesse.

Elle avait fait ceci, puis avait été là:
Son fils prétendait pour cela,

Qu'on le dût mettre dans l'histoire.

Il eût cru s'abaisser servant un médecin.
Etant devenu vieux, on le mit au moulin;
Son père l'âne alors lui revint en mémoire.
Quand le malheur ne serait bon
Qu'à mettre un sot à la raison,
Toujours serait-ce à juste cause
Qu'on le dit bon à quelque chose.

(Livre VI, Fable 7.)

*Martin, ou Martin bâton, comme La Fontaine l'appelle dans la fable de l'Ane et le Petit Chien, le valet d'écurie.

LE LIÈVRE ET LA TORTUE.

Rien ne sert de courir: il faut partir à point.
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but.-Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger:

Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore.*
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait, et de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire; J'entends de ceux qu'il fait lorsque, près d'être atteint,

Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes t
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue
Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue,

Elle se hâte avec lenteur,

Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur

De partir tard. Il broute, il se repose:
Il s'amuse à toute autre chose

* Périphase poétique pour dire: Vous êtes folle. L'ellébore est une herbe à laquelle les anciens attribuaient la propriété de guérir de la folie.

+ Les calendes étaient une division du mois en usage chez les Romains. La locution n'est pas complète; il faudrait aux calendes grecques, c'est-à-dire à un temps qui n'arrivera jamais, car les Grecs n'avaient point de calendes dans leur calendrier.

Qu'à la gageure.* A la fin, quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière
Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit
Furent vains; la tortue arriva la première.
Et bien! lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse?

Moi l'emporter! et que serait-ce
Si vous portiez une maison!

(Livre VI, Fable 10.)

LE CHEVAL ET L'ANE.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir.
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnait un cheval peu courtois,
Celui-ce ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu;
Autrement il mourrait devant qu'être à la ville.
La prière, dit-il, n'en est pas incivile ;
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.
Le cheval refusa, fit une pétarade,

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade
Et reconnut qu'il avait tort;

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture,
Et la peau par-dessus encor.

(Livre VI, Fable 16.)

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisquil faut l'appeler par son nom),

* Prononez gajure.

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